Les nouvelles du front (cinématographique) palestinien sont de plus en plus prometteuses. A la Quinzaine des Réalisateurs, Amerrika de Cherien Dabis a fait bonne impression, la cinéaste, née aux USA, a réussi à raconter, sur le ton de la comédie, les péripéties d'une femme (Nisreen Faour) avec ado, obligée par les vicissitudes de la vie sous l'occupation israélienne à faire le choix d'émigrer en Amérique, auprès d'une soeur (Hiam Abbass toujours talentueuse) mariée à un dentiste palestinien. Un regard clairvoyant dans sa noirceur, qui annonce l'arrivée d'une réalisatrice prometteuse. Célébrité du théâtre palestinien, Nisreen Faour laissera une trace sur la Croisette. En juin, elle sera à l'affiche du premier opéra jamais monté en Palestine et qui sera coproduit avec l'Allemagne. Quant à Hiam Abbass, elle continue à faire une carrière internationale des plus prisées. Sans doute reviendra-t-elle à Cannes, en 2010, avec Julian Schnabel qui lui a donné, dans Miral, le rôle titre celui de Hindi Husseini, une «Gandhi palestinienne», qui a recueilli dès le début de la Nakba, en 1947, 55 enfants orphelins rescapés d'un massacre perpétré par l'armée de la Haganah, l'aile terroriste israélienne (selon même la terminologie britannique de l'époque). Vanessa Redgrave, Yasmine Elmasri et William Dafoe sont aussi de l'aventure. En sélection officielle et dans la course pour la Palme d'Or, c'est aussi un film palestinien, The Times that remains (Temps qui reste) d'Elia Suleiman qui fait parler de lui depuis hier. En 2002, Suleiman avait décroché le Prix du jury de Cannes avec son inénarrable Intervention Divine. Cette année, toujours dans la même veine, «keatonienne», il se penche avec gravité, sans oublier d'être léger (ou plutôt aérien) sur la prise de la ville de Nazareth, en 1947... Cynique comme il sait l'être, le cinéaste palestinien, tout en rendant hommage aux résistants qui, à l'image de son père, ont fait le coup de feu avec d'hétéroclites armes anglaises chargées de munitions allemandes, ne manque pas de faire un léger crochet du côté de ceux qui ont détalé aussitôt vers les rives du Jourdain. L'armée israélienne, bien pourvue par l'occupant britannique, elle, se chargea du reste. L'expulsion de centaines de milliers de Palestiniens hors des frontières de la Palestine de l'époque. Sur le ton de la chronique, Elia Suleiman a opté pour un décor central, la maison familiale, la transformant en poste de vigie du temps qui passe, et qui est passé, avec son lot d'injustices, de massacres, de brimades, tout cela dit avec l'humour qui sied aux gens désespérés mais pas du tout défaits. Le sourire et parfois même le rire accompagnent le spectateur qui ressort de la salle avec pourtant dans la bouche un goût de cendre, mais aussi l'impression d'être devenu un peu plus intelligent, plus humain... Saleh Bakri sur les traces de son père Mohamed Bakri est la révélation artistique de ce film solaire. Un soleil à la Ghassan Kanafani, celui qui a inspiré Les Dupes de Tewfik Salah. Le jury aura fort à faire avec le film d'Elia Suleiman. Une chronique qui commence avec le fez du maire de Nazareth, obligé de signer la reddition de sa ville et finit avec le keffieh de l'Intifadha... De même qu'il le sera aussi avec la (bonne) surprise française A l'Origine de Xavier Gianoli, qui a étonné plus d'un spectateur qui s'attendait à...A quoi au fait? Who Knows. Toujours est-il que là aussi la séduction est grande à l'évocation de cette histoire (vraie) de cet homme, sorti de prison et parti pour escroquer des gens humiliés par le chômage sévissant dans une petite ville du nord de la France, se retrouve «piégé» par le propre système qu'il avait mis en place destiné à les dépouiller de leurs économies. En leur proposant de reprendre le chantier d'une autoroute abandonné par une grosse multinationale, il découvre qu'il s'est laissé aussi gagner par la portée de cette démarche prométhéenne destinée surtout à rétablir des femmes et des hommes dans leur dignité. Et du coup, celui qui a pris tous les risques de faire à coups de collage de logos et de photocopies une raison sociale de façade pour faire redémarrer ce chantier de grands travaux, décide, même le dos au mur, de ne pas prendre la clé des champs pour sauver sa peau, mais de mettre un point d'honneur à mener son idée jusqu'au bout. François Cluzet a porté cette histoire avec beaucoup de maestria, il aurait fallu un peu plus de noirceur cinématographique et plus de cette cruauté du désespoir pour que Xavier Gianoli réussisse tout à fait son «hold-up» cannois. Ce qui n'est pas le cas d'un vieux briscard du festival, l'Autrichien Michael Haneke qui risque, avec ce cynisme qui est sa marque de fabrique, et ce portait au scalpel de la société allemande qu'il connait si bien, de transformer Le Ruban Blanc en quelque chose de vermeil. C'est tellement rondement bien mené qu'hormis ceux qui ont fréquenté la cinémathèque d'Alger (ou d'ailleurs) du temps de Ahmed Hocine et de Karèche, peu se souviendront que Werner Herzog avait déjà abordé ce thème de la fabrication des dictateurs avec son incroyable Les Nains aussi ont commencé petits... A propos de Le Ruban Blanc, Haneke confie qu'il s'agit là d'un film sur les racines du mal. Mon propos était de montrer comment, lorsqu'on érige des principes ou des idéaux de façon absolue, on devient monstrueux, inhumain. (...) Les enfants ont tendance à prendre terriblement au sérieux ce qu'on leur prêche. Ils vont se faire les juges de ceux, pasteurs et parents, qui leur ont inculqué un rigorisme moral mais qui ont été bien incapables de le mettre au service de leurs propres actes. Ces enfants vont alors se prendre pour la main droite de Dieu, et accomplir le mal. C'est la génération qui deviendra nazie...Mais ce n'est pas qu'un film sur les origines du fascisme, il parle de tous les terrorismes idéologiques, politiques ou religieux. Il peut avoir des résonances à l'orée même des derniers maquis en Algérie où on tente d'embrigader des enfants, déjà préconditionnés pour les sacrifier en kamikazes... Isabelle Huppert qui a été couronnée à Cannes avec un film de Haneke La Pianiste, à son poste de président du jury, va se retrouver dans une posture cornélienne... Souhaitons qu'elle n'hésitera pas trop pour donner un Prix à Vincere de Marco Bellochio qui raconte l'histoire incroyable de cette femme, Ida Dalser, qui a aimé Benito Mussolini au point de lui donner toute sa fortune pour qu'il lance son journal (Il Popolo d'Italia) et qui a eu un enfant de lui. Une fois devenu le Duce, fasciste notoire, Mussolini l'écartera de son chemin pour l'interner dans un asile, la séparant aussi de son fils, qui sera plus tard enfermé aussi jusqu'à sa mort et enterré avec sa mère dans une fosse commune. Un grand Bellochio qui pourrait valoir à son actrice Giovanna Mezzogiorno, le sacre féminin à Cannes.