L'affaissement durable de la fiscalité pétrolière dans le budget de l'état algérien est en train de faire naître, en creux, un débat moderne, celui sur l'impôt et sa place dans le pacte entre l'état et le citoyen-contribuable. La transition fiscale est en marche. Elle a fait passer les recettes fiscales ordinaires devant la fiscalité pétrolière en 2009 et conforté, depuis, l'écart entre les deux. Les taxes sur les revenus d'exportation de Sonatrach et ses partenaires ne contribuaient plus qu'à environ 1700 milliards de dinars sur les 5000 milliards de dinars de recettes engrangés par le Trésor public en 2016. Pendant que les recettes fiscales en apportaient 2563 milliards de dinars. Cet écart de 800 millions de dinars sur un exercice, essentiellement dû à la forte baisse de la fiscalité pétrolière, la trajectoire budgétaire triennal prévoit de le consolider à 900 millions de dinars en 2019, lorsque le cours prévisionnel du baril sera passé à 60 dollars. En gros, la tendance est installée. Le budget de l'Etat s'appuiera de plus en plus sur la collecte de l'impôt domestique hors hydrocarbures. Or, cette ambition, renouvelée depuis 2014, est contrariée par l'inertie structurelle de l'économie algérienne. A la tête de la direction générale de l'impôt (DGI), Abderrahmane Raouya, archétype du grand commis d'Etat, tient pourtant un discours de réforme (encore la semaine dernière au micro de Souhila Hachemi). Le pari d'un financement du déficit budgétaire prévisionnel des trois prochaines années par, en bonne partie, plus de collecte de l'impôt paraît improbable en l'état. La prospective triennale projette de collecter 1000 milliards de dinars de recettes fiscales additionnelles en contexte de contraction des dépenses publiques. Aucune étude ne permet de faire la part claire des apports à la croissance de la fiscalité ordinaire de ces dernières années : effet mécanique de la croissance du PIB tirée par les dépenses publiques, ou effet de valeur liée à une meilleure efficacité de l'administration fiscale ? Il est raisonnable de penser que la croissance des recettes fiscales ordinaires aura besoin d'un choc compétitif pour faire ce bond de plus de 35% en 3 ans. Rien ne le laisse envisager dans l'administration dirigée par le placide M. Raouya. Ni l'innovation sur l'assiette imposable ni l'outil pour recouvrer l'impôt. La modernisation de l'administration fiscale est beaucoup trop lente comparée, par exemple, à celle des douanes ou celle des caisses d'assurance, deux autres bras du prélèvement régalien. Dans un tel contexte, la tentation est forte d'exercer une plus grande pression sur le volant de contribuables à portée. C'est le grand risque esquissé déjà dans la loi de finances 2017. TVA, taxes spécifiques sur des produits (carburants, tabacs, alcools) ou des services (téléphonie, Internet) : le gouvernement peut toujours se défendre en soutenant qu'il préserve la création de richesse en ne touchant pas aux prélèvements obligatoires en entreprise. La marge de manœuvre pour accroître la pression fiscale est déjà clivante. Pour l'expert Ferhat Aït Ali, le taux des prélèvements obligatoires rapporté au PIB reste trop élevé en Algérie. La réforme doit aller dans le sens de le faire baisser. En principe, en augmentant le PIB. En 2013, l'Algérie occupait le 54e rang mondial dans le classement des Taux de prélèvement obligatoire rapporté à la richesse créée par la nation (TPO/PIB). 37,3% supérieur de deux points au TPO/PIB moyen de la zone OCDE. Le collectif Nabni a proposé en 2015 de générer 1000 milliards de dinars de recettes fiscales supplémentaires à 2020 en supprimant une partie des niches fiscales et en améliorant la collecte de l'impôt. Mais aussi en introduisant de nouveaux impôts sans modifier le ratio impôt/PIB, ce qui suppose bien sûr une augmentation de la création de richesse. Il existe un symptôme de cette propension à faire supporter plus d'impôt par une population qui ne s'élargit pas à la bonne allure. Celle qui rend le poids de l'impôt supportable. Ce symptôme de la créance non recouvrée détenue par l'administration fiscale sur les entreprises. 11 400 milliards de dinars en cumulé. «De quoi financer deux budgets de l'Etat», s'est indigné Djelloul Djoudi, président du groupe parlementaire du PT cette semaine sur Radio M. «C'est d'ailleurs là qu'il fallait chercher le financement du déficit budgétaire et non dans les mesures d'austérité et de plus grande pression fiscale sur les citoyens». Oui, mais ce montant (hors pénalités) effectivement colossal ne confirme pas seulement la faiblesse des moyens de collecte de l'impôt ; oui la faiblesse de la volonté politique de faire payer les plus puissants (par proximité politique au pouvoir). Ce montant dit que le dispositif fiscal algérien est insoutenable, inadapté. Le virage qui se joue en 2017 est essentiel. L'état Algérien a une conscience intuitive que son avenir repose sur un changement de paradigme. Ce qui portera l'action publique viendra de plus en plus du citoyen contribuable et de moins en moins de Hassi Messaoud. Or, pour asseoir le budget de l'Etat sur la contribution de situation, la science politique n'a rien inventé de mieux que le consentement à l'impôt dans le contrat social. L'Etat convainc le contribuable que l'impôt qu'il paye est le juste prix des services que l'Etat lui rend par la collectivité publique. Cette éducation est un travail politique de l'Etat irréprochable. L'Algérie de Chakib Khelil, de Abdeslam Bouchouareb et Abdelmalek Sellal en est aux antipodes. Cité pour corruption aggravée dans le premier cas, pour suspicion d'évasion fiscale dans les deux autres cas (Panama Papers), les responsables politiques de l'Algérie n'ont pas préparé les citoyens à ce changement de paradigme. Le pays reste donc toujours calé sur l'ancien contrat social : «ma part de la rente pétrolière». Elle ne crée pas le consentement à l'impôt. Par deux fois, en 2015 et 2016, le gouvernement a tenté de ramener dans le circuit bancaire, et donc dans l'assiette fiscale, quelques centaines de milliards de dinars qui circulent dans le commerce informel. L'opération de mise en conformité fiscale a suscité la plus grande méfiance. Seules environ 500 personnes (ordre de grandeur divulgué par le DGI lui-même) ont accepté de bancariser des fonds informels et de payer 7% de taxe forfaitaire aux impôts. De même, le grand emprunt national n'a pas réussi à attirer l'argent de l'informel malgré l'anonymat garanti par le bond au souscripteur. Le MDS (gauche) a proposé, dans une tribune de son SG dans El Watan, le recours au changement de monnaie pour siphonner les capitaux du marché parallèle. Et les rendre imposables. Opération à risques. Voir le chaos au Venezuela qui l'a tenté le mois dernier. Plus efficace de se débarrasser des facteurs de la défiance qui rendront l'impôt mieux accepté par les citoyens. Facteurs de défiance ? Il y a déjà des noms dans cette chronique, mais la matrice est plus large. Elle a grandi sous Abdelaziz Bouteflika.