Traînant péniblement son gros cartable, Nawal, âgée de huit ans habitant le bidonville de Rehahlia à Oued Aïssi (5 km à la sortie est de Tizi Ouzou) est rentrée très tôt chez elle. Son école, distante de trois kilomètres, est fermée à cause de la neige qui s'est abattue sur la région durant le week-end. Le froid glacial a marqué ses mains frêles et son visage innocent. Elle n'est nullement pressée de rentrer à la « maison ». Celle-ci est faite de parpaing, de tôle rouillée et de quelques troncs d'eucalyptus servant de piliers. « Il fait très froid à l'intérieur et nous n'avons rien pour nous chauffer », se désole Nawel. Ceux qui ont quelques moyens se chauffent au bois, mais pas durant tout l'hiver, affirme-t-on. Un tour dans l'une de ces demeures suffit à confirmer les dires de la petite fille. Dans les gourbis s'entassent les familles nombreuses dans le plus grand dénuement. L'atmosphère est suffocante à cause de l'humidité. Les eaux s'infiltrent du toit et ruissellent sur le sol qui a été à peine cimenté. Les ordures ménagères jetées aux alentours attirent rats et chiens errants. Les eaux usées sont déversées à ciel ouvert pour se retrouver dans l'oued, situé à proximité. Au milieu de tout ce bourbier, l'on voit jouer des enfants qui tombent souvent malades. La majorité d'entre eux ne consultent jamais de médecin faute d'argent. Le climat d'humidité et de saleté favorise la propagation des maladies comme les affections respiratoires, les rhumatismes ou encore l'asthme qui affecte de nombreux habitants. Ces derniers soulignent d'ailleurs l'absence des services de santé pour mener des campagnes de vaccination, afin de limiter les dégâts. Le passage entre les baraques est boueux. Plusieurs de ces dernières ont cédé sous le poids de la neige et des branches d'arbres. Mouloud, 54 ans, a failli être tué par un tronc d'arbre tombé sur sa demeure. Originaire de Frais-Vallon à Alger, il s'était installé à Rehahlia en 1995 pour fuir le terrorisme. Il est alité et a du mal à parler. Dans la pièce qui lui sert de cuisine et de chambre à coucher, il fait noir et l'endroit est une véritable chambre froide. Pour le déjeuner, sa fille Naïma a fait des pâtes. « Il nous arrive de ne rien manger pendant des jours ou consommer des repas froids que les âmes charitables nous offrent », dit-il, résigné. « Les pouvoirs publics nous considèrent souvent comme des nomades, donc nous ne méritons aucune aide », s'indigne Souieh, un homme de 58 ans. Il est divorcé depuis 1998 et a élu domicile dans une camionnette qu'il a aménagée en couchette. Les longues années de privation et de misère l'ont fatigué. Muni d'une pioche, il attend qu'un camion privé passe pour lui charger du sable dans l'oued Sebaou. Ce travail, il le fait depuis qu'il était jeune. L'extraction de sable de l'oued est son seul gagne-pain comme cela est le cas pour la majeure partie des 60 familles du bidonville. Ce métier est celui aussi des jeunes qui quittent les bancs de l'école prématurément pour rejoindre la misère du bidonville. Durant cette période de grandes intempéries, ils se regroupent durant toute la journée sur le vieux pont pour observer l'oued en crue. Ils regrettent de ne plus travailler comme avant après l'installation de deux sablières privées près de leur quartier. Bordant l'autre rive de l'oued, un autre bidonville, composé de plus de 120 foyers, est là depuis la période coloniale. Ses habitants tentent tant bien que mal de s'offrir des bâtisses en parpaing pour se prémunir du froid. Ce hameau relève territorialement, note-t-on dans une autorisation d'ouverture d'une salle de prière, de l'APC d'Irdjen, dans la daïra de Larbâa Nath Irathen. Il n'est alimenté en électricité qu'à partir une seule ligne que les habitants ont installée illégalement durant les évènements d'avril 2001. Pour s'approvisionner en eau, des puits ont été creusés sur place alors que le réseau d'assainissement est inexistant, constate-t-on. Comme leurs voisins de Rehahlia, les résidants de ce bidonville sont rongés par la pauvreté et l'indifférence des autorités. « Les responsables locaux et les partis politiques ne se rappellent de nous que lors des échéances électorales durant lesquelles ils nous promettent travail et logement. Mais après, ils disparaissent pour s'occuper de leurs affaires », s'indigne un homme de 40 ans, né dans cet endroit, qui ne peut assurer à ses enfants des conditions de vie différentes de celles qu'il a connues.