L'état algérien peut-il subir dans un proche avenir une insurrection de ses citoyens contre l'injustice fiscale ? C'est bien sûr la question qui s'insinue à l'esprit lorsqu'on observe le mouvement des Gilets Jaunes, qui, en un mois, a changé le climat politique en France. La réponse est non. Les Algériens n'ont pas, en règle générale, le sentiment de subir un prélèvement obligatoire injuste. Au regard des classements mondiaux, ils pourraient pourtant avoir ce sentiment. Avec un taux d'imposition de 65,5% en 2017 et une 155e place sur 189 pays dans le monde par niveau de pression du plus faible au plus fort, l'Algérie est l'inverse d'un paradis fiscal. Encore en 2015, le pays détenait la distinction d'être le pays au taux d'imposition le plus fort en Afrique. Bien sûr, il faut toujours mettre en face de ces taux le niveau des prestations sociales que l'Etat assure en retour de ces prélèvements. Sur ce plan, l'Algérie se situe plutôt en haut de l'échelle continentale. En témoigne un Indicateur de développement humain (IDH), le second le plus élevé d'Afrique et le 85e mondial. Mais tout le monde sait que c'est plutôt la fiscalité pétrolière qui permet cette performance, qui d'ailleurs aurait dû se situer bien au-dessus si l'exploitation des ressources fiscales de l'Etat était plus optimale. La pression fiscale en Algérie n'est donc extrêmement forte – 15 points de plus qu'au Maroc, 13 de plus qu'en Tunisie qui ne disposent pas de fiscalité pétrolière – mais ne produit pas mécaniquement d'Intifada populaire lorsqu'une taxe de plus alourdit la barque. Deux raisons à cela. Ce sont les Algériens salariés formels et les Algériens entreprenants formels qui concèdent l'essentiel à cette pression fiscale. C'est-à-dire un volant à peine supérieur à 60% du périmètre de création de la valeur ajoutée domestique. Les Algériens sont, pour une forte minorité, en résistance au long cours à la pression fiscale. Par l'informalisation de leur activités. Des gilets jaunes permanents. En grève illimitée contre le prélèvement obligatoire. Les dégâts n'en sont pas aussi spectaculaires que les voitures brûlées et les devantures éventrées sur les belles avenues de Paris. Ils sont d'une autre échelle. La fiscalité ordinaire n'assure plus depuis plusieurs années les dépenses du budget de fonctionnement en Algérie. Elle est essentiellement alimentée par les impôts indirects, en particulier la taxation des douanes. Un cache-misère. Plusieurs think tank ont déjà invité à une mise à plat du système fiscal algérien qui rende l'investissement, l'emploi et les transactions moins captifs du train de vie de l'Etat afin de réduire la taille du sous-continent informel de l'économie algérienne. En l'absence d'une telle réforme, la propension à prélever plus sur une population de contribuables captifs est la plus naturelle. Elle aggrave l'évasion fiscale, la résistance incivique à l'impôt, le délitement de la solidarité nationale. Le gouvernement algérien se complaît dans cette situation depuis trop longtemps pour pouvoir s'envisager autrement que comme le racketteur en chef du secteur formel de l'économie. Il ne voit pas ce qu'il peut aller chercher dans le gisement de l'économie qui ne reconnaît pas son statut de répartiteur de la richesse nationale. La baisse du taux d'imposition au niveau des autres pays du Maghreb pourrait déjà en changer le taux de recouvrement. Et à terme en relancer le solde. Le dernier débat politique à visée électorale sur la fiscalité en Algérie date du FIS de Abassi Madani en 1990 (APC, APW). Est-ce un hasard s'il s'agit de la seule élection qui a donné lieu à une alternance du pouvoir, même s'il n'était que local ? L'Algérie couvre à 62% ses besoins en médicaments par la production locale. Ce ratio, presque flatteur, est l'indicateur standard de la bonne performance de l'industrie pharmaceutique algérienne de ces dernières années. Plusieurs clés de succès. Deux essentielles. La mesure de 2008 de protection du marché, qui interdit l'importation des molécules dont l'approvisionnement est garanti par une production domestique suffisante (par au moins deux producteurs), et la réglementation du système de couverture maladie qui donne la primauté au remboursement indexé sur le prix du générique. Les Journées de l'industrie pharmaceutiques algériennes (JICA) qui se sont tenues ce week-end à Aïn Benian ont pourtant précisé les limites de cette rare expérience industrielle algérienne à succès ces dernières années. Des limites entrevues l'année dernière déjà à la même occasion et en ce même lieu de l'auditorium de l'ESHRA. Les marges opérationnelles des laboratoires algériens de médicaments se sont rétrécis ces dernières années et entravent leur évolution en champions. Or, la poursuite de l'expérience à succès ne peut plus être assurée par la seule reproduction du modèle générique de molécules chimiques pour le marché domestique. Il faut soit être capable de produire des molécules innovantes (Biotech), soit être en mesure de gagner des parts de marché à l'international. De préférence les deux. Cela nécessite l'émergence de champions capables d'engager des dépenses en recherche et développement, dupliquer les préceptes de biomédicaments et se diversifier dans d'autres marchés. Il n'y avait aucun champion algérien parmi les laboratoires des pays de la zone MENA et des pays émergents sur le slide embarrassant d'un des intervenants (vice-président de Jeffries). La tendance de la régulation en cours ne va pas aider à cette émergence. Le pacte de développement proposé par la filière au ministère de la Santé est au point mort. Les délais d'enregistrement et les barrières bureaucratiques dans les procédures s'allongent ou se multiplient. L'administration des prix compressés au plus bas pour certaines molécules laminent le modèle en précarisant les laboratoires. Un modèle à succès, pour combien de temps ?