Des œuvres qui atteignent le sommet de l'art. Pour autant, cela ne nous fait pas oublier que, le lendemain, nous avons essayé de voir jusqu'au bout l'exécrable opus de Quentin Tarantino Inglorious : Bastards, une «chose» qui n'a absolument aucun intérêt cinématographique et qui laisse une impression très mitigée, gênante à se demander pourquoi le festival de Cannes, depuis quelques années, tente de mettre en selle la machine Tarantino très proche du degré zéro de la culture et de l'art. Ce dernier opus sur la Seconde Guerre mondiale est faux et malhonnête : dès la première séquence, on voit un petit paysan français qui révèle à un colonel SS allemand où se cachent les juifs du village. Terrible ignorance de l'histoire : car où serait aujourd'hui Mme Simone Weil si des paysans français, de l'arrière-pays de Nice, ne l'avaient pas cachée et protégée contre les rafles nazis ? Et cela n'est qu'un exemple parmi des milliers de comportements héroïques des paysans de France et que Rachid Bouchareb a évoqué avec talent dans Indigènes. La thèse de Tarantino, c'est qu'il n'y avait qu'un commando de soldats juifs américains pour défendre les juifs français… Quelle blague ! Et son film est truffé d'une violence abjecte, insupportable à regarder sur l'écran. A fuir ! Mais qui se plaindra que la même sélection a aussi montré l'autre machine mille fois plus sympathique, celle de Pédro Almodovar qui, dans Etreintes brisées, mélo moderne et très brillant, raconte le passé et le présent d'un cinéaste aveugle suite à un accident, où il a perdu son amante et actrice, notamment Pénélope Cruz, qui trouve là encore un rôle à la mesure de son talent. Inutile de dire que le film d'Almodovar a raflé à cannes l'adhésion massive du public et des journalistes, toujours ses ardents défenseurs. Heureuse sélection qui a permis le retour, après tant d'années, d'Alain Resnais avec Les Herbes folles, comédie délirante avec de magnifiques acteurs : Sabine Azéma et André Dussolier. Mais ce jour-là, ce mardi béni, où l'on n'a pas quitté la salle, l'émotion la plus grande est venue de Vincere du grand cinéaste italien Marco Bellocchio. Là aussi nous étions aux antipodes du lamentable cirque de Tarantino. Vincere est la tragique histoire d'amour et de trahison d'Ida Dalser, la première épouse de Benito Mussolini, quand il n'était qu'un militant socialiste obscur. De cette union est né un fils nommé Albino. Marco Bellocchio nous montre d'abord comment Ida, jeune et belle Milanaise très éduquée, qui a fait des études de médecine à Paris, propriétaire d'un institut de beauté dans le Milan chic du début du siècle dernier, a rencontré par hasard Mussolini lors d'un meeting où il haranguait déjà les foules. La suite est dramatique. Ida tombe amoureuse du futur dirigeant fasciste et elle vend tous ses biens pour lui permettre de financer son journal Popolo d'Italia. Mais devenu Duce et arrivé à la tête de l'Etat, Mussolini abandonne Ida et se marie avec Rachel, une serveuse de restaurant fruste, analphabète : l'image qui pour lui correspond à la femme italienne dans la nouvelle société. C'est la descente aux enfers pour Ida et son fils. Elle se retrouve dans un asile psychiatrique et son fils, lui, dans un orphelinat. Il va sans dire que leur tragédie ira à son terme. Composée telle une tragédie grecque (Antigone peut-être ?) et mise en scène comme un drame lyrique (l'opéra Aïda), alors que la musique transporte le spectateur au plus fort de l'émotion, que les éléments naturels : le vent, l'orage, la foudre, le tonnerre, la pluie, la neige participent à l'intensité du drame. Cette œuvre éblouissante est aussi portée par de grands interprètes. Giovanna Mezzogiorno joue Ida et mériterait le grand prix d'interprétation et Filippo Timi est un Mussolini impressionnant. Un Mussolini à qui Ida écrit un jour : «Ah ! Mourir sans pouvoir à nouveau serrer mon fils dans mes bras ! Va donc, Duce ! Tu n'es qu'un misérable !»