Par la loi du 18 octobre 1999, la France enfin reconnaissait « la constatation de l'état de guerre en Algérie » après tant d'années de chape de plomb où la guerre de libération fut nommée pudiquement « événements d'Algérie, opérations de maintien de l'ordre ou opérations d'Afrique du nord ». Si l'on se réfère au discours tout à fait inattendu mais tant espéré et légitime de l'ambassadeur de France en Algérie, le 26 février 2005 à Sétif qui, se recueillant sur les tombes des victimes du massacre de Sétif et autres lieux, du 8 Mai 1945 précisa en ces termes : « Cinquante ans après, notre pays doit assumer toute son histoire. Le blanc comme le gris, les heures de gloire comme les zones d'ombre. Pour cela, pour bâtir son avenir sur des bases plus claires, il accomplit aujourd'hui un difficile travail de mémoire. » Pour la Fondation du 8 Mai 1945, le geste et le discours de l'ambassadeur constituent un début de la reconnaissance. Un début. S'il est évident que la résistance à l'occupation française ne cessa pratiquement jamais, même par l'insurrection de Margueritte de 1901 la dernière en armes avant le 1er novembre 1954, ce qui constitue quand même une volonté absolue de rejet de l'occupation française depuis 1830, soit 71 ans de combats à travers tout le territoire, d'un peuple dont le nombre diminua entre les estimations françaises ou algériennes avant 1830, de Rozet/Carette en 1845/48 et le recensement de la population établi en 1886 qui traduit bien cette réalité... Cela s'appelle une guerre d'extermination appelée depuis Nuremberg, en 1945, un génocide. Bien sûr, la lutte ne cessa pas après l'insurrection de Margueritte mais pris des formes plus politiques allant même, pour certains, à demander une impossible intégration complète des indigènes devenus des français musulmans pour avoir servi de chair à canon contre les Prussiens ou les Allemands qui n'avaient certes pas déclaré la guerre à l'Algérie. Quels sont les faits ? Si nous soutenons bien sûr les déclarations de l'ambassadeur de France, nous aimerions aborder pour la commémoration du chahid Zabana, certains faits relatifs à ce qui pourrait être interprété, avec le recul, comme un crime de guerre. Si les différentes commémorations et hommages rendus à ce supplicié ont bien cerné son parcours de militant et de combattant de la première heure, des zones d'ombre existent sur les conditions du combat qui l'amena à se faire prendre, blessé mais jugé mourant par les troupes françaises. Zabana, en uniforme à la tête d'un groupe de l'ALN vêtu de différents apports d'origine militaire, est accroché le 8 novembre 1954 par une unité parachutiste près de Saint-Denis-du-Sig. Il est grièvement blessé entre autres à la jambe et au bras gauche. Une balle ayant pénétré par la tête était ressortie par l'œil gauche. Ses hommes refusèrent, dans un premier temps, de le laisser et de choisir le repli, ce qui était une règle de survie de groupe. Puis, le croyant mort, ils l'abandonnèrent pour une fuite hors de la nasse des parachutistes. Faits prisonniers plus tard, ils « chargèrent Zabana », pour eux décédé, de tous les faits énoncés lors d'interrogatoires « musclés ». Ce n'est que plus tard, que certains conduits à la prison de Serkadji découvriront qu'il avait survécu. Zabana est condamné à mort le 21 avril 1956. Les milieux extrémistes des français d'Algérie, tenant de la fermeté, malgré un premier rejet de l'Assemblée nationale en mars 1956, pressent Robert Lacoste soutenu par Max Lejeune,secrétaire d'Etat aux Forces armées ainsi que Bourges, Maunoury, ministre de la guerre de transmettre leurs exigences à Guy Mollet, président du conseil d'un président de la République mollasson, René Coty. Tous complotèrent afin de faire peur aux Algériens en amenant le gouvernement français à autoriser l'exécution des deux premiers martyrs : Ahmed Zabana et Abdelkader Ferradj. Ce dernier, ancien goumier déserteur ayant rejoint les rangs de l'ALN. est accusé d'avoir participé à des combats dont une attaque de ferme et déclaré .... en absence illégale de son unité. C'est donc dans la prison civile de Sarkadji que l'horrible machine à tuer, « la veuve » fut dressée dans la cour centrale. Dans la soirée du 18 juin 1956, les avocats sont convoqués pour le lendemain, jour de l'exécution. Zabana est monté à l'échafaud, la tête haute, refusant le soutien de ses gardiens et dit à ses camarades, tous aux fenêtres donnant sur la cour : « Qu'importe mon sort personnel, l'Algérie vivra libre. » Puis il demanda à prier, ce que Monsieur d'Alger et son aide, les bourreaux refusèrent. Un des avocats intervint auprès du colonel présent qui l'autorisa. Puis il se tourna vers les fenêtres de la prison en demandant pardon du mal qu'il aurait pu faire, selon la tradition rituelle, et ajouta une dernière fois : « Je suis fier de monter le premier à l'échafaud. Avec nous ou sans nous l'Algérie vivra ». Les autres détenus lui répondirent en demandant pardon à leur frère martyr et en criant « Nous te suivrons sur l'échafaud, mais qu'importe, avec nous ou sans nous, l'Algérie vivra libre. » Il se tourna vers son avocat et lui demanda de dire à sa mère qu'il ne mourrait pas pour rien et qu'ainsi il ne mourrait pas vraiment. Il est alors monté à la guillotine et le couperet-complice est tombé à trois reprises avant de le décapiter. Il avait 30 ans. Le silence pesant de la Casbah fut alors brisé par des milliers de youyous. Le soir-même à Alger, un tract est diffusé par le FLN : « Zabana et Ferradj seront vengés ». Deux soldats français prisonniers de l' ALN, Aurousseau et Serreau seront à leur tour exécutés ! Des attentats, sur ordre de Abane Ramdane et Ouamrane, sont exécutés par les troupes de choc de Yacef Saâdi les 20, 21 et 22 juin : 72 attentats commis à Bab El Oued et Frais-Vallon, principalement, feront 49 morts ou blessés européens. C'est l'enclenchement qu'attendaient les extrémistes du Chouan de la Mitidja, Martel et ses complices Castille, Kovacs et Fechioz. Ils vont faire exploser une bombe de très forte puissance au 3, rue de Thèbes dans la basse-casbah le mois suivant. Elle provoquera une cinquantaine de morts algériens, femmes, enfants, vieillards. Deux mois plus tard, en septembre 1956, ce sera la première bombe FLN. Crime de guerre ? Malgré les fausses affirmations de pseudo-historiens ou d'écrivains extrémistes (1), Zabana était bien un membre en uniforme de l'ALN. Il a donc été assassiné, volontairement par ceux qui enfin reconnaissent que le conflit fut bien une guerre. Il apparaît donc que les autorités françaises au-delà des déclarations trop générales des présidents Chirac ou même Sarkozy, devraient reconnaître avoir procédé à des exécutions contraires aux lois internationales régissant les conflits et violé les conventions internationales. Bien sûr, nous n'oserons pas faire le parallèle avec les troupes nazies qui, systématiquement, assassinèrent les soldats et officiers de l'armée soviétique. C'est ce qu'ils appelèrent la guerre total à l'est. Mais, nous nous posons toujours la même question, abreuvés lors de notre jeunesse de récit de courageux résistants et maquisards français : « Comment une décade plus tard, les mêmes, quelquefois, commirent autant d'atrocités, de tortures et d'assassinats ? Comment ceux- là mêmes traités de terroristes par les nazis, quelquefois déportés, ont-ils pu commettre une telle abomination ? Note de revoi : (1)Même Yves Courrière, dans la collection Historia magazine -la guerre d'Algérie, en son numéro 23 (216) en laissant la plume à l'ultra-réactionnaire, Marie Elbe, permettra ainsi une falsification de l'histoire en niant la qualité de combattant des deux martyrs. En page 724, elle ose « ... Ce ne sont pas des rebelles pris les armes à la main au cours d'un combat, mais des terroristes... ». Lettre d'Ahmed Zabana à ses parents Prison civile d'Alger, le 19 juin 1956. Très chers parents, chère mère, Je vous écris cette lettre, je ne sais si c'est la dernière. Dieu seul le sait. Toutefois, s'il m'arrive quoi que ce soit, il ne faut pas croire que c'est fini, parce que mourir pour la cause de Dieu, c'est la vie éternelle. Et mourir pour sa patrie, ce n'est qu'un devoir. Et votre devoir à vous, c'est celui d'avoir sacrifié l'être qui vous est le plus cher. Il ne faut pas me pleurer mais au contraire il faut être fier de moi. Enfin, recevez peut-être le dernier bonjour du fils et frère qui vous a toujours chéris. Le bonjour à toi chère mère, à papa, à Noura Lahouari, Halima habib, Fatima Kheira, à Sassalhe, à Denia, à mon frère Lahouari, à toi cher frère Abdelkader ainsi qu'à tous ceux qui partageront votre peine. Dieu est seul grand et seul juste. Votre fils et frère qui vous embrasse bien fort. H'mida. Nous avons tenu à reproduire la lettre publiée par El Moudjhahid no1 de fin juin 1956 (non daté dont le tirage à la ronéo fut retardé pour permettre d'annoncer la mort du martyr Zabana). Certaines parties de cette lettre, en particulier celle relative à l'aspect religieux et les rapports avec Le Tout-Puissant ont été modifiées au cours des deux dernières décennies et inondent le web. Il nous apparaissait évident de revenir à la source du journal, alors clandestin et ronéotypé.