Tous les frères du cheikh ont repris le métier familial traditionnel de la forge excepté lui, Mohand Ameziane, dont le père, Ali, a tenu à ce qu'il fasse des études. Il s'est d'abord instruit à la mosquée du village avant de partir à Imoula, dans la zaouia de cheikh Rabia Ben Lmouhoub, celle de Taslent puis, finalement, à la zaouïa de Boukebrine, le fondateur de la Rahmaniya, à Ath Smaïl, en haute kabylie. De retour au village, à la fin de ses études, le cheikh s'est marié et a exercé le métier d'imam et d'enseignant. Son aura a attiré de plus en plus d'adeptes au point où il a songé à ériger une zaouïa. Avec l'aval de plusieurs villages, il a fixé son choix sur un terrain stratégique entre la tribu des Ath Aïdhel, celle des Imssissen, faisant face à celle des Ath Mansour, sur le versant méridional du Djurdjura. Parmi les élèves du maître, on retrouve plusieurs sommités religieuses à l'image de Cheikh Ouvelqassem de Boudjellil, cheikh El Mouhoub d'Imoula et cheikh Ouamara d'Ouzellaguen. La vie du cheikh Aheddad, cependant, connaîtra un tournant après la défaite de Lalla fadhma N'soummeur. La confrérie de la Tariqa Rahmaniya est menacée par l'armée coloniale qui lui en veut pour le rôle éminent qu'elle joue dans les soulèvements populaires. Le leadership de la confrérie est confié à Cheikh Aheddad. Son influence rayonne sur toute la Kabylie, l'est algérien jusqu'à Ferdjioua et le sud jusqu'à Boussâada. Plus de 170 zaouïas sont affiliées à cette confrérie alors que celle du cheikh, qui s'étend sur près de 5000 hectares compte, à ses heures de gloire, près de 300 talebs venus des quatre coins du pays. Cheikh Aheddad est désormais une autorité religieuse, morale et politique. On vient le consulter de partout. Il règle les conflits entre individus et entre tribus, rend la justice et établit des actes notariés en cas de besoin. C'est un exégète mais également un ascète, un soufi qui se réfugie dans une minuscule cellule de cénobite pour méditer, prier et adorer Dieu. En 1870, alors qu'un vent de révolte souffle sur la Kabylie entière, le cheikh est un vénérable vieillard qui jouit du respect dû à un quasi prophète. Le 16 mars 1871, El Hadj Mhand Ath Moqrane (Mokrani), issu d'une famille prestigieuse de «djouad» originaire de la Qalâa Nath Abbes, déclare la guerre à la France. Cheikh Aheddad est réticent à déclarer le djihad mais il est pressé par ses fils Aziz et Mhand. Il se réfugie dans sa cellule (Takhelouith) pendant un mois avant de prendre sa décision. «Ray d'amchoum lamaâna ath nekhdem», avait-il-dit. Le vendredi 8 avril 1871, devant des milliers de personnes réunies au souk d'Imssissen, le vieux savant jette sa canne par terre en promettant que les français seraient jetés à la mer de la même manière. Le djihad est déclaré. Aussitôt 300 000 personnes prennent les armes. Une guerre éclair et une défaite dont les conséquences désastreuses qui se font encore ressentir jusqu'à ce jour. La zaouïa du cheikh est complètement ravagée par la soldatesque française. Sans égard pour son âge ni pour son statut, le cheikh est fait prisonnier et envoyé à Constantine pour être jugé. Il écope de cinq ans de prison ferme. Un jugement qu'il accueille avec détachement et philosophie : «Vous m'accordez cinq années alors que Dieu ne m'accorde encore que cinq jours», lance-t-il à la face de ses juges. Il meurt, en effet, selon ses prévisions au bout du cinquième jour. Ses fils Aziz et Mhand sont condamnés à mort avant de voir leur peine commuée en déportation à vie en Calédonie. Par delà sa mort Cheikh Aheddad est resté un symbole et un repère. Son retour à la terre de ses ancêtres ne fait que vivifier le mythe qu'il est devenu.