La direction de la police a installé plusieurs sûretés urbaines de proximité (SUP.) Lieux choisis : les cités-dortoirs et les sites de bidonvilles à la périphérie de la ville. Par cette action, l'Etat compte arrêter l'émergence d'une nouvelle subversion dont les promoteurs sont originaires de ces cités. Cette expérience peut-elle réussir chez nous lorsque l'on connaît le constat plutôt mitigé qui en est fait en France où elle trouve son origine ? J'ai bien suivi, à travers les médias nationaux, la mise en place de ce dispositif « sécuritaire ». En soi, cette initiative de la police nationale ou du ministère de l'Intérieur n'est pas mauvaise, ce qui s'avère très mauvais, c'est le côté « répressif » qui sous-tend ces mesures, qui me paraissent relever plus du rafistolage sécuritaire que d'une politique d'intégration sociale et économique des populations discriminées. Celles-ci, parce qu'elles sont pauvres et exclues, font peur au gouvernement, qui pense à tort contenir les mécontentements, les violences ou les explosions soudaines et qui sont consubstantielles aux structures politiques et économiques, par le « tout répressif ». Si les exclus et les discriminés ne sont pas l'apanage de la société algérienne, puisqu'on en trouve par millions dans les pays développés (le quart monde) constitués de chômeurs de longue durée, des minorités ethniques discriminées (immigrés en Europe, Noirs et Indiens aux Etats-Unis…) et même des Blancs de souche européenne ou nord-américaine, il reste que dans ces pays, les gouvernements tentent et ont toujours tenté d'intégrer ces populations non pas par l'unique recours à « la tolérance zéro » (répression, intervention musclée de la police dans les quartiers à « risque » (Etats-Unis), ou dans les quartiers « difficiles » (France, Belgique, Allemagne…), mais par d'autres procédés d'ordre politique et pédagogique. Parmi ces procédés, figurent des dispositifs d'insertion économique effective des jeunes désœuvrés et des délinquants. Ces dispositifs sont le fait non pas seulement du ministère de l'Intérieur, mais de pratiquement tous les ministères (ministères de l'Emploi, des Affaires sociales, de la Solidarité, des Finances, des grandes agences gouvernementales, etc.). Rien de tel n'existe en Algérie. On mise plus sur la répression que sur le rôle pédagogique qui doit échoir aussi bien à la police qu'à la justice. On pense éradiquer toutes les formes de violences (délinquance, criminalité, terrorisme…) par le seul recours à la force brute. N'exagère-t-on pas quelque peu le rôle de la police alors que des mesures sociales doivent aussi intervenir en faveur de ces « zones de relégation » ? Peut-on « pacifier » ces zones et « rapprocher les structures de police des citoyens » ? Je peux peut-être répondre à vos questions de manière un peu synthétique en vous disant que ce dispositif de SUP relève plus d'un « bricolage » sécuritaire et conjoncturel que d'une politique d'emploi et d'intégration fondée sur une stratégie durable. Le pays est en « état d'urgence » depuis plusieurs années et ne peut donc faire les choses que dans l'« urgence » et en fonction de la conjoncture. Il n'y a pas une vision politique d'ensemble qui puisse prendre à bras le corps tous les problèmes qui se posent à la société. Notre régime et le personnel politique ausxquel sont confiées les affaires de la nation n'ont pas une vision cohérente et unifiée de la construction de l'avenir. L'avenir, c'est le développement de l'économie nationale qui implique la lutte contre la corruption et les gaspillages, la moralisation de la vie politique, la réinsertion des jeunes dans le marché de l'emploi, la réduction de la délinquance et des inégalités sociales par des dispositifs appropriés, par le renforcement de l'Etat de droit, la lutte contre l'incurie et la gabegie et par la promotion de leurs contraires, l'efficacité et les compétences. Pour inverser ces tendances négatives qui sont au cœur de tous nos maux socio-politiques et urbains, il faudrait que tous les responsables des différents ministères s'impliquent dans ce processus d'intégration qui n'est pas seulement l'affaire des SUP. Or, il ne semble pas que tous les ministres soient associés à cette œuvre ni qu'ils soient réellement motivés pour apporter des solutions durables à ces zones délaissées. La police seule n'y peut rien. Il lui faut des relais. D'aucuns affirment que les pouvoirs publics seraient tentés de contrôler les actions de jeunes dont le « pouvoir de nuisance » apparaît à chaque rencontre de football. Mais peut-on généraliser le droit de réprimer (violence légitime), sans Etat de droit. Le voisin tunisien serait-il pris en exemple ? La violence dans les stades n'est pas propre à l'Algérie, l'Angleterre, c'est connu. C'est le pays d'Europe où l'on cultive avec joie la violence à l'occasion de ces rencontres. Les matches sont l'occasion d'une grande catharsis, d'un grand défoulement, d'un déchaînement de violence exceptionnel. Ils ont même un relent de chauvinisme inégalé, surtout quand une équipe européenne se trouve face à l'équipe anglaise. La police britannique n'a jamais réussi à juguler ni à prévoir les violences dans les stades. Cette violence n'est pas le fait seulement de groupes violents, comme les néo-nazis ou les skinhead (crânes rasés), mais le fait aussi des jeunes tout à fait intégrés socialement. Que l'on soit dans un Etat de droit, c'est-à-dire un Etat qui respecte le droit où que l'on soit dans un Etat autoritaire qui respecte seulement en apparence le droit, comme le nôtre, il est sinon légitime, du moins nécessaire, d'intervenir dans les stades pour contenir les violences afin que celles-ci ne dégénèrent en violences généralisées… Quant au voisin tunisien qui fait peu cas de l'Etat de droit, il n'a pas besoin de prendre modèle sur le grand voisin algérien pour sévir contre quiconque perturbe les jeux sur ses stades… Un nouveau type de délinquant est-il en train d'émerger ? Mordus de football toujours, toxicomane à ses heures et terroriste potentiel. En mettant en place des SUP, on espère arrêter, comme l'affirme Loïc Wacquant, professeur à l'université de Berkely, les voleurs d'œufs. Loïc Wacquant, ami et interprète de La Pensée du grand sociologue, le défunt Pierre Bourdieu, a bien raison d'ironiser sur les illusions sécuritaires et sur la politique du tout répressif. Néanmoins, on a besoin d'ordre, et l'ordre requiert, comme je l'ai dit, ses compléments nécessaires qui sont : la pédagogie, l'éducation, le dialogue, l'aide psychologique, le suivi social, etc. Cela ne relève pas du seul ressort des SUP. Celles-ci ont besoin d'être épaulées par toutes les institutions (la justice, l'éducation nationale, les affaires sociales, les associations de la société civile, etc.). Ce n'est pas seulement, à mon sens, la misère et l'exclusion qui génèrent la délinquance, le terrorisme et la criminalité. Ce sont les injustices ou comme l'exprime de manière extrêmement prégnante le mot « hogra » qui engendrent les phénomènes de déviance et, partant, la criminalité et le terrorisme.