« Le mieux est l'ennemi du bien » Djelloul a créé une télé euroméditerranéenne qui a eu l'aval du HCA mais temporise pour la lancer. Dans une société obsédée par le plaisir, se divertir n'est pas s'abrutir. Etabli dès 1968 en France, Djelloul compte parmi les spécialistes dans le domaine de l'audiovisuel dans ce pays Courtois, sociable et poli, il laisse une impression double : un mélange de juvénilité et de sagesse. Elégant, toujours tiré à quatre épingles, Djelloul, à 66 ans, ne fait pas son âge. Les grands films, dit-on, traversent les décennies sans vieillir. Chez l'acteur et l'animateur qu'il est, difficile de déceler la moindre ride et ce qui ne gâte rien, il a le rire facile et contagieux. A vrai dire, il dégage une gaieté bien méditerranéenne. Sa physionomie n'a pas beaucoup changé depuis son apparition il y a 30 ans dans le film de Rachedi Ali au pays des mirages où il campe le rôle de grutier. Amar Laskri qui l'a bien connu le décrit comme un acteur talentueux envahi par une timidité maladive qui a su cependant s'affirmer avec brio au petit écran. Homme de théâtre, Djelloul s'est en effet illustré de longues années durant en animant avec doigté l'émission « Mosaïques » sur France 2 à une période où le débat sur la diversité traversait la France plurielle. Mais mieux que cela, Djelloul peut s'enorgueillir à juste titre, « d'avoir introduit le premier, le parler arabe, sur une chaîne française ». C'était à la fin des années soixante-dix et Djelloul s'était fait un nom dans l'audiovisuel hexagonal, partageant avec son ami Rachid Arhab le privilège d'« être les deux animateurs issus de l'autre rive de la Méditerranée à s'offrir une place au soleil ». A l'époque, on était encore loin de la problématique en vogue aujourd'hui qui consiste à donner des couleurs à la télé française en embauchant des journalistes blacks et beurs pour épouser l'air du temps. Djelloul est sans doute bien placé pour parler des médias. Il a vu le paysage télévisuel français se construire, les tendances se dégommer au fil des ans les unes après les autres. Mais son histoire a commencé bien avant en pleine Seconde Guerre mondiale lorsqu'il est venu égayer le foyer familial dans la petite bourgade de Teffreg, pas loin de Bordj Zemora : « C'est là que j'ai fait ma scolarité primaire. je suis le premier enfant du village avec Benabid à fréquenter l'école française. Mon père Si Mohand Ameziane, cheikh et imam de la zaouïa de Sidi Abdelkader El Djilani, homme respecté, m'y a encouragé en ne cessant de me répéter ‘‘pour combattre les occupants français il faut les connaître et pour les connaître il faut maîtriser leur langue'', qu'il nous disait. » Enfant de la zaouïa Djelloul poursuivit sa scolarité à Ighil Ali, pris en charge par des parents qui y résidaient, puis à Bordj Bou Arréridj, qui était pour lui une découverte. Bordj, la ville avec ses lumières et ses mystères le fascinait ; Djelloul fera le lycée franco-musulman d'El Biar, puis le lycée Hihi El Mekki de Constantine où il décrochera le bac peu après l'indépendance. Sa destinée était toute tracée : « J'ai failli faire médecine mais la passion du théâtre a été la plus forte. J'ai été marqué par une pièce de théâtre donnée par le Théâtre national de Strasbourg qui venait jouer le Misanthrope à Alger. C'était le déclic. je suis parti à Paris où j'ai suivi les cours Simon au département théâtre et cinéma de l'université de Paris viiie. Comme je voulais tout connaître de la création, avec des amis maghrébins, nous avons monté une troupe, l'Action théâtrale arabe et on a commencé à jouer des pièces surtout devant des parterres d'ouvriers dans les usines. » Djelloul se souvient de la pièce Le collier des Ruses d'après Badie Zaman El Hamadani qui leur valut les honneurs du journal Le Figaro agréablement surpris par cette troupe atypique qui a eu l'insigne privilège de se produire au théâtre d'Avignon. Au tournant des années 1970, il était déjà bien dans sa peau d'acteur puisqu'il avait été sollicité pour jouer dans Borsalino et dans Les Chevaux du Soleil, alors que des réalisateurs algériens lui proposaient des rôles. Mais dès 1978, c'est le petit écran qui lui fait les yeux doux. « Le ministère français de l'Emigration de l'époque avait voulu créer une grande émission populaire pour donner aux immigrés la nostalgie du pays, afin de les inciter à rentrer chez eux. C'était la période du retour avec une incitation financière. « Mosaïques » est partie de là. Une émission que j'ai concoctée avec Tewfik Farès sur F3. Elle a duré 10 ans. Elle est encore dans l'inconscient collectif des immigrés qu'elle a accompagnés bon an, mal an. « Mosaïque » a été le miroir de cette évolution. Homme de télévision « C'est comme ça que je suis devenu un homme de télévision, un professionnel de l'audiovisuel. » Nostalgique de cette période, Djelloul avoue y avoir mis tout son cœur en bataillant avec ses tripes pour une réussite avérée. « Le goût et la maîtrise du travail bien fait et le respect de celui qui nous regarde ont constitué le ferment du succès. » Il faut dire que le reportage et le travail de terrain ont musclé leur savoir. « Quand l'émission a été arrêtée en 1988 pour des raisons inverses pour lesquelles elle a été créée, c'est-à-dire susciter la nostalgie, on a compris que les gens voulaient rester et s'intégrer. Franchement, c'est une période marquante de ma vie qui se taille une place de choix dans mon cœur, une richesse indestructible », avoue-t-il. Djelloul poursuit la conversation avec la même vigueur nostalgique. Il reste persuadé que cette émission a aidé à une certaine prise de conscience auprès des Français. « En un mot, l'identité française n'est plus gauloise, mais multiple », estime-t-il. On sent chez lui ce vent de liberté qui balaie les routines offrant d'autres perspectives. Djelloul sort des carcans habituels pour devenir producteur indépendant dans une société privée. Il produit des documentaires animaliers, sur la géographie, puis va plus loin, en s'offrant un magazine Orient sur Seine où il met en évidence « les réussites » des immigrés, comme ce tendre portrait du danseur étoile Kader Belarbi ou encore ces reportages de « Zone interdite » faits avec Patrick de Carolis. Mosaïque, mosaïque « En 1996, j'ai fait Cris de femmes, sur le combat des Algériennes contre l'intégrisme. A l'époque, il fallait le faire et je l'ai fait en effectuant un reportage en Algérie. J'ai montré que ce pays, qui est le mien, était debout, n'en déplaise aux esprits chagrins. » Parallèlement, Djelloul animait à France 2, l'émission « Connaître l'Islam » puis il enchaîne avec une série pour Canal Algérie, avec notamment Anouar et un magazine d'actualité sociale sur l'émigration algérienne dans le monde. Suivra en 1998 « L'Algérie au cœur », émission destinée à renvoyer une autre image de l'Algérie, blessée, meurtrie, à genoux, mais digne et pas abattue. A ce propos, Djelloul se dit fier d'avoir réalisé pour TV 5 dans le feu de l'action, malgré tous les dangers des reportages sur les patriotes avec notamment Cheikh El Mekhfi : « Phillipe Dessaint et toute l'équipe qui m'accompagnait avaient une peur bleue. Mais finalement, tout s'est bien passé. » Profondément algérien, Djelloul est resté un émigré avec sa carte de résidence toujours à l'écoute du pays. En 2005, il produit une émission sur l'Islam, sujet d'actualité s'il en est, surtout depuis les attentats de la World Center en 2001. « Il fallait se référer à l'Islam véritable, son authenticité après que cette si belle religion ait été ternie et injustement attaquée. Vu mes origines et mon attachement viscéral à ma terre natale, et en tant que fils de la zaouïa, l'enjeu pour moi était important. J'ai travaillé avec Chemsedine Hafiz, producteur de Vivre l'Islam, avocat et vice-président du culte français musulman, un gars formidable. La nuit du ramadhan « Ce sont les musulmans qui donnent la bonne ou mauvaise image de leur religion qu'on ne peut affubler de qualificatifs insignifiants, tels tolérant, modéré et que sais-je encore. L'Islam est un tout, c'est cette religion qui n'a cessé de rayonner sur l'univers, quatorze siècles durant. L'émission est regardée, respectée à telle enseigne que les responsables nous ont investi de leur confiance en nous confiant la tâche de produire ‘'La nuit du Ramadhan'' qui passera durant le mois sacré. » En quoi consiste cette émission ? on va axer sur la création chez les jeunes. Sortir des schémas connus et éculés pour nous appesantir sur les cultures urbaines, la danse, la musique, en somme, jeter un regard croisé en comparant avec ce qui se fait dans les grandes cités de par le monde. Il y a un bouillonnement. Et ce sont des modes d'expression qu'il ne faut pas négliger. Il faut que l'Algérie s'occupe de sa jeunesse. C'est une nécessité absolue. Il faut ouvrir les soupapes, laisser les gens respirer. Il y a un potentiel extraordinaire auquel il faut donner des possibilités pour s'épanouir. Sinon, ce serait une véritable bombe à retardement. » Djelloul qui a joué dans Ali au pays des mirages et dans Le Moulin de M. Fabre de Ahmed Rachedi considère que le cinéma n'est plus ce qu'il était. « Il y a un manque de moyens, de visions, de contenu et des possibilités d'expression. Ajoutez-y l'inexistence de salles obscures et vous aurez un état des lieux peu rassurant du 7e art chez nous. Il est vrai que l'intrusion de la télé a grandement nui au cinéma, ‘‘encore faut-il que la télé soit le reflet du pays réel et non virtuel'', l'Algérie, compte tenu de sa position stratégique tant aux plans méditerranéen, africain, qu'arabe doit avoir une politique de l'audiovisuel ambitieuse à l'instar par exemple du Venezuela qui rayonne sur toute l'Amérique du sud. » A propos du 2e Festival Panafricain à Alger dans quelques jours, Djelloul trouve : « L'initiative est louable à condition d'en tirer profit et non pas se suffire d'un acte conjoncturel, sans lendemain. L'Algérie a la capacité d'être leader, en mettant en place une chaîne panafricaine en se dotant d'un satellite de diffusion pour lancer son propre bouquet. Avec la mondialisation, on doit avoir cette ambition : s'offrir cet outil ou périr. » Djelloul, doté d'une double culture fait appel à sa mémoire pour citer en bon arabe classique Aboulkacem Echabi, le poète tunisien mort prématurément qui avait écrit un jour « Celui qui ne veut pas escalader les montagnes vivra pour l'éternité dans les grottes... » À méditer. Parcours Djelloul Beghoura est né en 1943 à Teffreg dans la wilaya de Bordj Bou arréridj. Enfant de la zaouïa Sidi Abdelkader El Djilani dans laquelle officiait son père, Si Mohand Ameziane, imam, Djelloul a fait sa scolarité primaire dans son village natal avant de joindre Ighil Ali puis Bordj Bou Arréridj. Medersien, Djelloul a fait le lycée franco-musulman de Ben Aknoun, le lycée Hihi El Mekki de Constantine où il a décroché son bac. Il a fait des études supérieures de théâtre et de cinéma à Paris, à la fin des années 1960. Il a joué dans plusieurs films et dans des pièces de théâtre. Djelloul exerce depuis des années à FR2 et FR3 où il s'est illustré notamment dans l'émission « Mosaïques ». Pour la chaîne publique française, notre animateur prépare « Nuit de Ramadan » qui passera durant le mois sacré.