Après deux semaines de réclusion passées à la cité universitaire, Kader, étudiant, a voulu rentrer chez lui à Aït Aâdella, un village d'Iferhounène (75 km au sud-est du chef-lieu de la wilaya de Tizi Ouzou). Il n'est pas rassuré quant à sa famille et il confie : « Les nouvelles ne sont pas bonnes et la neige, haute de 1,5m, a tout bloqué. Je crains que ma famille ne manque de nourriture ou qu'un proche ne soit malade. » Il est 9 h. Impossible d'emprunter la RN 15 qui mène de Oued Aïssi au col de Tirourda. Un engin porte-char s'étant « coincé » tout près de Âdeni, le fourgon de transport de voyageurs, après 10 km, rebrousse chemin et rallie Larbaâ Nath Irathen par la route d'Aït Oumalou. « C'est ce qu'avait fait le maréchal Rondon, lors de sa conquête de la Kabylie en 1875 », observe Kader. Au fil de la montée, les effets de l'enneigement s'offrent au visiteur : route rétrécie et balisée par des accotements blanchâtres, ciel menaçant et verglas persistant. Une heure après, la diligence entame la sinueuse route de Michelet. Un chemin assez large pour un seul véhicule s'élance sur 20 km et 365 virages. A 50 km/h, on a le loisir de contempler ce désastre blanc : sur les deux « rives », des chênes-lièges ont cédé sous le poids de la neige. Même à cette allure, le chauffeur fait preuve de doigté pour ne pas finir dans le décor. Arrivés à Aïn El Hammam, vers midi, quelques flocons se hasardent dans un ciel éclairci et le contraste est saisissant : des haies immaculées hautes de 2 m formées lors de l'ouverture des routes, une circulation très dense et les va-et-vient de chasse-neige, de niveleuses et de convois militaires. La ville grouille de vie ou, plutôt revit après une semaine d'hibernation, et les échoppes, ouvertes, sont prises d'assaut par les citoyens. Notre guide hèle au loin un de ses cousins. « Quelle chance, il a sa voiture », s'écrie-t-il avec soulagement et précise : « Sinon, d'ici jusqu'au village, nous marcherons près de 30 km, car les transporteurs n'ont pas encore repris le service et des pistes vicinales ne sont pas totalement rouvertes », nous indique-t-on à la station de voyageurs desservant Imsouhal et Iferhounène. Qu'elles soient nationales ou de wilaya, les routes que nous empruntons n'ont été déneigées que le mardi (une semaine après le début de la tempête de neige) et les équipes réquisitionnées pour ce faire, des soldats de l'ANP et le personnel des travaux publics et du privé, sont toujours à pied d'œuvre. Aït Aâdella est un village de 2000 âmes perché à plus de 1200 m sur le flanc nord-est du Djurdjura. « C'est le village le plus élevé de la commune d'Illiltène qui en compte 11 bourgades », précise notre compagnon. Des villageois font le récit « de la semaine la plus longue », faite de tempêtes de neige incessantes où les gens se sont cloîtrés chez eux pendant trois jours avec des températures allant de -3° le jour à -10° la nuit. Le gel, visible sur les gouttières, a fait exploser plusieurs conduites et une partie du village est restée 8 jours sans électricité. « Les deux pistes menant au village ont été rouvertes, mardi dernier, à la main par les jeunes qui sont venus à bout de 2 m de couche blanche et très dense », nous dit un sexagénaire. Ce paysan nous confie : « C'est grâce à cette jeunesse que nous avons organisé, en pleine période neigeuse, les funérailles d'une personne décédée dimanche dernier et que nous avons pu enterrer lundi », avant de se souvenir qu' « en 1945, il y a eu près de 5 m de neige et l'isolement a duré plus d'un mois. Nos parents enregistraient deux décès par jour. » Au village Thifilkouth, deux malades ont été évacués lundi dernier à dos d'homme vers la policlinique d'Iferhounène, loin de plus de 10 km alors qu'« à Taourirth Amrous, un village voisin, une femme a disparu lors de la tempête et jusqu'au week-end dernier, les recherches faites pour la retrouver étaient vaine », apprend-on. La rudesse du temps a failli venir à bout de cette population pourtant aguerrie pour ce type d'épreuve, mais des dizaines d'oliviers sont détruits et quelques têtes de bétail décimées. Un fonctionnaire de 50 ans, très en colère vis-à-vis des pouvoirs publics, nous dit : « Notre commune (15 000 habitants) n'a pas de pharmacie et les médicaments, il faut aller les chercher à pied, à10 km, à Iferhounène. » Et ces fameux convois de ravitaillement ? Un commerçant précise : « Ce n'est que mercredi que nous avons été livrés. Chaque commerçant a eu 12 sacs de semoule, 3 douzaines de bidons d'huile et 5 cartons de lait en poudre. » Prévenante et solidaire en pareille période, la population ne semblait pas avoir trop souffert du manque de nourriture, mais « une pression commençait à se faire sentir à propos du gaz butane, et jusqu'à mercredi nous n'avons pas pu nous approvisionner », indique un citoyen. Mohamed Saïd, un ingénieur de 34 ans, fait part de sa crainte des lendemains : « Avec la fonte des ces tonnes de neige, il y aurait des éboulements terribles sur ces flancs accidentés. Nos pistes et nos chemins sont impraticables », avant de conclure que « l'urgence reste la réouverture des 13 écoles primaires, du CEM et du lycée de la région », car, après tout, la vie doit reprendre.