– Comment expliquez-vous le manque d'engouement pour la prochaine élection présidentielle ? – Il semble que la réponse est évidente. Pour les partis politiques (de l'opposition, bien évidemment) quelque peu crédibles, il s'agit de ne pas se décrédibiliser totalement en jouant les lièvres pour une présidentielle jouée d'avance. Les partis de l'opposition du camp démocratique, malgré leurs divisions, leur manque de poids politique réel et leur absence totale sur le terrain, ne tiennent pas à apparaître aux yeux de l'opinion publique, déjà dubitative à leur encontre, comme des partis «godillots» mangeant au râtelier du pouvoir et attendant un éventuel retour d'ascenseur. Tous pensent que le pouvoir a joué sans finesse dans cette affaire. Dès le départ, il n'a laissé aucun suspense quant à l'issue de l'élection. Même l'épisode de la rumeur sur la non-candidature de Bouteflika a tourné court trop vite pour réussir à susciter quelques grosses candidatures. L'épisode Zeroual a été un véritable tournant dans la tentative du pouvoir d'aller à la pêche au gros. Le pouvoir comptait de toute évidence faire durer le suspense de cette fausse candidature, le temps d'en engranger quelques autres du même calibre ou même légèrement inférieur. La manière dont l'ancien Président a rapidement mis les points sur les i a sonné le glas de cette tentative. Le deuxième coup dur est venu du refus du RCD et de son président d'y aller. Dans cette affaire aussi, le pouvoir semble avoir fait un mauvais calcul. Quelles que soient les promesses qui auraient pu être faites au RCD pour qu'il entre dans la course, Saïd Sadi, en fin politique qu'il est, ne pouvait pas gager son avenir et celui de son parti pour un gain improbable. Le FFS, quant à lui, ne figurait pas dans les cartes du pouvoir du fait qu'il ne lui a laissé, dès le départ, aucune chance. Reste le cas de Louiza Hanoune. Même si le Parti des travailleurs était partant pour présenter un candidat à la présidentielle d'avril prochain, l'impact de cette candidature pour crédibiliser le scrutin serait nul. Une grande partie de l'opinion publique rattache le PT à l'Alliance présidentielle dont il aurait pu être le quatrième membre. Il me semble, par ailleurs, que dans les laboratoires du système, on pense à un autre scénario qui a déjà un début d'exécution : il met en scène un nouveau parti (PJD ?) né sur les cendres du parti Wafa de Taleb El Ibrahimi, qui pourra être très rapidement agréé et dont le chef (Mohamed Saïd) sera le candidat au nom d'une opposition islamiste «moderniste». Ce candidat sera «crédible» du fait qu'il pourra engranger les nombreuses voix de l'opposition islamiste. Le problème d'un «lièvre» de bon gabarit pourra être réglé de cette manière, pour crédibiliser quelque peu la prochaine élection présidentielle. Une autre raison de l'absence d'engouement des «grands» partis politiques de l'opposition pour la prochaine élection présidentielle réside dans la très forte abstention attendue du corps électoral. Abstention elle-même due à l'absence de suspense et d'enjeu. S'il faut parler d'absence d'engouement, c'est surtout à ce niveau qu'il faut la situer. Pour moi, la vrai raison de l'absence d'engouement des partis politiques est à rechercher ailleurs, à un autre niveau. Tout se passe en effet comme si les partis politiques n'accordaient aucune importance à cette élection et que celle-ci ne sera qu'une parenthèse plus ou moins longue, en fonction de l'état de santé de l'actuel et futur Président. Les partis parient en fait sur un troisième mandat de courte durée qui donnera lieu à une nouvelle élection présidentielle beaucoup plus ouverte. – Quelles seront, selon vous, les conséquences de la défection des candidats «crédibles» sur le déroulement de cette élection ? – Les partis qui comptent ne veulent pas présenter de candidats «crédibles» sachant qu'ils n'auront en fait aucune chance de décrocher le gros lot ou seulement de peser d'un poids suffisant sur cette élection. Les dés sont pipés et tous le savent. Tous savent aussi (ou du moins le croient fermement) que le prochain mandat ne durera que le temps que le permettra la santé du président-candidat. Ils attendent donc le moment propice pour se lancer dans une «vraie» course à l'élection présidentielle. – N'est-il pas vrai que l'élection d'avril prochain se caractérise déjà par un silence assourdissant de la part d'une opposition qui, apparemment, a choisi la démission ? – Je ne crois pas que le «silence assourdissant» de l'opposition soit une démission ; du moins pas des partis qui comptent. Il me paraît plus qu'il s'agit d'un calcul, juste ou faux, ou d'un pari sur un avenir pas très lointain où il y aura vacance du pouvoir. Le vrai problème qui se pose n'est pas tant qu'il y ait un silence de l'opposition, mais plutôt si le pari fait sur une nouvelle élection présidentielle dans un horizon proche tient compte des jeux du sérail. Un scénario à la tunisienne ne semble pas avoir été pris en compte, alors qu'il est très plausible. – En tant que scientifique, comment interprétez-vous ce silence ? Est-il symptomatique ? – Il me semble avoir déjà répondu à cette question en disant que si silence il y a, il est consécutif à un calcul purement politicien basé sur une nouvelle élection prévue par la Constitution en cas de vacance du pouvoir. D'ailleurs, c'est ce qui me semble le plus inexplicable dans la dernière révision constitutionnelle : le Président n'a pas ménagé de porte de sortie à son clan en instituant un système de transmission de la présidence à l'américaine (désignation d'un vice-président qui, en cas de vacance, prendra automatiquement le relais). Mais cela est un autre problème.