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Réflexions et commentaires d'un ex-magistrat
Publié dans El Watan le 29 - 06 - 2009

Les points de vue exprimés généralement par des juristes confirmés, ne sont pas tous négatifs et quand ils sont très critiques, ne paraissent pas ressortir de la polémique pure et simple. En tout cas, on n'y a trouvé ni mauvaise foi chez leurs auteurs et encore moins une quelconque intention délibérée de dénigrer ceux qui ont initié, conçu, rédigé et approuvé ce code, tel qu'il est dans sa version finale. Du reste, même si certaines dispositions du code ont paru à certains commentateurs, non sans raison parfois, très contestables, personne n'a demandé ou suggéré de «jeter le bébé avec l'eau du bain». C'est en effet un fait évident qu'un nouveau CPCA s'imposait, et ce, pour des raisons nombreuses et variées. L'ancien code déjà «modifié et complété» par plus d'une dizaine de lois et ordonnances de 1967 à 2005, avait certainement besoin d'être remplacé, car beaucoup de changements sont intervenus dans notre organisation judiciaire, comme, notamment, l'institution d'un ordre juridictionnel administratif distinct de l'ordre judiciaire, ou la création de pôles spécialisés dans des contentieux réputés complexes, ou la résurrection de certains corps d'auxiliaires de justice en tant que professions libérales organisées en compagnies, ou le développement de l'entraide judiciaire interétatique, ou encore l'apparition de concepts nouveaux dans les législations internes tels que les modes alternatifs de règlement des litiges — par abréviation MARL —, et bien d'autres notions devenues habituelles dans les conventions universelles et bilatérales conclues et ratifiées par de nombreux Etats, comme les notions de «délai raisonnable» et de «procès équitable» … Il était donc indispensable, pour tenir compte de ces évolutions et changements considérables intervenus au double plan interne et international, de doter le pays d'un code de procédure civile et administrative complètement refondé.
Mais il est évident que ce nouveau code n'est qu'une œuvre humaine ; il n'est donc pas indemne d'imperfections ; certaines d'entre elles ont déjà été relevées dans quelques contributions(1), publiées par la presse ; il en existe certainement d'autres que la pratique judiciaire et la jurisprudence s'emploieront à corriger. II est cependant un point que je souhaiterais à mon tour aborder dans cette modeste contribution, il s'agit de certaines appréciations faites à l'emporte-pièce à propos de l'ancien code de procédure civile, celui de 1966. Cela exige des mises au point et quelques rappels, que je fais sans aucune nostalgie pour une époque qui est bel et bien révolue, et sans vouer aucune adoration pour l'ancien code lui-même, qui n'a jamais été pour moi comme pour d'autres, qu'un simple instrument de travail ; je fais ces mises au point par souci d'objectivité historique et par honnêteté intellectuelle. On a en effet dit, et même écrit dans un «exposé des motifs» que j'ai eu entre les mains, que le code de procédure civile de 1966 avait été «réduit à sa plus simple expression, tant dans la forme que dans le fond», parce qu'il n'y avait à cette époque-là, que peu de magistrats aptes à exercer leurs fonctions. Ces affirmations relèvent de toute évidence du registre de la polémique et n'ont absolument rien à voir avec la critique juridi-
que ; elles ressemblent en réalité à des jugements de valeur ; elles sont, en tout cas totalement infondées. Certes, il y avait parmi les magistrats des premières années de l'indépendance peu de licenciés en droit ; en fait, il y avait peu d'Algériens licenciés en droit et moins encore de docteurs en droit ; on en connaît les raisons : il n'était pas permis à tous les «indigènes» de faire des études à l'université. Mais pour autant, nos magistrats d'alors étaient des praticiens du droit, aux connaissances pratiques et théoriques incontestables.
Il faut rappeler que l'on ne devenait pas «cadi dans une mahkama» ou greffier, secrétaire de parquet, interprète judiciaire, huissier auprès d'un tribunal ou d'une cour d'appel …, sans examen ou concours et sans une longue formation sur le
tas … La plupart de nos magistrats justifiaient au moment de leur intégration en 1969 dans le corps de la magistrature algérienne d'au moins quinze années de pratique judiciaire. Avant l'indépendance, c'était souvent auprès d'eux que «les juges de paix» ou «juges d'instance» venus de France, apprenaient les premiers rudiments de leur métier. On ne citera, pour ne choquer la modestie de personne, aucun nom ; je me contenterais de dire que l'actuelle résidence des magistrats porte le nom d'un ancien président de cour qui fut avant l'indépendance interprète judiciaire ; c'est un hommage mérité. Pour le reste, je me contenterais de renvoyer à la lecture de la liste de tous les magistrats qui ont servi au lendemain de l'indépendance, liste annexée à l'«Annuaire de la Justice. 1965». J'ajouterais enfin qu'il y avait parmi ces «magistrats-pionniers», quelques avocats qui n'étaient pas parmi les moins réputés, professionnellement parlant. Dire que les anciens magistrats avaient besoin de textes «simples et courts», parce que non licenciés en droit est, non seulement quelque chose d'insolite, c'est en plus d'une arrogance scandaleuse. Il me plaît enfin de rappeler que la toute première promotion d'élèves magistrats janvier 1963-juillet 1964), formée de onze éléments, a donné à la Cour suprême un premier président et un procureur général, trois directeurs centraux au ministère, des chefs de cour dont deux sont morts en service et…deux avocats ; s'agissant de ces deux derniers, qui sont toujours mes amis, je me souviens de cette remarque pleine d'humour d'un ancien procureur général de la cour d'Alger, redevenu lui-même avocat : «Chassez le naturel, il revient au barreau !».
On voit à travers ces cas qu'il a toujours existé une sorte de passerelle entre la magistrature et le barreau ; on ne se regardait pas, de part et d'autre, en chiens de faïence. S'agissant du nombre d'articles (479) du code de procédure civile de 1966, je ne puis que rappeler que notre code de 1966 ne pouvait pas être une copie conforme du code.de procédure civile français, qu'il abrogeait et remplaçait. C'est qu'en effet l'organisation judiciaire pour laquelle l'Algérie avait opté en 1965-1966, venait précisément de supprimer les tribunaux de grande instance, les tribunaux d'instance , les conseils des prud'hommes, les tribunaux de commerce composés de commerçants, les tribunaux administratifs et je ne sais quelles commissions paritaires des baux … A la place de cette constellation de juridictions, on a substitué un tribunal de droit commun, divisé en sections et pour le contentieux administratif, une chambre administrative créée au niveau des cours. La procédure fut donc élaguée de toutes ses multiples branches inutiles et fioritures superflues. On a aussi mis fin à quelques archaïsmes avérés : plus d'avoués, plus de placet, ni défaut faute de conclure ni de délais non francs en plus des délais francs. Les procédures d'appel et de cassation ont été délibérément allégées, dans l'intérêt des justiciables et seulement pour cela. La procédure civile et administrative avait donc cessé en 1966 d'être une affaire de procéduriers férus et spécialistes des arcanes de la justice. Plus personne ne pouvait accepter, en effet, qu'il existât encore des «maquis des procédures», ou des labyrinthes semés de pièges et de chausse-trappes, dans lesquels tombaient les justiciables et eux seuls. Pour autant, personne à l'époque n'a prétendu que notre vieux CPC était un modèle du genre que les nations, même développées, nous enviaient et que nous aurions pu exporter comme produit de luxe, avec fatuité et condescendance, vers le monde arabe et l'Afrique ! C'était un outil de travail à usage interne, pas un chef-d'œuvre ! Telle était la réalité des choses et tout le reste n'est que fantasmes.
Que dire à présent du nouveau CPCA, sans répéter ce que d'autres ont dit avant moi ? Je ferais deux séries d'observations, très brèves, les unes de forme, les autres de fond. S'agissant de la forme, il me semble que l'on aurait pu, pour ce nouveau code, adopter un autre plan ; le CPCA est divisé en cinq livres. Les dispositions relatives aux juridictions administratives (livre IV) n'apparaissent qu'après les voies d'exécution (livre III). Les MARL sont traités dans le livre V. Il aurait été plus logique de traiter des juridictions administratives dans le livre III, juste après les juridictions de l'ordre judiciaire.
Le livre IV aurait pu être réservé aux MARL. Les voies d'exécution, au lieu d'être intercalées entre les deux ordres de juridictions, auraient dû former le livre V et final du co-
de ; cela n'aurait pas réduit l'importance des voies d'exécution, mais au contraire donné à ce code bien nommé de procédure, une certaine logique et cohérence. La seconde observation de forme porte sur les «visas» du code. On constate qu'il y manque les lois relatives à l'organisation et au fonctionnement des professions auxiliaires de la justice, qui sont plusieurs fois citées dans le corps du code lui-même, notamment celles des avocats, des huissiers et peut-être aussi des notaires. C'est que l'organisation judiciaire ne se limite pas à celles des juridictions et des magistrats ; elle englobe normalement les professions libérales que je viens d'énumérer et auxquelles le justiciable est obligé par la loi, de recourir.
S'agissant du fond, j'observerais que :
1 -les alinéas 1 et 2 de l'article 3 me paraissent être une paraphrase plus ou moins heureuse de l'article 140 de la Constitution qui dispose : «La justice est fondée sur les principes de légalité et d'égalité. Elle est égale pour tous, accessible à tous et s'exprime dans le respect du droit…»
2- l'alinéa 4 de ce même article 3 du CPCA stipule : «Les juridictions statuent… dans des délais raisonnables.» Rappelons ici qu'en matière civile —contrairement au pénal — la procédure n'est pas menée de bout en bout par les juges ; elle est laissée à la «diligence des parties». La notion de délai raisonnable, qui est nouvelle, reste vague ; dans certains pays, elle a déjà donné lieu à une abondante jurisprudence. On aurait pu donc profiter pour en préciser les contours, en disant que cette notion s'apprécie «in concreto», c'est-à-dire au cas par cas, en fonction de la complexité de l'affaire, des difficultés à établir les faits, du recours à des expertises, du comportement des parties… De toute manière, quelle est la sanction du-non respect de ce délai raisonnable, aux contours si flous ?
3- l'alinéa 3 de l'article 17, qui aurait dû être érigé en article, car il n'a aucun rapport avec les deux précédents, oblige tout demandeur dans une affaire foncière, à publier sa requête introductive d'instance à la Conservation foncière, «sous peine d'irrecevabilité» que le juge pourrait soulever d'office. En droit, la formalité qu'on appelle «La publicité foncière» a pour but d'informer les «tiers» de toute transmission de propriété d'un bien immobilier. Or, on saisit la section foncière non seulement d'une action «pétitoire», mais aussi d'actions «possessoires», ou d'un référé pour faire cesser entre voisins, une gêne, par exemple la construction d'un mur ou l'ouverture d'une fenêtre… Quel intérêt y aurait-il à publier de telles requêtes à la Conservation foncière? A qui incombe l'obligation d'annuler cette publicité quand le demandeur est débouté ? Faudra-t-il encore saisir un juge ? N'est-ce pas là, une fois encore, une formalité qui n'est là que pour empoisonner la vie des justiciables ?
4- Devant les juridictions administratives, on a institué «un ministère public» formé de «commissaires d'Etat et de commissaires d'Etat adjoints». Le rôle et les attributions de ceux-ci auraient gagné à être précisés, comme pour les procureurs des juridictions judiciaires. En l'état actuel du CPCA, les commissaires d'Etat ne peuvent pas : agir par voie d'action ; relever appel des jugements des tribunaux administratifs, se pourvoir en cassation, engager une procédure de dessaisissement ou de renvoi pour suspicion légitime. Ils ne font que donner leur point de vue ou avis sur les dossiers qui leur sont «communiqués» ; cet avis ne lie pas les juges qui ne sont même pas tenus de discuter. C'est regrettable. L'article 502 dispose que les sections «sociales» des tribunaux doivent siéger «à peine de nullité» avec un magistrat président et deux échevins.
5- L'article 533 du même code stipule que les sections «commerciales» siègent avec un magistrat président et deux échevins ; mais là, il n'est pas précisé que la présence de ces échevins est prévue à peine de nullité. Pourquoi ce «deux poids, deux mesures» ?
6- L'article 358 dresse la liste des cas d'ouverture à cassation : il y en a dix-huit !
Cette liste comporte sans doute des redondances. On sait par ailleurs que la Cour suprême a, par la voix de son président, laissé entendre qu'elle a des difficultés à faire face au nombre croissant des pourvois en cassation(2). Est-ce vraiment réaliste d'ouvrir aussi largement les cas de cassation ?
Inversement, il n'existe dans ce code aucun article dressant la liste des cas de «recours en annulation» ou «excès de pouvoir» portés devant les juridictions administratives ; ces cas sont pourtant
connus : le vice de forme, l'incompétence, la violation de la loi, le détournement de pouvoir. Est-ce un oubli ? Y aurait il une autre explication ?
7. Les 31 tribunaux administratifs n'ayant pas été installés, les 36 chambres administratives des cours, toujours en sursis, continuent à statuer. Le feront-elles dans les conditions (de compétence matérielle et territoriale) et les formes de procéder (collégialité pour les référés) prévues par le nouveau CPCA, notamment en matière de recours en annulation et de référés ? Aucun texte ne nous renseigne.
8. Aux termes de l'article 569, c'est le greffier en chef de la Cour suprême qui transmet les dossiers de pourvoi aux présidents des chambres compétentes. Que va-t-il advenir de la chambre des requêtes, conçue comme «un filtre» chargé de détecter les recours irrecevables en la forme ? Fonctionne-t-elle ou a-t-elle déjà cessé d'exister ?
Telles sont les quelques observations que m'inspire le nouveau code de procédure civile et administrative en vigueur depuis le 24 avril 2009.
Notes de renvoi :
(1).Voir notamment : El Watan des 26 avril, 3 juin et 13 juin avec des réactions sur le blog… et l'article du Quotidien d'Oran du 28/mai 2009, intitulé: «Des facilitations pour les avocats» ( ?)
(2). Le Quotidien d'Oran du 19/02/09, page 5.


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