C'est un texte, publié sur un blog sans l'autorisation de l'auteur des propos, qui a créé la polémique. Dans un mail, Vincent Geisser, chercheur au CNRS spécialiste de l'Islam, apporte son soutien à Sabrina Trojet, doctorante à l'université Paul Sabatier (Toulouse), qui a perdu en février son allocation de recherche après avoir refusé d'abandonner le voile qu'elle portait pourtant depuis deux ans. La présidence de l'université lui reproche de ne pas se conformer au principe de neutralité exigé des agents publics. « Le FD (fonctionnaire défense, ndlr) est un idéologue qui traque les musulmans et leurs amis », comme à une certaine époque où on traquait les juifs et les justes. Le FD constitue des dossiers sécuritaires sur un nombre de chercheurs du CNRS afin de les sanctionner. Sa cible privilégiée ? Les chercheurs travaillant sur le monde arabe et musulman, mais aussi les chercheurs ayant des accointances avec l'Islam. Le texte se retrouve sur un blog de soutien à la chercheuse sans l'aval de Vincent Geisser. Le « fonctionnaire de défense », Joseph Illand, ingénieur-général chargé au CNRS de la « sauvegarde du patrimoine scientifique », s'estime diffamé et porte plainte au pénal. La direction du CNRS convoque le chercheur devant la commission de discipline le 29 juin, jugeant ses propos « calomnieux et injurieux » et contraires à l'obligation de réserve qui s'applique à tout fonctionnaire. La défense de Vincent Geisser s'organise très vite. Près de 3000 chercheurs ont signé une pétition de soutien, sans pour autant cautionner les propos excessifs de l'islamologue. « Le dossier constitué contre V. Geisser ne comporte en tout et pour tout qu'un mail, et ce mail est privé (diffusé à l'insu de son auteur et contre sa volonté), il n'y a en tout état de cause ni diffamation susceptible de justifier une procédure judiciaire ni matière à la réunion d'un conseil de discipline. (…) Et l'on ne peut oublier que cette convocation intervient après quatre ans de harcèlement », explique Esther Benbassa, directrice d'études à l'Ecole pratique des hautes études. Le comité de soutien craint une sanction qui ferait jurisprudence et qui oblige les chercheurs au devoir de réserve. Olivier Roy, également spécialiste de l'Islam, témoigne avoir reçu il y a deux ans un courriel de Joseph Illand lui reprochant « de mieux traiter l'Islam que le christianisme ». Selon lui, cette affaire est loin d'être un conflit entre deux personnes mais bien « une croisade contre l'Islam ». « En 2007-2008, j'ai reçu un mail signé du haut fonctionnaire de défense me reprochant de mieux traiter l'Islam que le christianisme. Estimant que cette personne n'avait pas à faire état de ses fonctions en exprimant ses opinions personnelles à l'encontre d'un fonctionnaire sur qui il pouvait avoir autorité et en accord avec mon directeur de laboratoire, j'ai ignoré ce message et je l'ai mis en spam. Il apparaît maintenant qu'il s'agissait d'une sorte de provocation et je regrette d'avoir traité cette affaire simplement par le mépris », témoigne-t-il dans Rue89. Interpellée, Valérie Pécresse, ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche estime qu'elle ne peut s'exprimer sur « un litige qui donne lieu à une procédure judiciaire », mais rappelle qu'il est de sa « responsabilité de garantir la liberté de pensée et d'opinion des chercheurs ». Les chercheurs ont décidé de rester vigilants sur cette affaire.