Le président américain actuel et son équipe ont compris que l'islamophobie est contre-productive et participe à la mondialisation de l'insécurité. Ce que le citoyen musulman du monde entier demande aux décideurs occidentaux c'est d'être justes, ni islamophobie, ni islamophilie. Sur le plan international, et à tout le moins régional, le discours du président américain, Barack Hussein Obama, redonne de l'espoir malgré ses limites et ses non-dits. Le changement de la politique extérieure des Etats-Unis, dit-on, ne s'explique pas seulement par les idées et l'histoire personnelles du président américain. Cette politique est certes le fruit d'arbitrages entre les élites américaines, républicaines et démocrates, et bien avant l'élection de Barack Obama, une partie de ces élites s'était, dit-on encore, montrée critique envers la conduite de l'occupation de l'Irak et de l'Afghanistan et la gestion du dossier du nucléaire iranien. Sans doute, mais n'empêche que la question de l'Islam est au centre des stratégies et des débats, au moins depuis 1989. Barack Obama aborde la question avec des nuances différentes. C'est exagérer que de laisser entendre que ces mots sont sur le fond les mêmes que ceux de l'infâme Bush, même si au sujet de la question palestinienne, Obama n'emploie ni les mots qu'il faut ni ne présente un projet décisif. Ce qui est décevant et préoccupant. Il sera jugé sur ce point et pas sur les sourires et les amabilités. Trois leçons au moins sont à retenir de ce discours de rupture. Premièrement. Ce discours montre que le président américain actuel et son équipe ont compris que l'islamophobie est contre-productive et participe à la mondialisation de l'insécurité. Les causes de l'insécurité sont les injustices, l'ignorance et les instrumentalisations de la religion. La violence aveugle est injustifiable, mais il faut en cerner les causes et combattre ses expressions en amont et en aval. L'islamophobie fait le jeu des extrémistes de tout bord. Les causes de la déformation de l'image des musulmans sont connues, elles sont internes et externes. Certains veulent faire croire qu'elles sont seulement internes. Les injustices et colonies en Palestine, les discriminations que subissent les musulmans en Occident, notamment en Europe, et l'activisme des mouvements d'extrême droite sont bien connus, mais peu de mesures fermes sont prises pour y remédier. Le discours de Barack Obama donne à réfléchir et met à nu les contradictions de ceux qui occultent la réalité de l'islamophobie et cherchent à faire croire qu'aucun problème ne se pose et qui pensaient avoir réglé la question en interdisant par exemple le port du voile. En France, le port du voile n'est pas interdit seulement au guichet des administrations, mais à l'école, selon la loi du 15 mars 2004, dite «du voile islamique» (loi 2004-228). Certes, trop de mouvements politico-religieux rétrogrades et passéistes revendiquent le port du voile et utilisaient cette question à des fins étroites, et la modernité doit rester un objectif prioritaire, mais de la manière dont tant de courants islamophobes ont réglé leurs comptes, inventé un nouvel ennemi, et instrumentalisé cet aspect, nuit à l'idée de modernité et affaiblit le combat contre l'intégrisme. L'islamophobie nourrit l'extrémisme Reste qu'il faut comprendre que pas seulement les islamophobes, nombre d'honnêtes gens étaient pour l'interdiction du voile pour trois raisons. Pour préserver la «paix civile» à l'intérieur des établissements scolaires: elles estimaient qu'il aurait été dangereux de laisser chacun se lancer dans la concurrence des signes religieux. Ensuite, parce que des établissements craignaient le risque de pression sur les plus jeunes. Et enfin, le voile était utilisé comme moyen de propagande par les groupes intégristes, ce qui est contraire au principe de respect de la liberté. Au Caire, le président des Etats-Unis a dit: «Il est important pour les pays occidentaux d'éviter de gêner les citoyens musulmans de pratiquer leur religion comme ils le souhaitent, par exemple en dictant les vêtements qu'une femme doit porter (...) On ne peut dissimuler l'hostilité envers une religion derrière le faux-semblant du libéralisme.» «Je rejette, a-t-il ajouté, les vues de certains en Occident» qui voient «comme une inégalité le fait qu'une femme choisisse de couvrir ses cheveux». Cette approche montre que l'Occident n'est pas monolithique et que le débat reste ouvert. Plus encore, contrairement à ce qu'a affirmé avec légèreté Malek Chebel, les déclarations d'Obama ne favorisent pas le radicalisme. Car tant que l'Occident est intolérant et pratique des amalgames, les extrémistes en profitent. Des positions comme celles d'Obama permettent à l'immense majorité des musulmans de ne pas suivre les extrémistes. L'islamophobie, qui confond à dessein islamisme et Islam, nourrit l'extrémisme, et au contraire, le respect du droit à la différence le tarit. Deuxièmement. Ce discours pose la grande question de la démocratie et de l'égalité au coeur des problèmes. C'est aussi ce que les militants du droit revendiquent depuis des décennies. Obama n'élude pas la question de la démocratie dans les pays musulmans et celle du statut des femmes. Ce discours défend pour les femmes la liberté et la prône dans le cadre de la liberté religieuse, et condamne aussi les limites à la liberté dans des pays musulmans. En vérité, la femme est l'objet en Occident, du libéralisme sauvage et l'objet en Orient, de l'inculture, c'est cela qu'il faut changer d'autant que le vrai Islam honore la femme et ne crée pas de confusion. Il faut accepter la critique sur la question de la démocratie interne, pour qu'on puisse aussi avoir le droit à la critique du système dominant. Obama a précisé avec raison: «Chez certains musulmans il existe une tendance inquiétante à mesurer sa foi par le rejet de celle d'autrui» et demande le respect de cette liberté. Le droit à la différence et la sécularisation de la société: l'Islam ne s'y oppose pas, c'est ce qu'il faut faire comprendre à tous. L'Hégémonie est vouée à l'échec Troisièmement. Sur le plan politique Obama reconnaît un fait majeur: l'impossibilité d'imposer par la force le modèle hégémonique. Surtout que le système dominant s'éprouve en impasses. C'est un changement radical. Obama s'engage dans la logique de négociations, de la diplomatie et non dans celle de la canonnière et des erreurs du passé: «Ne pas être prisonnier du passé», a-t-il martelé. La démarche d'Obama basée sur le «changement», qui a séduit le peuple américain, est mise à l'épreuve de la situation internationale, en sachant que les Etats-Unis ne renonceront pas à leur leadership. Cependant, c'est une ouverture qu'il ne faut pas rater. On doit tous contribuer à favoriser le changement vers la démocratisation des relations internationales et du monde musulman et transformer la logique du «choc» en celle de la «symbiose». L‘expérience française Le discours d'Obama a fait des vagues en France, notamment au sujet du droit de pratiquer librement la religion musulmane et en particulier la question du port du voile. Malgré le fait que le président français actuel est ouvert à l'idée de laïcité positive et ouverte, le paysage médiatique de ce pays des droits de l'homme, sauf exception, comme pour le journal La Croix et l'hebdo le Nouvel Obs, reste marqué par le dogmatisme du laïcisme intolérant et l'islamophobie. Les médias donnent le plus souvent la parole aux pyromanes et à ceux qui se flagellent et dénigrent leur origine. Ces «musulmans de service», donneurs de leçons, sont pathétiques avec cette pratique de fonds de commerce sur les plateaux de radios, de télévisions et des rédactions de journaux pour plaire à leurs hôtes. C'est à celui qui reniera le plus les valeurs des peuples musulmans, en accusant et en diabolisant à outrance, participant à des confusions et amalgames assassins. Heureusement, le paysage culturel et politique français n'est plus spécialement islamophobe, même s'il existe quelques courants qui ont cette position. En France, la droite globalement n´est pas fortement contre le port du voile à l´école, mais plus contre l´entrée de la Turquie dans l´Europe; la gauche c´est l´inverse. Certains se demandent qui est le plus islamophobe des deux? C´est peut-être plus celui qui refuse de faire une place à l´autre dans sa vie collective. La preuve, malgré la propagande du choc des cultures, malgré le recul des études en islamologie et orientalistes au sens noble du terme, malgré la priorité donnée aux enquêtes de type «policière» par des chercheurs qui haïssent leur objet d'études, fabriquent et dopent des notions de diversion comme le «djihadisme», malgré des difficultés nombreuses, malgré d'un côté la persistance de préjugés, et de l'autre des comportements obscurantistes et (parfois) déraisonnables de pseudomusulmans, les musulmans en France sont de plus en plus perçus comme des citoyens à part entière. Exemple récent positif, une cellule de veille au niveau du tribunal de Lyon vient d'être mise en place au sujet des actes anti-musulmans. Des communautés musulmanes se développent, des mosquées se construisent, l'église catholique dialogue de plus en plus, sans oublier que la fiscalité des dons aux associations religieuses est favorable. Par contre, les Français attendent de l'Etat en France qu'aucune préférence religieuse ne soit marquée, afin que la liberté de culte soit effective. Dans ce sens, il a favorisé la création du Cfcm, même si des soucis légitimes de sécurité et de cohésion étaient parmi les causes. Cependant, tout le monde sait que c'est un acquis, mais des problèmes de fond se posent. Des clivages et de l'incompétence minent les rapports des musulmans entre eux et avec la société. C'est à l'unité, au rassemblement et au dialogue citoyen qu'il faut appeler. Car l'islamophobie n'a pas disparu. Un cas illustre cette situation, celui du chercheur Vincent Geisser, sociologue et politologue français, travaillant à l'Institut de recherches et d'études sur le monde arabe et musulman (Iremam) d'Aix-en-Provence pour le compte du Cnrs. Il a été convoqué devant la «commission administrative paritaire» du Cnrs au motif de «manquement grave» à «l'obligation de réserve à laquelle il est tenu en tant que fonctionnaire». Dans la lettre de convocation, on reproche à l'universitaire, «des propos tenus à l'encontre d'un fonctionnaire de sécurité du Cnrs.». Arrivé au Cnrs en 2003, Geisser, en septembre 2004, commence une enquête sur la place des chercheurs maghrébins ou d'origine maghrébine dans les institutions publiques en France (Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), universités, Cnrs...). «Il s'agissait pour mon équipe de faire une évaluation scientifique rigoureuse de la contribution des chercheurs et des universitaires maghrébins au rayonnement de la recherche française dans le monde», explique-t-il. Le responsable de la sécurité contacte le directeur de laboratoire du chercheur mis en cause pour lui notifier de classer les recherches de ce dernier comme «sujet sensible». Le responsable de l'étude se plaint et pense qu'on lui reproche d'infiltrer le Centre avec un «lobby musulman». Les soupçons sont évidemment ridicules, a-t-il déclaré. Le 4 avril dernier, Geisser envoie un mail privé au comité de soutien d'une étudiante doctorante, à qui le Cnrs vient de supprimer l'allocation de recherche parce qu'elle a refusé d'abandonner son voile. Dans son message, le chercheur compare «l'action sécuritaire au Cnrs aux méthodes utilisées contre les Juifs et les Justes» pendant la Seconde Guerre mondiale. C'est la publication de cette lettre sur un blog sans son accord, qui a valu à Geisser d'être convoqué devant les instances disciplinaires du Cnrs. Vincent Geisser, par le passé a été vivement et injustement critiqué par les courants islamophobes après la publication de son livre La nouvelle islamophobie. Dans cette affaire, il avait reçu le soutien dans une pétition, de plusieurs universitaires et chercheurs français dont Pascal Boniface, directeur de l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), Edgar Morin et Etienne Balibar, philosophes, Olivier Roy, politologue et spécialiste de l'Islam. L'influence des savants et des intellectuels est certes quelque peu en déclin dans les sociétés de la dictature du Marché, mais l'attaque contre ce chercheur est injuste et montre que l'islamophobie reste une triste réalité, même si elle n'est pas générale. Des intellectuels objectifs tissent par la circulation de leur pensée et de leur parole des mouvements citoyens pour défendre la liberté et la fraternité, c'est cela qui est le plus important. «Si la liberté est nécessaire pour penser et écrire, il va de soi que l'obligation de réserve qui s'applique à certaines catégories de fonctionnaires ne peut s'appliquer à leur cas, sauf à n'attendre d'eux que la reproduction d'une doctrine officielle et stérile.» Telle est aussi la pensée d'Esther Benbasa, intellectuelle française, juive, qui défend les causes justes. Aujourd'hui, la convocation devant une commission disciplinaire de notre collègue Vincent Geisser, accusé d'«islamophilie», constitue un signe alarmant au sujet de l'islamophobie. «Le traitement indigne auquel il est soumis est une honte», notent des intellectuels français et la ministre Valérie Pécresse a pris position pour la liberté des chercheurs. Affaire à suivre. En attendant, il ne faut pas désespérer les justes de tous les peuples. (*) Président du Forum des intellectuels algériens www.mustapha-cherif.net