Ce qui suit est la transcription des communications radio entre les soldats et leur capitaine : «Nous identifions une arabe de sexe féminin à 100m de l'entrée de l'avant-poste», «Qu'est-ce que vous voyez ?» «Nous voyons une, deux jambes, 100m en avant du poste», «Pouvez-vous la voir ?» «Positif, une petite.fille qui court, la cible se déplace vers l'Est» « Définissez la position», «Au nord de Morshah», «Position non correcte» «Elle est derrière le fossé, elle est morte de peur, les tirs sont passés à quelques centimètres d'elle» «Ils lui tirent dessus ; nos soldats sont à 70m d'elle», «Je crois qu'un de nos postes l'a envoyée par terre», « Quoi ? Avez-vous vu qu'elle a été touchée ? Est-elle au sol ?» «Oui, et elle ne bouge plus», «Reçu» «Moi et Jefro allons en avant pour confirmer la mort, couvrez-nous. La situation est la suivante : nous appliquons les ordres et tirons sur elle ; elle porte des jeans, un T-shirt et un bonnet. Mort confirmée» «Reçu» «Quoi que ce soit qui pas,se dans la zone doit être tué, même si c'est un enfant de 3 ans». Bilan du Blitz israélien sur Ghaza, décembre 2008/janvier 2009: 451 enfants tués (source délégation palestinienne de France) L'homme sage est-il celui qui vit dans l'indifférence absolue du genre humain ? Comme ce nomade touareg du désert, qui dans l'immensité dunaire converse avec les étoiles ? Ou celui qui laisse errer son regard dans quelque valeuse perdue, à contempler sans fin les verts froids de l'océan et écoute les psalmodies répétées de la mer ? L'homme sage doit-il choisir d'exister dans une nature vidée de toute présence humaine ? Sans doute. Hélas la sagesse n'est pas donnée à tous. Et notre tendance naturelle est de fréquenter les hommes, de partager leur vie, d'embrasser leur humanité. Notre devoir est de les aimer et il existe de grands hommes non pour ce qu'ils ont réalisé mais par Ia grandeur de leur amour de l'humanité. Je ne suis pas un grand homme, car plus j'ai cherché à rencontrer Ies hommes, à les comprendre, à partager leur vie, à embrasser leur humanité, plus je pense n'avoir reçu d'eux qu'un baiser de lépreux et je ne les aime plus. C'est tout. La plus sûre des logiques humaines est le mal et la haine, partout, toujours. La haine qui prend différents visages de Gorgones est la première condition de la condition humaine, ontologique pourrait-on dire. Elle est à l'origine des ambitions et des disgrâces, des indignations et des débats, des mépris et des humiliations, des conflits et des rancunes, des révoltes et des persécutions, des assassinats et des viols, des servitudes et des esclavages, des massacres et des holocaustes, des guerres et des barbaries, du meurtre banal, du crime ordinaire. Vous les hommes d'où que vous soyez, quelles que soient vos convictions, votre confession, votre origine, votre race, votre histoire, votre nation et aussi votre morale, oui, vous portez en vous un embryon du mal, un germe de haine, un assassin refoulé, un criminel qui sommeille. Car la condition humaine est indissociable de la conscience et de l'amour du mal. Le mal peut être une pulsion que l'on maîtrise, mais combien de temps, car pour de petites ou pour de grandes circonstances, on le sait là, tout proche de soi, à notre disposition et la bête se réveille. Cela commence par l'émotion. L'absence d'émotion n'est pas humaine et l'émotion naturelle peut prendre graduellement une palette de couleurs jusqu'à la consternation et l'effroi. L'indifférence est coupable, l'émotion est juste. Puis vient l'indignation, nobles prémices du mal. Ah ! l'indignation qui se répand à toute occasion, comme un nuage de criquets dans le Sahel. Certains passent une vie entière dans l'indignation et vivent aussi de l'indignation. Il y a tant de choses en ce monde dignes d'indignation. Mais sachez aussi que dans chaque criminel, au départ existait un homme indigné. L'indignation mène très vite à la haine, contenue, sourde ou affichée, la haine idéologique, religieuse, politique. C'est d'abord le combat d'idées où figure souvent plus de combat que d'idées. C'est la haine littéraire plus ou moins talentueuse et plus sophistiquée que le hurlement du barbare. Puis la haine, un jour, conduit au crime, au meurtre. Dès lors est-il utile de savoir la nature ou l'ampleur du crime ? Doit-on distinguer le meurtre d'un seul homme, de l'extermination d'un peuple ou d'une race ? Doit-on juger des circonstances, des moyens, des responsabilités initiales et finales. A quoi bon ? Est-ce bien important d'en parler ? Un crime reste un crime. Face au crime que va-t-on choisir ? La compassion pour les victimes est pas mal, elle ne coûte rien. Nous avons toujours les océans de larmes des dames de charité. Mais les victimes n'ont pas besoin de compassion. Souvent les victimes n'ont plus besoin de rien. Non, face au crime ne restent que la justice ou l'oubli. On se préoccupe des droits de l'homme en omettant de parler de son droit essentiel, le droit au crime. On n'en parle jamais, car il est tellement convenu, le droit au crime. Non, convaincu de la futilité même des mots, j'en appelle au silence de l'oubli et je demande solennellement, pour ce qui s'est passé ces derniers temps, pendant près d'un mois sur cette malchanceuse et infime bande de Ghaza, un silence opaque et un oubli minéral. Aussi choquant que cela vous paraisse, cette supplique je l'exprime avec un sentiment simple d'honneur et d'humilité. Toutefois, il faut traiter un problème autrement plus grave et plus urgent. Il doit bien rester, errants, hagards, meurtris, ahuris et perdus quelques centaines de milliers d'enfants sur cette maudite terre de Ghaza. Qu'en faire, que leur dire, avec quels mots ? Et leur expliquer quoi ? Car ils ne peuvent rien comprendre, même avec les mots les plus doux, les mots les plus aimants. Le propre de ces enfants, comme de tous les enfants du monde, qu'ils soient nègre blanc, juif, musulman, israélien ou palestinien, est d'ignorer le mal. Comment parler du mal, expliquer le mal à des enfants ? Un enfant ne peut pas se représenter mentalement le mal. Il ressent la peur, la douleur, le plaisir, la tendresse, l'amour, beaucoup d'autres choses mais jamais le mal. Il faut faire mieux que parler du mal à ces enfants. Je me souviens d'un enfant qui habitait une planète petite et lointaine. Sur cette planète, il n'y avait, en fait, qu'une rose dont il devait s'occuper avec attention et trois volcans éteints. Il a voulu visiter d'autres planètes, celle d'un roi sans sujet, celle d'un ivrogne, celle d'un allumeur de réverbères, celle d'un financier et puis il vint sur. terre. Il voulait connaître les hommes. Par bonheur, il arriva en plein désert et ne rencontra qu'un aviateur en train de réparer le moteur de son avion. Cet aviateur s'appelait Antoine de Saint-Exupéry. Il fut étonné des questions de cet enfant. C'était seulement des questions d'enfant. C'était un enfant très sérieux avec des paroles déroutantes, comme celles des enfants. Ne sachant son prénom, Saint-Exupéry l'appela le Petit Prince. Puis le Petit Prince a aussi rencontré un renard qui lui a appris diverses choses, comme les rites et surtout comment on apprivoise c'est à dire comment aimer. Çà jamais un homme n'aurait pu le faire, seul un renard le pouvait. Puis le Petit Prince est retourné sur sa planète. Il avait juste appris sur terre que finalement il aimait sa rose. Alors je demande d'urgence, que l'on trouve une galaxie contenant quelques centaines de milliers d'astéroïdes, dans l'univers sidéral il y en a des millions, possédant au minimum une rose et trois volcans éteints et qu'on envoie les enfants de Ghaza, sans chercher à leur parler, dans cette galaxie lointaine, assez loin de la terre en tout cas, pour qu'ils passent leur temps tranquillement à se préoccuper d'une rose, à ramoner trois volcans éteints et à regarder, comme le Petit Prince, le soleil se coucher plusieurs fois par jour et cela avant qu'ils ne deviennent des hommes. Je ne vois pas de résolution plus sérieuse à prendre. Je ne vois rien de plus sérieux, de plus profond et de plus grave à dire au sujet du récent conflit israélo-palestinien. s L'auteur est : Journaliste indépendant français