Lécole française a-t-elle été le vivier du mouvement national ou a-t-elle produit des suppôts de l'ancienne puissance coloniale dans l'Algérie post-indépendance ? C'est autour de cette problématique fort intéressante que le centre d'Echâab des études stratégiques a convié hier journalistes, hommes de culture, anciens combattants et universitaires. Et comme il fallait bien une trame, l'écrivain journaliste Badr Eddine El Mili a posé les jalons du débat via son premier roman qui vient de sortir aux éditions Casbah et qui traite précisément de cette lancinante question. Faut-il diaboliser la langue française et les Algériens ayant tété les mamelles de la culture française de gré ou de force ? Cette interrogation, pour absurde qu'elle puisse paraître, n'en est pas moins d'actualité quand on assiste à des campagnes ininterrompues de lynchage de ceux qu'on appelle les « partisans de l'école française ». Tout au long de son exposé très documenté, le conférencier, lui-même issu de cette école dans le Constantinois, a restitué avec force arguments le mérite et le talent de ces Algériens qui ont subi cette entreprise de déculturation aux accents « racistes » en y puisant un savoir qui allait servir de matériel et de « butin » de guerre contre le colonialisme. « L'école française a servi de larges segments de la révolution. Il faut rappeler que tous les documents de notre glorieuse révolution et même la presse du mouvement de libération ont été édités en langue française », affirme l'orateur. Et d'ajouter que la langue de l'occupant a également inspiré les grands hommes de lettres algériens qui ont donné un essor à la « littérature de combat qui a donné un caractère universel à l'humanisme algérien ». Arabisants-francisants : Le malentendu historique Badr Eddine El Mili ne nie pas que la France coloniale veuille à travers la langue française « déraciner le peuple algérien et dénaturer sa personnalité ». Fallait et faudrait-il pour autant jeter la pierre à tous ceux qui ont fréquenté l'école française ? « Non », répond le conférencier, qui insiste sur la prise de conscience des responsables du mouvement national sur l'importance du « savoir, clé de voûte du succès de l'entreprise de décolonisation ». A ses yeux, il est faux de condamner les « francisants » d'être les enfants « légitimes » de la France, pour la simple raison qu'ils furent à l'avant-garde de la lutte pour l'indépendance. Qu'est-ce qui expliquerait alors cette dichotomie entre francisants-arabisants, francophones-arabophones si prégnante à ce jour ? Badr Eddine El Mili est catégorique : la faute incombe aux autorités qui n'ont su cristalliser « les valeurs de Novembre à partir d'une société pluraliste ». Il en veut pour preuve que certaines élites arabophones ont subi une sorte de « discrimination en ne trouvant aucun débouché dans une administration algérienne résolument francophone ». Pis, cette frustration a servi, d'après lui, de carburant à un mouvement contestataire d'obédience « intégriste ». En filigrane, c'est un peu le projet de la France coloniale qui a connu son aboutissement après l'indépendance de l'Algérie en ce sens que les deux catégories d'Algériens « étaient peut-être programmées » pour ne pas s'entendre. C'est le point de chute du roman de Badr Eddine El Mili. C'est aussi le cœur de la problématique de l'identité nationale qui mine l'Algérie depuis 1962. Durant le débat, tout le monde s'est accordé à soutenir que la duel entre élites arabophones et francophones n'est qu'un faux clivage destiné à asseoir la domination de ceux qui ont confisqué le pouvoir et assistent de loin à ce spectacle peu glorieux entre « frères ennemis ». Cette catégorie d'Algériens n'a pas de problème d'identité. La preuve ? Ce sont les farouches défenseurs de la langue arabe qui envoient leurs rejetons dans les écoles et universités françaises et se soignent dans les hôpitaux parisiens. Ils ont compris l'enjeu : garder les rênes du pouvoir par la langue de Molière quitte à tordre le cou à celle d'El Moutanabi. Et « hizb França » c'est les autres, c'est-à-dire leurs adversaires politiques… Hassan Moali