Magistrats et officiers de la police judiciaire des trois corps de sécurité (police, gendarmerie et armée) prennent part depuis hier à deux conférences de deux jours consacrées à la cybercriminalité. Les spécialistes français qui encadrent les travaux estiment que la coopération est le moyen le plus efficace pour lutter contre ce fléau. Ce dernier a tendance à se développer dans des régions comme l'Ukraine, la Russie et l'Afrique de l'ouest, devenus les paradis des cybercriminels. Le développement des technologies de l'information et de la communication (TIC) a permis l'émergence d'une nouvelle forme de criminalité via le Net, mais également le téléphone portable. Son développement est tel que les Etats sont sommés de se concerter pour trouver un cadre de lutte basé surtout sur la coopération et l'entraide judiciaire. Dans ce domaine, certains pays, notamment d'Europe, ont pu mettre en place une législation et des mécanismes qui permettent d'agir avec célérité contre les cybercriminels, de plus en plus nombreux et rapides dans leurs actions. Ce qui n'est pas le cas pour l'Algérie, très en retard dans le domaine, que ce soit en matière de textes de loi (un projet de loi vient d'être examiné par le conseil des ministres et attend son examen par le parlement) ou de technologies. A ce titre, plusieurs magistrats et officiers de la police judiciaire, de la gendarmerie, de la sûreté nationale et de l'armée prennent part depuis hier, au niveau de l'Ecole de la magistrature, à Alger, à une conférence sur la cybercriminalité animée par deux spécialistes français : Bernard Simier, vice-président chargé de l'instruction à la juridiction interrégionale spécialisée de Rennes, et Georges de Souqual, commandant de police à la direction centrale de la police judiciaire. Au programme de ces deux journées, les instruments internationaux de lutte contre la cybercriminalité, notamment les textes prévus par l'ONU et le Conseil de l'Europe, ainsi que la coopération policière et judiciaire dans le domaine. Les deux conférenciers feront état également de l'arsenal juridique de leur pays, de l'incrimination de la cybercriminalité, des infractions spécifiques aux technologies de l'information et de la communication, notamment lorsqu'elles sont liées à l'utilisation de ces technologies ou facilitées par leur utilisation. Le troisième thème de la conférence a trait à l'identification et à la recherche des preuves ainsi qu'à la compétence judiciaire et à la qualification pénale. Dans une déclaration à la presse en marge des travaux, Bernard Simier a estimé que la cybercriminalité est très large ; elle commence du texto comportant des menaces envoyées par SMS jusqu'aux intrusions dans des fichiers de données informatiques en passant par la contrefaçon, le piratage des cartes magnétiques, l'escroquerie sur internet, les virements frauduleux sur internet, les faits de racisme et de xénophobie, ainsi que les demandes de rançon, le chantage et la propagande terroriste. Comment identifier les preuves «La cybercriminalité est une forme de criminalité moderne qui dépasse les frontières des pays. Elle doit être combattue avec un système législatif adapté et une coopération internationale efficace du fait de la technicité, la mobilité et la rapidité de ces actes. Les auteurs s'installent souvent dans des pays peu coopératifs», a expliqué M. Simier. Il a rappelé qu'il existe en France, depuis 2004, 8 juridictions chargées de lutter contre la criminalité organisée et la délinquance économique et financière, tout en précisant qu'une réforme de la procédure pénale a permis de rendre plus efficaces les investigations en introduisant certaines facilités, comme la prolongation de la garde à vue à 4 jours, la sonorisation et la captation d'images, c'est-à-dire la possibilité de poser des micros et des caméras, même dans des domiciles privés et de procéder à des perquisitions à distance dans le cadre de la cybercriminalité. «Tout ceci se fait dans le respect d'une procédure particulièrement complexe requérant une autorisation du juge et en veillant à préserver les libertés individuelles», a-t-il ajouté. C'est tellement vaste et compliqué que cette nouvelle forme de criminalité a nécessité (dans son pays) «une spécialisation des intervenants et une coopération ardue entre les Etats». Pour le magistrat, il n'y a pas de divergence de visions entre les pays au sujet de ce fléau. «Il y a, cependant, des pays qui sont plus coopératifs que d'autres pour une raison ou pour une autre. Par exemple, nous rencontrons des problèmes en matière de coopération avec l'Ukraine, la Russie ou l'Afrique de l'Ouest, où les cybercriminels sont nombreux. L'entraide internationale en matière de lutte est très importante, car elle permet de réagir rapidement, c'est-à-dire de raccourcir les délais de procédure et de récupération des données techniques. Par exemple, la législation européenne pourrait prévoir un délai de conservation de données de téléphone et d'internet compris entre 6 mois et 2 ans ; en France, ce délai est d'un an seulement. Ce qui rend un peu difficiles les investigations», a expliqué M. Simier. Pour sa part, le commandant de police Georges de Souqual a estimé que 80% des investigations techniques en matière de criminalité cybernétique, en France, sont dirigées vers l'extérieur. «Ce qui rend la coopération assez importante. Dans le domaine judiciaire, en Europe, nous avons dans chaque pays un juge qui représente le ministre de la Justice. Un magistrat est également en poste aux Etats-Unis d'Amérique, au Maroc et prochainement un autre en Algérie. Ils vont servir de relais dans l'échange d'informations, l'ouverture d'enquête, l'extradition ou toute autre procédure pénale liée à la cybercriminalité. Pour ce qui est du domaine policier, les Européens ont Europol pour la coopération. Il est important de rappeler qu'aucune administration, institution ou entreprise n'est à l'abri de l'intrusion des internautes. Donc, la coordination des efforts et la coopération sont les outils les plus efficaces pour venir à bout de ce fléau. Un fléau qui aura tendance à se développer au rythme du développement des techniques de l'information et des communications», a déclaré le commandant de la police judiciaire française.