Côté gouvernement, c'est le black-out total. Rien ou presque n'a filtré des négociations en cours avec le FMI. Ni le montant de la souscription ni l'échéancier, encore moins les conditions accompagnant l'accord (en gestation) d'achat d'obligations n'ont été rendus publics. Le long séjour à Alger d'une délégation du FMI, accessoirement dans le cadre des consultations annuelles, n'a décidément pas permis la conclusion d'un tel accord. Le ton critique, inhabituel, employé par Joël Toujas-Bernaté, chef de division au département Moyen-Orient et Asie centrale du FMI, à l'endroit du gouvernement, épinglé au passage sur plusieurs dossiers, dont l'emploi, l'équilibre budgétaire, la maîtrise de l'inflation, etc., un signe de l'« échec » des tractations amorcées depuis l'été dernier ? Possible. Le gouvernement n'a pourtant de cesse de rassurer le FMI, une institution fragilisée par la crise économique et financière mondiale, sur la disponibilité de l'Algérie à « étudier » la possibilité d'achat d'une partie des obligations émises en juillet dernier, principalement à l'endroit de 54 pays membres du Fonds ayant une position financière extérieure suffisamment solide. Karim Djoudi invoque le « pragmatisme » qui commanderait, selon lui, la démarche gouvernementale. Une « opportunité » pour l'Algérie. « Ce qui conduit notre gestion des réserves de change sont la sécurité et la liquidité. Si nos actifs sont sécurisés et si nous pouvons les retirer à tout moment, nous pouvons travailler avec ces institutions », a indiqué à la mi-octobre le ministre des Finances en marge des réunions annuelles de la Banque mondiale et du FMI à Istanbul. Des experts financiers, à l'instar de Lachemi Siagh, président-directeur général de Strategica Finance, n'ont pas manqué de relever la bonne opportunité que constitue la souscription aux obligations du FMI. Non sans émettre des réserves. « Considérant la qualité de l'émetteur ainsi que les caractéristiques du titre émis par le FMI, on pourrait conclure, sous réserves, que le risque et la rentabilité des obligations répondent aux exigences d'investissement de l'Algérie, à une bonne opportunité de placement. Mais la vraie question à se poser est : est-elle la seule opportunité d'investissement qui se présente aujourd'hui à l'Algérie, mais aussi est-elle la meilleure ? », s'interroge l'expert (lire interview El Watan, édition du 15 octobre). L'émission des obligations, qui permettra – d'après les fiches techniques du FMI – aux pays membres d'investir en titres du FMI, tout en complétant immédiatement les ressources dont l'organisme dispose pour aider financièrement les pays membres, est-elle vraiment un bon placement ? Quel avantage tirera l'Algérie à renflouer les caisses du « club des pays riches » ? L'impact sur l'économie algérienne sera « neutre », estime Mohand Arabi, professeur d'économie à l'université de Béjaïa. Cette opération sert davantage à entretenir de bons rapports avec le FMI car, du point de vue économique et financier, elle ne présente aucun intérêt. C'est un choix… par défaut. On a des réserves de change, on ne sait pas quoi en faire. Engager une dizaine ou une quinzaine de milliards de dollars dans cette opération serait une grave erreur. Les bons et les mauvais placements L'idéal est d'orienter ces fonds vers la stimulation de l'outil de production. « Par rapport à la situation que vit l'Algérie actuellement, avec ce besoin de rassurer les opérateurs économiques, de rendre attractive l'économie nationale, on a besoin de soutenir l'investissement public et privé, d'utiliser cet argent à titre productif. L'infrastructure publique, on en a encore besoin, investir pour faciliter la tâche aux opérateurs économiques à travers ce qu'on appelle les économies externes. Car c'est à l'Etat de prendre en charge les économies externes. » M. Arabi concède néanmoins à cette opération « un point positif ». Le caractère « sûr » du remboursement, dès lors que les obligations sont émises par une institution multilatérale. « C'est encore plus sûr, dit-il, que d'acheter des dollars qui fluctuent sur le marché, par contre la monnaie du FMI, qu'on appelle droits de tirage spéciaux (DTS), a une valeur en or qui ne risque pas une dépréciation. » Adel Abderrezak, économiste, membre fondateur du Cnes, affirme quant à lui que le véritable débat n'est pas tant « de savoir si c'est un bon ou un mauvais placement ». Le problème du rapport avec le FMI est d'ordre politique, un rapport de subordination : « Plus l'Algérie s'incruste dans le fonctionnement financier, institutionnel, réglementaire du FMI, plus elle est obligée de formater son économie en fonction des normes frappées par le FMI. Je suis de ceux qui considèrent que notre proximité très forte avec cette institution nous a coûté beaucoup plus cher que si on avait fait l'effort de rester dans une sorte d'autonomie relative par rapport à nos choix économiques et à notre pouvoir de décision économique. » Les obligations du FMI portent bien leur nom, souligne le syndicaliste. Certes le FMI met les formes pour solliciter l'apport de l'Algérie, mais dans les faits, il n'en demeure pas moins que c'est une contrainte. Une véritable contrainte, parce que « l'Algérie est subordonnée dans sa politique économique aux règles d'évaluation du FMI. L'Algérie n'a vraiment pas le choix que d'accéder aux demandes du FMI », juge-t-il.Le patronat, lui, émet de timides réserves. Le président de la Confédération algérienne du patronat, Boualem M'rakech, assure qu'« a priori, l'opération est fiable ». « On ne peut pas avoir de garanties supérieures à celles qui sont offertes par cette institution. Il ne s'agit pas d'un placement boursier, mais cette opération doit être jaugée à l'aune des besoins nationaux. Des besoins importants », rappelle-t-il. « Les réserves de change commencent à fondre comme neige au soleil. Pour 2010, on le constate déjà, l'écart entre les recettes et les dépenses est important, il faudrait donc prendre en considération les besoins nationaux et le climat de crise mondiale et prévoir au Trésor public la possibilité de disposer de ses ressources à tout moment. » « Les intérêts, conclut M. M'rakech, se confrontent : on a un besoin d'un retour rapide d'investissement. Les exigences nationales sont plus importantes que l'opération elle-même. »