– Dans quel cadre s'inscrit votre de travail de recherche à l'ère de la post-génomique ? Historiquement, la génétique a vécu trois périodes distinctes mais néanmoins complémentaires. La première a vu l'élucidation et l'attestation de la molécule d'ADN comme vecteur de l'information génétique (excepté certains virus qui sont à ARN). La deuxième a permis de décoder les mécanismes moléculaires de l'expression et de la régulation de l'information génétique à l'échelle d'un seul gène. La troisième, dans le sillage du génie humain et génétique, a connu l'explosion des déchiffrements des génomes entiers des espèces, dont celui de notre propre espèce durant la dernière décennie. Donc, on est passé du dogme central un gène/une protéine/une fonction à une échelle beaucoup plus complexe d'interactions protéines-protéines qui reflètent la réalité des cellules. C'est la biologie des systèmes, l'autre grand challenge de la recherche biologique, qui met à contribution plusieurs disciplines. La cellule est comme une société : l'individu vit dans un espace où il y a d'autres individus avec qui il interagit positivement et/ou négativement, lie des affinités et subit même des répulsions. La protéine dans une cellule agit de la même sorte : elle interagit avec certaines protéines spécifiques qui lui sont nécessaires pour exercer une fonction sous forme d'un complexe, voire des réseaux beaucoup plus intriqués. L'altération d'une protéine donnée rompt cette organisation et chamboule le bon exercice domestique cellulaire, d'où l'émergence de pathologies. Dans notre modèle d'étude, la protéine Htt (voir encadré) mutée se trouve au cœur d'une dérégulation de son réseau d'interactions : formation d'agrégats toxiques dans les neurones du stratium, suppression de l'expression de 7 protéines et augmentation de présence de 7 autres protéines. Plus important : notre approche multiprotéiques d'établissement du réseau altéré dans la chorée d'Huntington (dégénérescence neuronale affectant les fonctions motrices et cognitives aboutissant à une démence) nous a permis de révéler des modulateurs de la maladie jusque-là indétectables par les approches conventionnelles monoprotéiques. Les partenaires de Htt sont au nombre de 38 protéines responsables de 44 interactions dans la région cérébrale spécifique, le stratium, qui est la plus touchée par la mort des neurones dans cette pathologie héréditaire. Donc, plutôt la dérégulation du réseau protéique que la mutation de Htt à elle seule semble être responsable de la dégénérescence neuronale. Nous avons développé une stratégie bioinformatique pour créer, expériences sur le modèle animal fétiche des généticiens de la maladie à l'appui (Drosophilamelanogaster), une première «cartographie» de toutes les protéines qui interagissent, directement ou indirectement, avec Htt. Par exemple, la protéine CRMP1 que j'ai découverte s'avère être grandement réduite dans la dégénérescence d'Huntington. D'ailleurs, chez la drosophile, j'ai corroboré le rôle capital de CRMP1 en l'injectant sur cette mouche de fruit qui a pu inhiber la mort cellulaire programmée en présence de la protéine Htt mutée. – Les applications de votre découverte… Le but de la post-génomique moderne est d'analyser puis de cataloguer systématiquement toutes les molécules (protéines, ADN, ARN, et petites molécules) ainsi que leurs interactions dans une cellule vivante. Il est primordial de comprendre comment un ensemble de molécules en interaction les unes avec les autres détermine une fonction biologique. La mise au point de techniques de génération de données à haut débit (génomiques, transcriptomiques, protéomiques, métabolomiques, etc.) ainsi que la bioinformatique ont permis l'émergence de cette nouvelle approche interdisciplinaire de la biologie moléculaire. Maintenant, il est clair que les dividendes seront récoltés par l'industrie pharmaceutique pour atténuer, voire guérir, les affections neurodégénératives, surtout dans la mesure où la complexité du cerveau avec ces 100 trillions de synapses nécessite des outils d'exploration qu'on est en train d'affiner. – Vos perspectives d'avenir ? Dans le cadre de mon stage post-doc (chargé de recherche), intégrer en septembre le département d'immunologie de l'Institut Pasteur de Paris pour appliquer notre modèle d'interactions protéines-protéines de la chorée de Huntington sur deux volets : l'inflammation et l'allergie. L'inflammation se manifeste chez les personnes atteintes des maladies neurodégénératives (Parkinson, Alzheimer et Huntington), ainsi que de cancer. Aujourd'hui, l`espérance de vie a considérablement augmenté, conduisant à une augmentation du nombre de cas de maladies neurodégénératives. En outre, les changements climatiques, la pollution de l'environnement ainsi que l'alimentation de plus en plus industrialisée font que les allergies vont aller crescendo à l'avenir. Donc, l'analyse des réseaux protéomiques, ainsi que sa dynamique spatiotemporelle, impliqués dans les processus d'inflammation et d'allergie seraient un atout majeur pour comprendre puis contrer plus ou moins ces maladies émergentes. Le mastocyte (cellule du système immunitaire impliquée dans l'inflammation et l'allergie) se verra donc appliquer notre stratégie de cartographie des complexes et réseaux d'interactions protéiques. Donc, je suis au carrefour des maladies émergentes, pour caractériser les voies de signalisation intracellulaire. – Comptez-vous apporter votre plus à l'Algérie ? Bien sûr, autant que possible. Mais revenir en Algérie dans l'immédiat est, pour moi, surréaliste. Existe-t-il des moyens adéquats pour mener à bien la recherche ? J'en doute. J'ai été étudiant en Algérie (Tizi Ouzou et USTHB) pendant quatre ans. D'après ce que j'entends, rien de concret n'a été fait dans ce sens, dans la mesure où la théorie prime là-bas sur la pratique ! La recherche tarde à être valorisée dans notre pays pour le malheur de nos jeunes chercheurs, et au grand bonheur des pays étrangers qui nous harponnent ! Toutefois, je salue la bravoure de mes compatriotes algériens qui travaillent avec les moyens du bord.