Souk Ahras n'a jamais su profiter de sa position de wilaya frontalière pour renflouer les caisses du Trésor public par le biais des recettes qu'aurait dû engranger le tourisme. Elle n'a pas encore réussi à orienter ses timides opérateurs économiques vers l'investissement productif. Sa production laitière et céréalière est peu exploitée, sinon victime d'un circuit production-commercialisation suranné qui ne répond plus aux exigences de la population. Conséquence de tout cela, mais aussi du diktat des clans décideurs, d'un argent recyclé dans le vide et d'une pagaille organisée dans la distribution des ressources, la wilaya semble naviguer à vue et croule, déjà, sous le poids d'une paupérisation rampante qui a atteint des pans entiers de la société, épargnés, il y a quelques années, de la disette chronique qui prévaut à travers les différentes communes. Une majorité de fonctionnaires moyens subsiste à Souk Ahras grâce à une deuxième activité assurée après les heures de travail. Des employés de l'Etat civil se convertissent en écrivains publics au-delà de 17h, d'autres, du secteur de la santé, se transforment, la nuit, en chauffeurs de taxis clandestins et des enseignants ne rentrent le soir qu'après avoir assuré deux jusqu'à trois cours particuliers. Malik, où est ton fric ? Des couches encore plus vulnérables sont affectées par une crise qui ne dit pas son nom et que les privilégiés du système croient vainement dissiper à travers les discours pompeux d'une époque révolue. Les exemples, nous en avons récolté des dizaines. Commençons par les propos du vieux Mohamed de la commune de Sidi Fredj : « J'ai mis fin à la scolarité de mes enfants avant l'âge de 16 ans parce que je n'ai même pas de quoi leur acheter des cahiers. Que dire d'un trousseau ou des vêtements ? » Des citoyens des quartiers populaires de Mezghiche et Ahmed Loulou de Souk Ahras, qui refusent de tendre la main, ont déclaré qu'ils mangent rarement à leur faim et que la viande a quitté leurs mets depuis des années. Même situation aux cités Athmani et Zenket Achour de Sédrata. Sabri est chargé de famille avant d'atteindre l'âge d'être responsable. Il est à la fois vendeur ambulant, porteur et plombier. « Avec les temps qui courent, je suis obligé de gagner ma croûte et celle de ma famille nombreuse composée de 11 membres. Mon choix je l'ai déjà fait : attendre la formule emploi de jeunes ou retrousser les manches et redoubler d'efforts pour ne pas mendier ou voler, aussi dérisoire soit le pécule », a-t-il confié avant d'inviter son ami Malik à se prononcer sur le sujet. Ce dernier rétorquera : « Avec ou sans travail, nous sommes condamnés à vivre pauvres jusqu'à la fin de nos jours. Quand je vois nos responsables se pavaner dans des voitures de luxe et la vie que mènent leurs familles, je me dis que l'Algérie est un pays riche, mais quand je rentre à la tanière où je vis avec mes trois frères et sœurs, je me rend compte que l'on n'est pas loin des pays où l'on meurt d'inanition. » Il parlera à profusion de personnes qu'il connaît et que des milieux locaux occultes ont propulsées au rang de nabab grâce à des procédés illégaux et à la corruption. L'argent coule à flots à Souk Ahras, et le citoyen lambda se trouve confiné au statut de témoin d'une ère faite de dilapidations, de détournements semi-légaux et, plus grave encore, d'impunité. L'argent de Malik et bien d'autres va théoriquement vers la relance des secteurs frappés de torpeur ou autres en voie de l'être, vers le logement, l'emploi…Or, les secteurs générateurs d'emploi sont relégués au dernier plan ; la crise du logement persiste, les communes vont jusqu'à languir au passage d'un couffin orné de produits alimentaires et plus de 9 institutions et organismes publics sont éclaboussés par des scandales financiers. En attendant des jours meilleurs, les psychotropes font des siennes, la mendicité prend de l'ampleur, des larcins sont quotidiennement signalés dans les espaces commerciaux et les vendeuses de charme prolifèrent à Souk Ahras.