La récente réouverture au public, après de très longues années d'absence, du jardin d'Essais d'Alger, le formidable engouement qui a accompagné cet événement, montrent à quel point un tel espace de récréation, de loisirs et d'apprentissage est nécessaire à la capitale. Alger a vu disparaître, l'un après l'autre, ses sites emblématiques les plus fortement liés à ses activités ludiques et culturelles. Il en est ainsi des lieux privilégiés, proches de la Cinémathèque d'Alger, ou du Théâtre national algérien, où les artistes aimaient se retrouver dans un esprit de convivialité et d'échange d'idées souvent passionné. On peut en dire autant de la famille universitaire et estudiantine qui avait des espaces de référence. Ces endroits, que ne célèbre plus aujourd'hui une mémoire forcément nostalgique, ont disparu au profit du vide, véritable suicide symbolique qui bénéficie d'abord aux tenants de la régression. Le jardin d'Essais était fermé comme le sont désormais toutes les salles de cinéma, un nombre grandissant de librairies et les restaurants, cafés, ou pâtisseries peu ou prou liés à la sphère intellectuelle. C'est ainsi que la capitale a été amputée de cette dynamique de la convivialité qui était une quasi seconde nature pour ses habitants lorsque les institutions culturelles jouaient leur rôle au point qu'il y avait foule à la salle des Actes de l'université d'Alger et que les débats à la Cinémathèque d'Alger se prolongeaient jusqu'à l'aube. Les livres, en dépit d'un pouvoir d'achat restreint, étaient disponibles en quantités telles que les Algériens les achetaient par couffins pleins. C'était le cas à Alger, mais aussi dans les villes de l'intérieur du pays. Cet appétit pour les choses de l'esprit, ce sens développé du beau ont été taillés par le surgissement, puis l'affirmation à la fin des années 1980, il y a si peu encore, d'un rigorisme qui a vite viré à l'intégrisme castrateur. Le cinéma, le théâtre, la musique, les arts plastiques ont été pratiquement proscrits de manifestation publique et leurs lieux fédérateurs assignés à d'autres vocations. C'est ainsi qu'on a vu, et qu'on continue de voir, des librairies associées à l'histoire même de la capitale transformées en pizzerias. Cette destruction systématique des repères qui forgent l'identité d'une ville autant que de sa population entraîne forcément des séquelles. La preuve en a été donnée au jardin d'Essais rouvert, où ont eu lieu des scènes de vandalisme effroyables qui ont vu des animaux molestés et des arbres dégradés. L'attitude irrespectueuse d'une partie, certes minime, du public n'atteste pas seulement d'un déficit d'éducation et de civilité, elle traduit une posture d'autopunition, car en altérant ainsi le jardin d'Essais, c'est leur propre conscience sociale que les auteurs de tels actes atteignent. C'est un énorme travail de refondation qui attend les institutions compétentes de l'Etat et la société civile pour réintroduire dans l'espace public des habitudes aussi fortement normalisées ailleurs dans le monde que le fait de respecter les œuvres de l'esprit et de la nature, et de protéger la faune et la flore. Lorsqu'on en arrive à agresser des animaux, à piétiner des fleurs, c'est que la part d'humanité qui fait la citoyenneté s'est érodée en cours de chemin.