Dans le film Le choix de Myriam récemment diffusé sur la chaîne publique française France 3, on a tout écrit du meilleur et du pire de cette ambitieuse réalisation de l'Algérien Malik Chibane. On a cependant peu relevé la non-pertinence de la langue. Toute la durée de ce long téléfilm, les personnages s'expriment exclusivement en français, avec des accents très actuels. Même Myriam lorsqu'elle débarque à Paris chez son mari Kader, au début des années 1960, parle déjà la langue de Molière avec des intonations parfaites. Entre eux, même dans les moments d'intimité, et avant que les enfants n'arrivent et grandissent, ils ne parlent qu'en français châtié. Quel Algérien, qui a vécu cette époque pionnière de l'immigration, pourra se reconnaître dans cette abstraction de la langue maternelle ? Pire encore, au niveau de l'incohérence, ils s'expriment d'égal à égal au niveau de la correction du langage avec leurs interlocuteurs français. Tout le monde aura relevé l'option de la facilité technique du réalisateur. Il est en effet plus facile de faire parler tout le monde à l'identique, au péril du réalisme, plutôt que d'avoir recours au sous-titrage, sauf que ce choix rend peu crédible l'ensemble du film et c'est dommage. On se souvient du film Harkis diffusé il y a quelques mois sur France 2, puis sur Arte. Il souffrait de la même absurdité du langage. Smaïn, ancien harki rapatrié en France après 1962, son épouse et même sa fille parlaient trop bien français, de bout en bout. Cet écueil a été évité par Yasmina Benguigui dans son téléfilm diffusé sur France 2 il y a peu. Même s'il se passe aujourd'hui et que le problème de la langue ne se pose plus dans les nouvelles générations algériennes émigrées, la documentariste a laissé un soupçon d'accent chez les anciens : le père, la mère ou la tante (magnifique Byouna). C'est plus rationnel. Lorsqu'un homme émigre de chez lui pour un autre pays, il prend avec lui tout ce qui constitue sa personnalité et en particulier sa langue. A quelques exceptions intellectuelles près, un immigré en France, parle très mal la langue du pays d'accueil, lorsqu'il ne la parle pas du tout. Ce qui reste vrai aujourd'hui, l'était un peu plus encore il y a cinquante ans, lors de la grande vague de migration algérienne de la fin des années 1950 et des années 1960, à tel point que les échanges des institutions et populations autochtones avec les nouveaux arrivants ont souvent eu des couacs de compréhension. Pour comprendre cette autre errance, celle de la langue, on peut s'appuyer sur la nouvelle production de la revue grenobloise Ecarts d'identité sous le thème : « Dialogue des cultures, de la traduction ». Dans ce dialogue, Abdellatif Chaouite écrit dans l'éditorial : « Les cultures sont les matières vivantes (…) ». Selon lui, langues et mémoires « deviennent partie prenante de la scène sociale. Cette rencontre (…) constitue une mise à l'épreuve des interlocuteurs… » Dans leur communication, Blandine Bruyère (psychologue) et Louisa Moussaoui (interprète) estiment que « parler, ce n'est pas seulement dire le monde, c'est aussi se dire soi ». Pour le commun des humains, ce « soi » ne peut pas se dire dans une autre langue que la sienne : « Chaque communauté a sa propre conception du monde, du temps, de l'espace ». « La langue maternelle est donc un bain de paroles, de sonorités, de mélodies, de rythmiques, d'odeurs, de saveurs, dans lesquelles nous avons été immergés avant d'en comprendre le sens. » Au niveau de la création télévisuelle, on comprend par ces quelques citations qu'il y a encore du chemin avant de rendre compte avec justesse (certains comprendront « justice ») de la complexité de l'immigration, dont l'expression langagière n'est pas un luxe mais un fondement. Ecarts d'identité : n° 113, dialogue des cultures, de la traduction Adate, 5, place Sainte-Claire, 38 000 Grenoble. www.ecarts-identité.org.