Terres agricoles grignotées, mur de béton surélevé, littoral menacé ... la liste des fléaux qui touchent la côte ouest algérienne est longue et ne semble pas vouloir s'amenuiser. 80 km de routes séparent la capitale de la ville de Tipaza. 80 kilomètres qui furent verts ou ocres selon que la saison se prête à laisser la terre se poser. 80 kilomètres ou le bleu de la mer absorbe jalousement le regard quand la terre en jachère ne se dispute pas la primauté. De ses 80 kilomètres de nature ne subsiste encore que quelques parcelles isolées. Le béton fait rage, il s'installe dangereusement sur la côte mettant en péril paysage et équilibre naturel. Aïn Tagouraït, Bou Ismaïl, et surtout Tipaza ne dérogent pas à la règle du nouveau millénaire où le béton règne en maître. Reportage. Impossible de voir la mer « Tout le monde déteste ce mur, tout le monde le vomit, le port n' est plus un port, c'est ... je sais pas moi ... c'est horrible. » Au port de Tipaza, entre quelques restaurants qui peuvent se vanter d'offrir une vue sur le bleu, le constat est saisissant. Où que le regard se pose, impossible de voir la mer et encore moins son horizon.Un mur s'est élevé à quelques centaines de mètres du rivage sur une hauteur d'environ 10 mètres. L'objectif : détourner la houle et offrir aux bateaux un coin d'amarrage tranquille. Ce mur qui n'est autre qu'un brise-lame de béton parcourt le port de long en large. C'est-à-dire que la petite crique que formait le port en partant à gauche sous le phare jusqu'à la droite où se situait une statue de femme triste est aujourd'hui complètement fermée par le brise-lame. Fermé de telle sorte que l'eau qui se trouve emprisonnée à l'intérieur vers les terres stagne et promet d'offrir des relents nauséabonds dès les prochaines chaleurs. « C'est une sorte de baignoire pleine de détritus et dont le contour a été goudronné : sauvagement », indique Mohamed. En effet, pour finir le relookage du port, une épaisse couche de goudron bleu noir superpose les dalles de pierre datant de l'époque romaine d'après certains. Etalés de long en large, des résidus de goudron sont parsemés jusque sur les rebords, sur les trottoirs sans qu'aucune délimitation soit apportée. « C'est un travail de cochon », persiste Mohamed, retraité à Tipaza. 60 ans passés, les cheveux grisonnants et la bedaine fièrement arborée, il s'esclaffe devant le désastre qu'il appelle « la catastrophe ». Son ami, M. Abderrezak, boulanger né à Tipaza, nous fait une visite guidée. Il nous amène devant un ancien hôtel situé en contrebas du phare, un peu à gauche, dans lequel son père y a planté des palmiers et où lui-même fut cuisinier. Des sites abandonnés Entourant l'hôtel, un jardin de palmiers, des essences en tous genres offrent des camaïeux de rouge, de vert ou de jaune. « C'est mon père qui a planté tous ces palmiers », précise le boulanger. Il a l'âme en peine l'homme qui pétrit le pain. De ses longues heures passées à malaxer la pâte, la regarder blanchir, gonfler sous ses mains, l'artiste ou l'artisan boulanger comme il convient de l'appeler, n'arrive pas à se convaincre des changements apportés à sa ville. « Cet hôtel s'ils me le permettaient, je l'arrangerais, le redorerais, le bichonnerais…gratuitement. On peut pas laisser un hôtel qui a accueilli Youri Gagarine et le président Ben Bella dans cet état. » Il est vrai que même abandonné depuis 1968, l'hôtel, et plus particulièrement son jardin, représentent un site magnifique. Les palmiers trapus et dont les palmes offrent un ombrage salvateur permettent aux ombres de danser avec la lumière. En contrebas du site romain, sa restauration ouvrirait la voie à un tourisme de luxe, bienheureux d'être à proximité des dédales romains. Mais les préoccupations actuelles sont dans la construction du port que chacun décrit, à commencer par les commerçants, par une mou et un geste du bras évocateur, laissant peu de place aux supputations. Que va-t-il advenir du port lorsque la houle ne viendra plus assainir le rivage pollué. Déjà des déchets en tous genres garnissent le fond du port quand une nappe huileuse ne vient pas les recouvrir. Il est vrai que les travaux ne sont pas achevés et que les autorités sont dans l'attente d'une nouvelle enveloppe financière afin d'entamer les « finitions ». Cependant la construction d'un port va dans le sens du développement durable puisqu'il favorise des transports nettement moins polluants que l'avion ou l'automobile mais il ne peut occulté ses propres déchets qui ont également des impacts environnementaux importants. Des dimensions surestimées Le port de Tipaza abritera à 80 % des activités de plaisance. Dans certains pays, l'utilisation des toilettes dans les bateaux de plaisance lorsqu'ils sont à quai est chose interdite. En effet, on peut vite s'imaginer à quoi ressemblerait un port si l'usage des toilettes des bateaux était autorisé. Mais qu'en est-il en Algérie ? Aucune loi n'interdit l'usage des toilettes de bord. N'existe-t-il pas d'autres reliques romaines sur le littoral de Tipaza qui risquent d'être définitivement perdues ou abîmées par une fréquentation plus importante du site ? Que dit l'étude d'impact ? Difficile de le savoir, le directeur technique de la direction des travaux publics de la wilaya de Tipaza n'était pas joignable. Cependant, le scientifique et maître de conférences en géomorphologie du littoral à l'Institut national des sciences de la mer et du littoral, le Pr Belkessa, qui travaille sur le port de Tipaza avec deux étudiantes, affirme que l'aménagement du port de pêche n'est pas respecté. « Les infrastructures du port ont été surestimées. C'est ce qui a enlevé à la beauté et à l'esthétique du port », poursuit Pr Belkessa. Et d'ajouter que les abords des quais auraient dû être en béton et non en bloc pour permettre un maximum d'accostages. Des erreurs qui portent préjudice à Tipaza qui présentait un intérêt archéologique et paysager important. Un phénomène qui se retrouve ailleurs avec les constructions qui ne respectent pas les limites imposées pour la protection du littoral puisque aujourd'hui de plus en plus de constructions se font sur les terres agricoles ou pied dans l'eau à l'exemple de Bou Ismaïl ou de Aïn Tagouraït qui connaît l'édification d'un grand complexe immobilier sur l'abord de la route nationale. Aujourd'hui, la statue de la femme triste qui surplombait le port comme dans l'attente désespérée du retour de son fiancé parti en mer, continue de pleurer. Mais pour d'autres raisons.