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Les harraga : délinquance ou quête du bonheur ?
Publié dans El Watan le 03 - 08 - 2008

Les sujets sans qualification, grandes victimes de la mal-vie et «laissés-pour-compte», tournent leur regard vers un Occident mythique qui ne veut pas d'eux, et rêvent. Leur rêve et leur vie sont ailleurs. Un ailleurs inconnu mais imaginé, fantasmé. C'est pourquoi ils veulent quitter le pays, se «casser d'ici», même au péril de leur vie. Pour où n'a aucune importance.
Le sésame (le visa) est, pour ces personnes, impossible à obtenir. 60% des harraga ont demandé, au moins une fois, un visa qu'ils n'ont pas obtenu. Alors, ils tentent l'inimaginable. La «harga». Voici un passage à l'acte qui survient au bout de la désespérance. Quelle signification donner à ce comportement, la harga ? Quelle lecture faut-il en faire ? D'aucuns pensent, les médias en ont maintes fois fait allusion, qu'il peut s'agir d'une conduite suicidaire. D'autres évoquent un comportement qui s'inscrit dans le registre de la délinquance.
Nous pensons en particulier aux pouvoirs publics qui argumentent cette hypothèse – assertion (?) en mettant en avant ce que dit le code maritime. D'autres enfin imaginent dans la signification de ce passage à l'acte extrême, la volonté et le désir de vivre, une quête de bonheur. Ce comportement, la harga, ira en prenant de l'ampleur parce que de plus en plus de jeunes, et de moins jeunes d'ailleurs, émargent chaque matin au désespoir et à l'humiliation. La pauvreté et la misère sociale sont bien sûr les principales motivations invoquées par les candidats à l'émigration clandestine, pour justifier cette démarche. Les jeunes Algériens, il est vrai, sont particulièrement exposés et de façon «chronique» aux problèmes de la vie. Nombreux sont ceux qui font très tôt l'expérience de la galère.
Exclus de l'école, sans métier, ils se retrouvent dans la rue. 500 000 élèves quittent chaque année l'école. 15% de ceux qui sont inscrits dans les centres de formation professionnelle abandonnent et nombreux sont les étudiants qui laissent tomber leurs études universitaires.
Sur 100 élèves inscrits en première année primaire, seuls 5 arrivent à terminer leurs études universitaires. Tous ceux qui sont rejetés par le système scolaire viennent grossir le contingent des personnes qui sont déjà dans la rue et/ou les files d'attente sur le marché du travail. Il n'y a pas de travail. Le jeune Algérien sait qu'il n'en aura peut être jamais. Autour de lui, ses frères et sœurs, ses voisins, ses amis, tous sont dans la même situation.
L'avenir lui apparaît bouché. Avoir un logement, une voiture, des loisirs, pouvoir voyager… tout cela est impossible. La misère le guette, il en a la certitude. Les frustrations sont quotidiennes et les conduites toxicomaniaques constituent souvent les seuls moments d'évasion. Haschich, alcool, psychotropes … sont les moyens utilisés pour oublier et/ou pour trouver le bien-être et le bonheur, aussi fugaces soient-ils. Partir au plus vite de ce pays constitue alors «la solution» et la seule perspective d'avenir. Toutefois, la misère sociale et le chômage ne sont pas les seuls responsables de la détermination des sujets à «se jeter à la mer». Nous pensons que ces raisons sont les moins importantes. Les jeunes Algériens ont soif de vivre. Ils sont au chômage, ils sont pauvres. Mais ils mènent aussi une vie de privation de toutes choses. Il n'y a pas de cinéma, le cinéma fait rêver. Il n'y pas de possibilités de faire du sport, le sport crée des liens et les renforce, le sport est source de détente, d'apaisement et d'épanouissement. Il n'y a pas d'espaces culturels, le théâtre et la mise en scène permettent au génie populaire de s'exprimer, de réduire les tensions intérieures et les tensions entre les' individus. Le théâtre donne l'illusion de la liberté.
La musique adoucit les mœurs. C'est là une vérité qui ne trouve pas de prolongement dans le quotidien des jeunes de notre pays. La misère culturelle, fait encore plus de dégâts que la misère sociale. Que font les ministères de la Jeunesse et des Sports et celui de la Culture. Le premier est un ministère du «football». Les ministres successifs qui ont occupé ce portefeuille n'ont eu que le souci de cette discipline sportive. Même de ce côté-là, il faut le dire, les résultats sont lamentables. Les stades sont devenus des arènes et les compétitions de foot sont, pour les jeunes, une occasion pour crier leur désespoir et exprimer dans la violence la haine qu'ils éprouvent pour les pouvoirs publics et la société. Les dernières émeutes d'Oran sont venues nous le rappeler. Depuis qu'elle est à ce poste, la ministre de la Culture a investi son énergie dans une entreprise de prestige qui est loin des préoccupations quotidiennes de la jeunesse algérienne, «Alger capitale de la culture arabe». Elle continue à tourner le dos à la vie culturelle nationale et s'apprête à organiser le Festival panafricain, un gouffre qui va engloutir, selon ce que dit la presse nationale, 5 milliards de dinars … Le terrorisme crée un climat d'insécurité.
Il a une part de responsabilité dans l'exode des Algériens. La vie s'est arrêtée dans de nombreuses régions du pays, notamment dans les campagnes et les petites villes qui en ont été les victimes. Les citoyens de ces régions ont côtoyé la mort au quotidien. Ces situations ont engendré, en particulier chez les plus jeunes, l'extinction de l'étincelle de la vie. La rallumer est illusoire dans le même espace physique, surtout quand ce dernier (cet espace physique) est empli de deuils impossibles à faire. Les plus chanceux (entre guillemets) trouvent encore quelque ressort et essaient de la raviver (l'étincelle) dans un ailleurs lointain. De l'autre côté de la mer. Il n'est pas inutile de rappeler que ce sont ces régions victimes de la violence terroriste qui subissent également celle (la violence) de la pauvreté, de la misère sociale et culturelle. Ce n'est pas un hasard que les harraga mais aussi les terroristes, il faut le dire, soient pour la plupart issus de ces zones rurales. L'Algérie est classée, en matière de paix (GPI : Global Peace Indice), selon le Centre d'études pour la paix et les conflits (CPCS) à la 107e position, loin derrière notre voisin de l'est, la Tunisie, qui est en 39e position. Les critères de classement sont, entre autres, le niveau de démocratie, le bien-être matériel, la violence interne ou externe, le niveau de l'éducation, l'absence de peur, la tolérance, la pauvreté, etc. Le constat concernant l'Algérie est éloquent. Il fait meilleur vivre en Tunisie. Quant aux pays occidentaux, destination préférée de nos harraga, c'est sans commentaires. L'absence de paix sociale est donc à l'origine de la fuite de nombreux Algériens. Le constat est unanime, il ne fait pas bon vivre dans notre pays. C'est pourquoi, le désir d'abandonner a traversé au moins une fois l'esprit de chacun de nous. Nous sommes tous des harraga potentiels. Si le départ n'est pas toujours clandestin au sens de la loi, il est une fuite, déchirante, non assumée et. coupable. Additionnées, ces violences créent un concentré de désespoir, de ressentiment et de haine de la société et du pays.
Voici fabriqué le terreau où se recrutent tous les comportements extrêmes. La harga en est un. Sans doute, le moins dangereux de tous pour la société. Le citoyen algérien, en particulier le jeune, parce que plus vulnérable, est dans une impasse. Il a le sentiment que ses compétences sont inutiles et que ses initiatives sont impossibles. ll souffre parce qu'il n'a pas la possibilité de faire des choix et d'exercer son libre arbitre. Il est malheureux parce qu'il a forgé la certitude qu'il n'aura jamais l'initiative sur son destin et qu'il ne pourra pas se réaliser dans son pays. Il est désespéré parce qu'il a conscience que son bien-être n'est pas la préoccupation des pouvoirs publics et que ces derniers n'ont pas de projet pour lui. Pris au piège, le sujet tente de s'en sortir. L'un se réfugie dans la drogue pour oublier, l'autre se jette à l'eau pour s'en aller, le plus désespéré met fin à ses jours. Toxicomanie, suicide, harga mais aussi émeutes récurrentes et recrutement terroriste, sont des comportements extrêmes et des signaux sociaux qui alertent, de toute évidence en vain, les décideurs de ce pays. Les jeunes qui ont choisi de partir ont le désir de vivre. Ils sont les plus déterminés et les plus aptes à réussir même si d'aucuns considèrent qu'il s'agit là d'une entreprise suicidaire. Certains journalistes n'ont pas hésité à qualifier ce comportement de suicide collectif. Ils pourraient être dans le vrai. Pourquoi? Parce que le risque pris par ce projet migratoire est trop grand et que l'idée de rencontrer la mort durant le voyage semble une donnée intégrée et acceptée. «L'espoir est ailleurs, seule la mort nous en dissuadera» ou encore «Je préfère finir dans le ventre d'une houta plutôt que dans celui d'une douda». Dans les deux cas la mort est au rendez-vous. Ces propos tenus par des récidivistes de l'émigration clandestine sont significatifs de l'état d'esprit dans lequel se trouvent les jeunes Algériens, ils témoignent de leur détermination à prendre le risque.
Si la mort doit arriver, il s'agit d'une formalité à accomplir, sans plus. Près de 200 cadavres de harraga ont été repêchés depuis le début de l'année 2007. Une hécatombe qui va certainement continuer au regard du nombre d'embarcations qui quittent les bourgades côtières de l'est et de l'ouest du pays. Les jeunes qui recourent à cet acte ultime, la harga, n'ont pas le choix et leur volonté de quitter le pays peut se mesurer aussi aux récidives qu'ils commettent. 7% des sujets sont, selon les dires des services de sécurité, de nombreuses fois récidivistes. Partir est, pour les voisins, les enfants du quartier, un acte héroïque. Des vidéos qui vantent et louent le courage de ces jeunes harraga circulent sous le manteau ou d'un téléphone portable à un autre. Elles montrent des jeunes qui ont atteint les rives européennes et qui ont réussi à avoir des papiers et du travail.
Faillite du système
Des héros de la cité … et des exemples à suivre. L'irruption des harraga dans le débat social a mis à nu l'incapacité des pouvoirs publics à redonner espoir à la jeunesse algérienne et à lui apporter des solutions appropriées à ses problèmes. Malgré les richesses importantes dont dispose aujourd'hui le pays, 130 milliards de réserves de change et un baril de pétrole à près de 140 dollars.
Cette émigration massive de jeunes – un exode, des boat people, il faut le dire – assombrit l'image du pays. Elle marque la faillite du système en même temps qu'elle disqualifie tous les discours prometteurs dont sont abreuvés depuis quelques années les citoyens. «Un pays riche, un peuple pauvre». Parce qu'il considère les harraga comme des délinquants, l'Etat propose, en guise de solution au problème, la répression. Que dit la loi à ce sujet ? L'embarquement clandestin sur des navires marchands à destination de l'étranger est un délit. «Est puni d'un emprisonnement de 6 mois à 5 ans et d'une amende de 10 000 à 50 000 DA toute personne qui s'introduit frauduleusement sur un navire avec l'intention de faire une traversée», art 545 modifié par l'article 42 de la loi 98-05 du code maritime. S'il est vrai que la loi doit s'appliquer à chaque fois que cela est nécessaire, il faut convenir que dans ce cas de figure, la répression n'est pas la solution adaptée, même si les peines de prisons infligées aux candidats à l'émigration clandestine sont assorties d'un sursis. Voici des propos tenus par un harraga récidiviste à un journaliste du Soir d'Algérie: «…avant cette tentative avortée, j'avais tenté une première fois mais notre emharcation est tombée en panne puis j'ai vécu ma deuxième tentative … après ma sortie de prison j'ai tenté une troisième fois, nous nous sommes perdus et nous avons été secourus et là j'envisage la quatrième … ».
Ces propos sont révélateurs de la ferme volonté des sujets à partir et montre que la réponse, uniquement répressive, des pouvoirs publics est inadaptée, dérisoire. Une avocate qui s'exprimait au forum d'El Moudjahid a affirmé, en ce qui concerne les procès intentés aux harraga, qu'il «y a un vide juridique» en la matière et que les jugements rendus à leur encontre sont «illégaux et irrationnels» (El Watan du 29 avril 2008). L'avocate s'interroge aussi sur la pertinence des procédures judiciaires actionnées par l'Etat : «Quels crimes ont-ils commis? Au lieu de sanctionner, il faudrait essayer de comprendre les sources du mal …», elle ajoute : « … quand on devient très pauvre, tout est permis … .» Punir mais aussi culpabiliser sont ainsi les deux options que les pouvoirs publics ont choisies pour répondre à la détresse des jeunes. Pour cela, ils n'hésitent pas à faire appel à des associations «satellites» et à recourir aux mosquées. Le secrétaire général de l'Association de la solidarité et de lutte contre les fléaux sociaux a, lors d'une conférence-débat organisée au siège de la dite association, condamné les jeunes harraga. Ils portent atteinte, selon lui, au prestige de la nation. Il préconise plus de répression, il plaide pour des sanctions encore plus fermes et préjuge qu' «un jeune qui s'offre plusieurs millions pour l'opération ne peut être pauvre et il contribue à financer les réseaux maffieux», (Le Jeune Indépendant, 08 avril 2008). Rien que cela. Tristes propos pour un responsable d'association qui prétend promouvoir la solidarité et lutter contre les fléaux sociaux.
Propos qui témoignent, s'il en est, du dérisoire tissu associatif qui existe dans notre pays. Le ministère des Affaires religieuses a, quant à lui, préparé une fetwa et ordonné à toutes les mosquées d'Algérie d'évoquer le phénomène des harraga. Une campagne de sensibilisation. nous-dit-on. Une contribution salutaire si elle se limite à son objet, la sensibilisation et si elle ne s'abîme pas dans la culpabilisation ou l'inquisition. L'émigration clandestine n'est pas assimilable – comme l'a suggéré le cheikh Abou Abdeslam, président de la commission des fetwas – à une tentative de suicide, geste qui est, selon cet honorable cheikh, «contraire aux préceptes de l'Islam», Le cheikh Chemseddine, probablement plus libre, tient un discours différent, plus proche de la tragique réalité vécue par tous ces jeunes. Il dit ceci : «Ce jeune qui a bravé les dangers de la mer n'a rien d'un suicidaire. Au contraire, il s'agit d'une personne qui aspire à la vie.» Ces dispositifs n'ont pas apporté les résultats attendus et n'on trompé personne.
Tous les jeunes demandeurs d'emploi n'y ont pas eu accès et ceux qui ont eu cette chance (?) considèrent qu'il ne s'agit nullement d'un vrai travail. Au mieux une forme d'assistanat pour certains, au pire un esclavage pour d'autres. Pour les spécialistes du travail. il s'agit d'une fausse solution à un vrai problème de société.
Les jeunes Algériens veulent quitter leur pays parce qu'ils y sont malheureux et parce qu'ils ne l'aiment plus. Ils s'y sentent méprisés. Les pouvoirs publics doivent œuvrer à restaurer l'espoir perdu et à donner du bonheur aux citoyens. Avec une paillasse de près de 130 milliards de dollars, nous le disions, cela ne doit pas être difficile. 25 millions d'Algériens ont moins de trente ans. La vitalité de la nation et l'avenir du pays. Un chiffre qui devrait aussi empêcher les décideurs de dormir. Les jeunes représentent 50% de la population en âge de travailler et le chômage augmente. selon le FMI (Fonds monétaire international), de 3,4% chaque année.
Toujours selon cet organisme international, l'Algérie est le pays qui a le plus fort taux de chômage parmi les pays africains et du Moyen-Orient. 21 % en 2006. Presque le double de celui (12%) avancé, pour la même année,. par M. Ould Abbès, ministre de la Solidarité nationale. Les jeunes Algériens sont nombreux à occuper les places publiques en attente de vendre leur main-d'œuvre au noir et à bas prix. Une inhumaine exploitation, et pour certains, un véritable esclavage. Ceux qui n'acceptent pas cette situation, sont jetés par le chômage dans des activités à la limite de la légalité, le commerce informel, le trabendo. Cette activité occupe une très grande partie de nos chômeurs et nourrit plusieurs familles. Ainsi, les jeunes sont au mieux abandonnés aux activités informelles et au travail au noir, au pire. Ils sont livrés à la misère et à tout ce qu'elle charrie comme désillusions, sentiment d'injustice et comportements extrêmes tels que les conduites délinquantes, les émeutes, la harga, le terrorisme, etc.
La harga se nourrit des mêmes causes – la misère, la pauvreté, la hogra et l'exclusion – que le suicide, la toxicomanie, les émeutes mais aussi le terrorisme. Ces fléaux sociaux constituent des passages à l'acte d'une extrême gravité qui concernent presque exclusivement le jeune Algérien. Une vie pénible et humiliante peut amener l'individu à se donner la mort, à s'adonner à la drogue. ou à risquer sa vie dans un projet migratoire impossible. Ce passage à l'acte s'introduit dans l'esprit du sujet quand ce dernier, en proie au mal-être, rumine une existence marquée par des carences et/ou un mépris-hogra difficilement compatibles avec un minimum de dignité. Car il s'agit de cela. Parce qu'une mauvaise gouvernance et un dysfonctionnement de la société en fait des victimes. Les jeunes Algériens n'aiment pas ou plus leur pays. Ils n'y sont pas heureux. Ils veulent le quitter, chacun à sa façon, même de manière violente. Il est, dès lors, aisé de comprendre les motivations qui amènent les Algériens à l'exil. Ils ne veulent pas vivre «pauvres dans un pays riche», un pays qui sommeille sur une paillasse de plusieurs dizaines de milliards de dollars.
C'est cela que les décideurs devraient comprendre. Il ne sert donc à rien de multiplier les séminaires et la création de commissions. Le désespoir des Algériens est là, il faut en faire le point avec lucidité et avoir l'audace nécessaire pour apporter les solutions appropriées. Il faut bien sûr la volonté politique. Force est de constater que ce n'est pas le cas aujourd ‘hui. Rien ne freinera les tentatives d'émigration clandestine.
La jeunesse, le grand enjeu
Ni l'opprobre, ni la répression. 25 harraga viennent d'être «repêchés» au large d'Oran et de Mostaganem (Le Soir d'Algérie. 15 juin 2008). Les solutions à ce problème sont donc ailleurs. Dans tous les cas, les personnes qui tentent la traversée doivent être considérées non pas comme des délinquants ou des criminels mais comme des victimes des inégalités sociales, d'une marginalisation et de la hogra, «Harraga, haggara, une proximité sémantique» relevée à juste titre par Ali Bensaïd (El Watan 16 mars 2008), mais aussi une proximité et une relation dialectiques certaines.
«En jetant en prison les harraga,. le pouvoir pense qu'il va décourager les jeunes alors qu'il ne fait que confirmer son incompétence à gérer la malvie et la misère sociale … rapine, corruption généralisée, course à la rente banalisées par le système … les harraga n'aspirent qu'à aller tenter leur chance et réussir ailleurs, ce qu'on leur refuse dans leur propre patrie.» La destination finale a été et sera toujours l'Occident … cela nous amène à conclure que c'est la liberté avec un grand L de cet Occident qui les intéresse … il n y a pas pire aveugle que celui qui ne veut pas voir». Cet écrit d'un jeune citoyen, paru dans la rubrique de Bouhamidi, du Soir d'Algérie, confirme s'il en est, du dérisoire de la solution répressive. Il confirme également la certitude du sujet. probablement plus à raison qu'à tort, du désintérêt manifeste des pouvoirs publics à son égard. Que fait l'Etat pour réduire la «hogra» dont sont victimes ces jeunes gens? Sans doute rien. Un journaliste a, à juste titre, écrit ceci : «On fait tout pour empêcher les jeunes de partir mais on ne fait rien pour les retenir». Les pouvoirs publics admettent que le phénomène des harraga est un réel problème de société mais ils ne proposent aucune solution concrète et immédiate pour le réduire. – Le ministre de la Solidarité nationale a organisé, il y a deux années environ, – au moment fort de la médiatisation des harraga – un séminaire national pour tenter de comprendre pourquoi les jeunes Algériens fuient leur pays.
– Le président de la République a reconnu, à l'occasion de son allocution d'ouverture de la conférence gouvernement-walis, consacrée à la jeunesse, l'échec des actions menées en direction de cette frange de la population. Il a admis que les «politiques menées jusque-là n'ont pas été à la hauteur des attentes des jeunes» et la responsabilité de cette faillite incombe, selon lui. à «l'incohérence et à l'absence de concertation qui ont caractérisé le fonctionnement des différentes institutions chargées des problèmes de la jeunesse».
– La troisième rencontre a eu lieu il y a quelques mois sous l'égide du ministère du Travail. Il a été question d'allocation chômage, de création d'emplois et de mesures incitatives à la création d'emplois, etc.
Les problèmes de la jeunesse sont toujours là. Le chômage de ces derniers est devenu un enjeu autour duquel une lutte sans merci, entre le ministre de la Solidarité nationale et celui du Travail et des Affaires sociales, se déroule derrière le rideau. Il faut dire que les dispositifs de pré-emploi et des crédits d'aide à l'insertion des jeunes brassent des sommes d'argent considérables. Une manne, une puissance financière. Ce qui a été dévolu au ministère de l'Emploi, et c'est sa vocation, par la loi des finances 2008 s'est retrouvé – par la magie des décrets signés par le chef du gouvernement – gommé et attribué au ministère de la Solidarité. Ces rivalités de sérail paralysent les actions de l'Etat et rendent invisible le désespoir des jeunes auquel les pouvoirs publics ont résolument décidé de tourner le dos. Ces dispositifs de pré-emploi et de micro-crédits à l'investissement ont été gérés durant plusieurs années par le ministère de la Solidarité nationale (de 1997 à 2007). Ils ont été utilisés à souhait pour manipuler les taux de chômage en Algérie et donner l'illusion que l'Etat se préoccupe du jeune citoyen. Les harragas ont été culpabilisés, parce qu'ils «ne sont pas assez patriotes et qu'ils ne ressemblent pas à leurs aînés de Novembre 1954». Ils ont été condamnés par les pouvoirs publics parce qu'ils sont les témoins de leur mauvaise gouvernance. «Je n'aime pas le mot harraga», a dit à Tiaret, Ould Abbès, ministre de la Solidarité nationale. Il voulait certainement dire qu'il n'aime pas les harragas. Cela est normal. Un grain de sable, une scorie qui vient déranger le ronron paisible de sa vie quotidienne et sa permanente satisfaction du devoir accompli. Ils ont enfin été voués aux gémonies parce qu'ils sont la cicatrice hideuse de la société et parce qu'ils «ternissent l'image du pays». Mais il ne leur a été apporté aucune solution à la mesure de leur détresse et de leur désir de vivre, Il ne leur a été apporté aucune solution alternative à leur volonté d'émigrer… quel que soit je prix à payer. Pour ces jeunes, partir c'est aussi risquer de mourir. Car dans ce cas, la mort, la vraie, peut être au bout du voyage. Toutefois, elle ne fait pas peur parce qu'elle est seulement probable. Rester dans le pays est, pour ces personnes en désespérance, une mort certaine. «Vous pouvez tirer, nous sommes déjà morts». Un graffiti, sur les murs de la ville de Tizi Ouzou durant les émeutes du printemps noir. Sur les murs de n'importe quelle ville. Un graffiti qui hantera longtemps les esprits. Il a été effacé par le temps mais il peut à nouveau être réécrit, de toutes les façons, si l'avilissante réalité quotidienne des jeunes Algériens persiste.
L'auteur est psychiatre, docteur en sciences
biomédicales, député RCD


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