S'exprimant dans les colonnes du quotidien El Watan du samedi 16 juin 2009, le président de la commission de réforme du code de procédure civile a défendu son texte, il n'y a rien de plus naturel en cela, bien au contraire, il est souhaitable que s'instaure, dans ce pays, la tradition et l'usage du débat et de la communication de la part des pouvoirs publics .En ce sens l'intervention est à saluer. Le défenseur du nouveau code, qui a publié un livre pour les besoins de la cause, a ramené à une simple incompréhension toutes les protestations et critiques qui fusent ici et là. Cette position est bien réductrice. La réplique est indélicate : Tous les professionnels qui vivent avec ce texte dans les tribunaux et les cours n'ont donc pas compris ..... tout simplement. Pourtant, le nouveau texte continue à révéler ses effets pervers. On ne réforme pas un texte de cette façon d'une manière aussi radicale. on efface tout et on recommence. Cette option dénote une méconnaissance de la complexité du terrain. Une sagesse élémentaire écarte la méthode de la table rase en matière judiciaire ; la justice est une dame majestueuse qui marche lentement. Le choix stratégique d'une réforme radicale ; Bannir un texte, ou plutôt un code et en promulguer un nouveau n'obéit à aucune logique judiciaire ou juridique, cela souscrit de l'esprit négatif des mauvaises révolutions. Après tout l'ancien texte — comme tous les autres — était potentiellement perfectible. Une nouveauté de cette envergure s'accompagne inéluctablement d'effets pervers et d' inhérences à toute transition brutale qui vont alourdir et compliquer le fonctionnement d'une machine déjà complexe. Les responsables de cette option contraire à toute mauvaise gouvernance judiciaire ressentent-ils et se sentent-ils vraiment responsables des nouvelles difficultés et misères qu'ils causent et imposent maintenant aux citoyens et aux justiciables ? La préparation de la réforme a peut-être duré cinq ans, mais comporte les signes d'un mauvais plagiat. Cinq ans de préparation à huis clos par des chargés d'études dans les bureaux d'un ministère loin du brouhaha et des tumultes quotidiens et permanents des tribunaux et des cours. La réforme est entachée d'un déficience originelle, celle d'avoir été conçue menée et finalisée en l'absence de deux corporations incontournables qui vivent avec le code dans sa quotidienneté, les huissiers et les avocats. La conception d'un projet par des cadres du ministère qui n'ont pas connu ou n'ont connu que très peu le terrain judiciaire ne peut enfanter qu'un texte en porte-à-faux car la procédure est d'abord et avant tout et aussi après tout une pratique et une pratique quotidienne. Une révision partielle ou totale de ce texte doit se référer au vécu. Revenons à l'obligation de traduction de tout document présenté dans le dossier. Elle a été justifiée à la télévision puis dans l'interview du président de la commission de réforme par la récupération de notre souveraineté. D'abord trêve de démagogie et de surenchère démodée ! Etre souverain, c'est être maître chez soi et décider en toute liberté, en ce sens nous sommes souverains et depuis longtemps ! Notre souveraineté a été récupérée et depuis longtemps grâce au combat de nos valeureux martyrs, elle ne peut être tributaire d'une petite disposition d'un texte de loi. L'auteur de cet argument insinue-t-il que nous avons vécu pendant quarante-sept ans, et continuons à vivre, avec une souveraineté atrophiée ? Tous ceux et toutes celles qui utilisent, dans leur travail quotidien une langue étrangère, sont-ils en train de porter atteinte à notre souveraineté ? Argument incommodant puisé dans la plus crasse et la plus crue des langues de bois ! S'exprimant sur cette question dans l'édition d'El Watan et sur les documents à traduire, le président de la commission de réforme déclare : « De toute façon le magistrat saura apprécier les cas où il faut une traduction. » La déclaration est gravissime, son auteur n'a-t-il pas lu le texte qu'il a élaboré et qu'il défend ? ou plutôt, est-ce là une invitation aux juges à l'illégalité en leur donnent une opportunité de décider là ou la loi fixe une nécessité et une obligation « à peine de nullité ». Au-delà des considérations de principe, d'autres inconséquences découlent de cette nouvelle disposition. Prenons l'exemple suivant : Un dossier de fond constitué d'une centaine de pages à caractère juridique et technique est soumis au juge avec sa traduction officielle. Le juge ordonne la désignation d'un expert qui n'utilisera finalement que les documents en langue française pour deux raisons : 1- Sa propre formation. 2- La rédaction authentique et originelle des documents. L'expert rédigera son rapport en langue française pour les raisons sus- citées et le traduira lui-même ou par un traducteur en langue arabe. En traversant ces deux traductions traîtresses, le rapport d'expertise perdra, sans doute, son sens authentique. Ajoutons à cela le coût pour le justiciable Des difficultés harassantes et éprouvantes sont enfantées par cette nouvelle obligation : Un confrère me raconte qu'un citoyen victime d'un empiétement sur sa propriété foncière et immobilière s'est présenté chez lui pour entamer un procès. Devant le coût de la traduction, il changera d'avis et décida de régler le problème au gourdin ; régler le problème entre hommes, une solution qui a le mérite d'être rapide : « ou mes droits ou la prison ». Lorsque la justice publique faillit, elle laisse la place à la justice privée. Dans une récente affaire, un renvoi pour réplique a été fixé à une semaine. L'avocat, après avoir pris connaissance du mémoire en défense de son adversaire, se trouva dans l'obligation de présenter de nouveaux documents qu'il fallait encore traduire . Le traducteur submergé requit un délai de trois semaines, que la juge refusa d'accorder en raison des impératifs de célérité des procédures et des procès. (autre problème sur lequel nous reviendrons peut être un jour...) Tébessa est une ville où le tribunal est assez mouvementé mais qui ne dispose pas d'un traducteur. Les justiciables doivent faire un trajet de 150 km pour joindre l'office de traduction le plus proche. Je cite cet exemple, parce qu'au hasard d'une rencontre, un confrère m'en a parlé, il y a sans doute plusieurs localités qui sont dans le même cas. Il y a lieu de remarquer la prise en charge tardive de ce problème par la chancellerie, celui du déficit en traducteurs, en s'engageant à délivrer des arguments pour le mois de juin (déclaration faite à la télévision il y a un peu plus d'un mois). D'abord, cette mesure n'a été prise qu'après l'entrée en vigueur du texte qui a soulevé ce problème, pourtant une année de préparation a été aménagée. En outre, nous sommes à la mi-juin et on ne voit rien venir, aucune annonce relative à ces inscriptions n'à été publiée. Une justice qui met des embûches devant les victimes, ouvre la voie aux malfrats et aux plaideurs de mauvaise foi. On a déjà noté la baisse du nombre d'affaires enrôlées au civil et c'est une très mauvaise chose qui dénote des nouvelles difficultés d'accès à la justice contrairement aux allégations, celles d'une accessibilité factice qu'encouragerait cette réforme. L'accessibilité de la justice L'accessibilité à la justice a été un leitmotiv de l'exposé des motifs. Curieux argument que ce rapprochement de la justice alors que les pires difficultés sont posées sur le plan procédural. Dans son interview, le président de la commission de réforme indiquera la décentralisation des pourvois en cour suprême qui peuvent être inscrits au niveau de la cour d'appel et la possibilité pour le justiciable de le faire sans avocat. « Mieux encore, les citoyens ont la possibilité d'introduire personnellement leur pourvoi, sans faire appel à un avocat comme il était de mise avant », dixit le président de la commission de réforme. Curieux paradoxe que cette déclaration. L'avocat est-il devenu obligatoire en cause d'appel mais ne l'est plus devant la Cour suprême ? Parmi les innovations et garanties du nouveau code, le défenseur invoque le principe du contradictoire qui, en fait, n'a jamais fait défaut dans l'ancien texte. Devant la gravité des problèmes et des dysfonctionnements générés , n'en déplaise au président de la commission qui a élaboré l'édit controversé, la chancellerie procède par des replâtrages : Un accord aurait été conclu selon lequel la traduction se limiterait aux documents substantiels. Cautère sur jambe de bois, solution bancale et claudicante ! Accord entre qui et qui ? Quelle est la valeur juridique de cet accord qui vient aménager une disposition à peine de nullité ? Qui fixera les documents substantiels ? Le défendeur aura la tâche facile d'invoquer le caractère substantiel des documents non traduits et voila un autre débat superfétatoire et superflu qui vient allonger le procès. Dans le premier cas, le magistrat donnera raison au défendeur et ordonnera au demandeur un complément de traduction. Dans l'autre, il rejettera la demande et donnera un argument pour la cause d'appel qui se basera sur la violation d'une disposition impérative d'ordre public parce qu'attenante à notre souveraineté. Dans les deux cas, ce débat alourdit le dossier inutilement par une question préjudicielle sur la détermination des pièces substantielles concernées par l'obligation de traduction. D'autres points du nouveau texte méritent d'être soulevés, notamment celui relatif à la relecture obligatoire de la grosse aux parties, alors qu'auparavant les avocats pouvaient la retirer. L'accord sus-cité déroge à cette règle et autorise les avocats à accomplir cette opération. Cette disposition d'un texte censé faciliter l'accès des citoyens à la justice, crée une nouvelle obligation pour les parties de se déplacer parfois vers des tribunaux ou des cours lointaines pour accomplir une formalité dont pouvait les dispenser leur avocat. Outre son caractère alourdissant et compliquant les procédures, cette restriction du mandat de l'avocat vient limiter les attributions de l'avocat nanti d'un mandat général et c'est en ce sens qu'elle porte une suspicion insidieuse sur les robes noires. pourquoi les réformateurs du code de procédure civile ont-ils estimé utile de restreindre les prérogatives universelles de l'avocat nanti d'un mandat de représentation générale et jouissant de la confiance absolue de son client ? Cette disposition ne viendrait-elle pas en préparation d'autres atteintes qui seront portées à l'avocat par le projet de texte relatif à la profession. Les protestations qu'élèvent ici et là des avocats contre les effets néfastes de ce texte ne produisent, hélas qu'un silence assourdissant. N.-E. L. : Avocat