«Une civilisation qui s'avère incapable de résoudre les problèmes que suscite son fonctionnement est une civilisation décadente. Une civilisation qui choisit de fermer les yeux sur ses problèmes les plus cruciaux est une civilisation atteinte.Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde... ».Aimé Césaire : Discours sur le colonialisme, 1955 On sait que les «événements» du 18 octobre 1961 marquèrent un tournant dans la guerre d'Algérie. Pour la première fois les 400.000 Algériens vivant en France dont plus de 150.000 cotisants pour soutenir l'effort de la révolution décidèrent de montrer à la face du monde leur détermination à briser le joug du colonialisme. Cependant le détonateur de ces émeutes fut une décision de la préfecture de police sous les ordres d'un certain Maurice Papon qui avait fait ses «preuves» à Constantine, d'instaurer un couvre-feu sélectif à l'encontre de l'ensemble des «Français musulmans originaires d'Algérie» de 20 heures à 5 heures 30' du matin. Du point de vue du droit, ce couvre-feu est à la fois raciste et anticonstitutionnel, mais qui s'en soucie? il ne s'agit que d'infra-humains, voire d'animaux que l'on parque à la tombée de la nuit perpétuant d'une façon ou d'une autre les pratiques des expositions coloniales d'indigènes animalisés et plus loin encore à la fin du XIXe siècle, les expositions de Geoffroy de Saint Hilaire qui voulait «divertir» les Français en leur exposant des « hommes de couleur des colonies » au jardin d'acclimatation. Ces spectacles devaient durer des dizaines d'années. De ce fait, il faut bien savoir que la position vis-à-vis des indigènes fait l'objet d'un consensus qui a toujours transcendé les partis traditionnels. N'a-t-on pas vu il y a quelques années un ténor de la Gauche qui se disait «pro-arabe» traiter les jeunes beurs de «sauvageons, héritiers des ratons», donnant corps à la fameuse phrase sans appel de Frantz Fanon, pour qui «le langage du colonisateur est un langage zoologique». Pour protester, la Fédération de France décide d'organiser une manifestation pacifique, il fut interdit aux Algériennes, et aux Algériens de prendre aucun objet contondant qui pourrait donner prétexte à une ratonnade de la part de la police. Au soir du 17 octobre 1961, plus de 30.000 personnes convergent vers le boulevard Saint-Michel et le siège de la préfecture de police pour protester contre l'oukase infâmant du couvre-feu. Les policiers «couverts» par le préfet, lui-même couvert par le gouvernement de Michel Debré qui affichait ouvertement sa position pour une Algérie française, s'en donnèrent à coeur joie. Ils se sentirent «pousser du zèle». Enfin, ils avaient le droit légalement de faire la chasse au faciès. Toute la rancune, la haine, le contentieux civilisationnel trouva son exutoire. Naturellement, tous ne furent pas des bourreaux, mais l'ambiance, l'état second, donnèrent des motifs pour casser de l'Arabe. Ce fut, rapportent ceux qui purent échapper à l'horreur un carnage sans nom, il y eut des morts par noyade, c'était la méthode la plus simple : jeter les gens à la Seine, non sans les avoir bastonnés. D'autres furent piétinés, blessés et ne pouvaient pas même se soigner, car les policiers venaient les chercher dans les rares hôpitaux qui acceptaient de les soigner. Le carnage ne s'arrêta pas là, des rafles furent faites, la Ratp fut mise à contribution pour convoyer vers le stade Pierre-de-Coubertin plus de 15.000 Français musulmans qui furent parqués pendant plus de deux semaines, les «suspects furent torturés à mort ». Il y eut plusieurs centaines de tués et plusieurs milliers de blessés, d'autres furent expulsés vers l'Algérie, quand on sait que certains étaient là depuis la Première Guerre pour servir de chair à canon, puis pour participer à l'effort de reconstruction de la France, mettant en oeuvre avec leur sueur le plan Marshall. Que firent les Français en face de cette rafle? Rien au contraire, certains portés par la haine trop longtemps contenue donnèrent un coup de main en dénonçant les rares Algériens qui pensaient trouver refuge dans des vestibules de maison.. De plus, du côté des journalistes ce fut une chape de plomb. Pendant une quarantaine d'années, rien à l'horizon. Assurément, les Français mirent en pratique toutes les brimades et les humiliations qu'ils ont subies et prirent exemple sur la fameuse opération du nom de code «Nacht und nebeul»: «Nuit et brouillard» organisée par les nazis sous la houlette d'Hitler et de Goering, pour se débarrasser de tous les opposants. Cette rafle rappelle aussi une autre rafle, celle du vélodrome d'hiver et qui a concerné d'autres Français juifs une vingtaine d'années auparavant. On sait comment les Français de confession juive de France ont fait payer au gouvernement français cette faute de l'Etat français. Jacques Chirac fut amené à faire son mea culpa au nom de la France. Le devoir d'inventaire et le devoir de mémoire que l'on ajoute tout le temps à props de Vichy est-il à géométrie variable? Le tout est de savoir si des Algériens jetés dans la Seine et qui sont morts sans sépulture, appartiennent à la même humanité que les Juifs de France, est- ce la même souffrance ou est-ce des animaux? Pour qu'un gouvernement clame haut fort par une loi inique sa reconnaissance des bienfaits de la colonisation, c'est qu'il a pris son parti vis-à-vis de cet autre à qui il dénie l'humanité et partant la justice. En fait, et au risque d'être traité de révisionniste voulant rafraîchir pour les besoins de la cause, «le protocole des Sages de Sion», il faut bien convenir et «c'est de bonne guerre» en France la communauté juive a des vecteurs de force dans tous les domaines de la connaissance, de la finance et des médias. Il n'y a rien à attendre d'un traité d'amitié quand votre partenaire ne va pas dans le sens de l'apaisement. La justice sera rendue à l'Algérie pour ses 132 ans de souffrance quand notre diaspora, même si elle est de nationalité française prendra conscience de son devoir de mémoire en investissant, à l'instar des autres Français les arcanes de la connaissance et du pouvoir. Nous verrons alors un partenaire plus soucieux et plus attentif aux Algériens en Algérie et à ces Algériens de coeur «encore indigènes de la République» en France.