«C'est le plus beau jour de notre vie !» s'exclame Nora, 30 ans, qui organise, elle aussi, son mariage avec un enthousiasme touchant. Et d'ajouter : «C'est bien d'être attachée aux traditions. Ça fait plaisir à la famille. On a beau dire que le plus important c'est l'après-mariage, toutefois ça reste une journée particulière. On ne la vit qu'une fois dans une vie. Pour une circonstance comme celle-là, ça vaut la peine de faire la fête !» L'opinion d'Amel diverge. «On est victime, on est otage du qu'en-dira-t-on. Si ça ne tenait qu'à moi, j'aurais fait plus simple. On a l'impression de se marier pour les autres. Il y a des personnes qui aiment tous ces protocoles pompeux. Le plus embêtant c'est, quoi qu'on fasse, d'avoir l'impression de faire simple au regard des autres. Une tradition consiste, lors de la fête, à montrer aux invités ce que la belle famille a offert à la mariée. Il y a là une sorte d'exhibitionnisme. C'est malsain, je trouve. Le mariage c'est quelque chose de pur, cela mériterait bien mieux que ce genre d'étalage de faste et de clinquant.» Un compromis pour éviter les conflits Hakim, lui, commence tout juste ses préparatifs. Sa sœur vient de se marier. Il a investi corps et porte-monnaie dans ce mariage. Il n'a plus les moyens de s'offrir un mariage traditionnel. «On aurait aimé faire un mariage traditionnel, ça a un charme particulier, mais on ne peut pas se le permettre. Ça coûte les yeux de la tête. C'est l'une des raisons qui font que les jeunes ne se marient pas de nos jours. On se contentera d'une cérémonie à Alger dans une salle.» Yacine, 31 ans, est employé dans un ministère. Lui, il a fait un mariage comme il faut ! Il raconte : «C'est ma mère qui a fait les contacts et m'a trouvé la femme de ma vie. Quand ma belle-famille m'a dit qu'elle ne réclamait pas de dot, j'ai cru que j'avais gagné au Loto. Ma belle-mère avait ajouté : si tu veux l'habiller d'un sac de jute, elle est à toi et qu'elle parte avec toi comme ça !» De son côté, Amel opte pour le compromis afin d'éviter tout conflit. «Limiter les dépenses, les futilités… C'est une forme de spectacle dans lequel on joue un rôle.» Le sien consiste à acheter le trousseau. Celui-ci contient le linge de maison comme les couvertures, les draps, les couvre-lits, les rideaux, les pyjamas ainsi que la lingerie. Elle raconte: «Auparavant, les futures mariées le faisaient elles-mêmes. A présent, nous n'avons ni le temps ni le talent pour le faire, donc on achète.» Nora explique: «Lors des achats, il est agréable de voir tous ces habits, ça l'est moins lorsqu'on arrive à la caisse pour payer la facture.» Elle a pour l'instant dépensé 40 000 dinars pour son trousseau. Les femmes doivent obligatoirement porter plusieurs robes. Amel s'est contenté de cinq, Nora de six qu'elle a payées 80 000 dinars. Amel nous confie qu'une de ses amies a porté dix-sept robes. «L'une d'elles était une robe constantinoise qui lui a coûté 50 000 dinars à elle seule. Je ne veux pas faire ce genre de dépenses.» Si les tissus à eux seuls suffisent à ruiner, le coût de la main-d'œuvre de la couturière finit de ratiboiser le budget. La location de la fameuse robe blanche pour le grand jour varie entre 8 000 et 18 000 dinars. Il faut aussi tenir compte des frais tels que les cadeaux pour la belle-famille et la coiffure le jour du mariage. Nora se livre: «Le jour de mes fiançailles, ma coiffure m'a coûté 5000 dinars. A mon avis, je la payerai encore plus cher le jour de mon mariage.» Le montant des dépenses d'Amel est de 400 000 dinars. Et il en faut au moins l'équivalent au fiancé pour arriver au jour de la cérémonie. Quant à Nora, le budget consacré à la fête est estimé à 600 000 dinars, la cérémonie à elle seule lui coûtera 300 000 dinars. Les prix fluctuent avec les saisons Pour Yacine, chaque fête religieuse ou civile est l'occasion de rendre visite à sa belle-famille avec force cadeaux, robes, tissus et bijoux pour sa fiancée. Il sied alors d'offrir à la mère et aux sœurs un petit cadeau pour renforcer l'alliance entre les familles. «Obligé !», commente-t-il, généreux. Deux années de fiançailles, deux Achoura, quatre Aïd, deux Mouloud et deux 5-juillet plus tard, il se retrouve avec, au lieu du gros lot espéré, des dettes à perpétuité. Pour Nora et Amel, leur situation est plutôt prisée. Leurs économies, l'aide apportée par leurs familles respectives et celle de leurs conjoints leur permettent de ne pas s'endetter. Leur fiancé s'occupe de la recherche et de la location de la salle où se déroulera la fête. Là, les prix fluctuent selon le pic saisonnier des mariages. Ils oscillent entre trente mille et deux cent mille dinars la demi-journée. Il se charge aussi de payer les violons et cornemuse, tambourins et derbouka. Pour un orchestre traditionnel, il faut débourser entre 50 000 et 70 000 dinars. La participation aux frais varie selon les familles. Il reste un point à aborder. Les us et coutumes établissent que «la liste de mariage» n'est pas bien vue. De ce fait, les mariés préfèrent encore recevoir des cadeaux en double, garder des services à thé identiques par dizaines plutôt que froisser un invité. On se demande bien à quel moment les futurs mariés vont pouvoir savourer le bonheur de leur union. Nora confie fébrile : «Nous avons hâte que ça arrive, nous sommes très enthousiastes. Mais notre compte en banque arrive au rouge plus vite encore.» Les personnes interrogées s'accordent à dire que le plus important reste l'après-fête. Ainsi va la cérémonie de la visite du couple à la belle-famille. A cette occasion, un couscous royal, digne des noces, réunit les deux familles alliées et offre l'opportunité de jeter les derniers dinars qui restaient. Alors «quand on n'a que l'amour», dirait Brel, quelles solutions s'offrent à nous ? Certaines associations ont eu l'oreille attentive et la main charitable. Des bienfaiteurs anonymes ont permis ainsi à 125 couples âgés de 26 à 52 ans de se marier le 14 juillet dernier. Ces dons ont aidé les nouveaux mariés à l'acquisition de meubles ainsi que des appareils électroménagers. Il a aussi été remis à chaque couple un chèque de 30 000 dinars. Le mariage collectif semble être un phénomène social de plus en plus répandu en Algérie. Yacine, lui, empêtré dans des difficultés financières sans fin, ne sait plus à quelle dépense se vouer jusqu'au jour où sa mère lui tend le livret de famille. Et de lui demander d'aller divorcer puisqu'il n'est pas capable de nourrir la femme qu'elle lui a choisie. Il choisit alors de quitter le toit paternel et, avec sa femme, de construire une baraque en zinc et en bois au bidonville d'à côté. Quand on n'a que l'Amour…