Selon des témoignages recueillis hier sur place, une première tentative avait déjà été enregistrée dans la matinée de samedi, vers 8h, quand les fidèles ont été empêchés d'accéder à cette église, aménagée dans une bâtisse à usage d'habitation, pour accomplir leur messe hebdomadaire. Avant notre arrivée sur les lieux, des personnes étrangères au quartier nous ont intimé l'ordre de rebrousser chemin. Menaçants, ils se sont adressés à nous en disant : vous ne ferez plus votre culte ici. Pour éviter un éventuel affrontement physique, nous avons préféré rentrer chez nous. C'est à ce moment-là qu'ils ont commencé à tout saccager. Un policier en civil présent dans la salle a tenté de s'interposer. Ils l'ont agressé avec une chaise. Nous avons pris des photos que nous avons remises aux services de sécurité», raconte un membre de la communauté protestante, encore sous le choc. Hier, au moment de notre passage, les traces des dégâts étaient encore perceptibles. Le rideau métallique de la grande salle où se déroule le culte hebdomadaire était défoncé. A l'entrée, des chaises, des tables, des ustensiles de cuisine et des livres étaient jetés dans un coin. Une armoire, un matelas et des tables ont été précipités dans un talus. A l'intérieur, des objets divers, du mobilier et des assiettes en plastique jonchent le sol. La bibliothèque, la salle de bains et la cuisine ont subi le même sort. Dans une autre pièce, un amas de tenues vestimentaires et de livres fume encore. «Ils n'ont rien ménagé. Même la croix de Jésus a été arrachée et brûlée. Le climatiseur ainsi que des instruments de musique utilisés dans les liturgies ont été également détériorés. Les dégâts sont énormes», commente, visiblement abattu, un adhérent de la communauté Tafat qui nous fait visiter l'église. Selon lui, les services de police ont été saisis. «Des policiers se sont déplacés samedi matin pour établir leur PV et constater les dégâts, mais les assaillants sont revenus à la charge dans la nuit pour mettre le feu à ce qu'il restait.» Pour Mustapha Krirèche, le pasteur de la communauté Tafat – une des trente églises affiliées à l'Eglise protestante d'Algérie, créée en 2003 – ce qui s'est passé samedi dernier est «l'œuvre d'un groupe d'islamistes et non de musulmans, car l'Islam a toujours été une religion de tolérance». «Hakda ouala kthar (mieux vaut ça qu'autre chose de plus grave), car ce sont des gens capables de tout. Ils s'en sont pris même à la croix de Jésus qu'ils ont arrachée puis brûlée.» M. Krirèche accuse également les autorités «d'immobilisme». «Nous avons déposé cinq plaintes auprès des services de sécurité de la wilaya. Même le procureur de la République près le tribunal de Tizi Ouzou a été saisi au sujet de cette affaire. Nous sommes une association agréée, affiliée à l'Eglise protestante d'Algérie. Les locaux où nous activons ont été mis à notre disposition par un privé. Nous recevons jusqu'à 300 personnes. Les autorités continuent de faire la sourde oreille en dépit de nos sollicitations pour nous protéger. Nous n'avons pas envie d'en arriver à l'affrontement physique. Si on a le droit d'exercer notre culte, qu'on nous le dise. Si les autorités veulent dissoudre notre association par voie de justice, qu'elles le fassent.» La lancinante question des cultes non musulmans L'église Tafat, qui compte près de 300 adhérents, a fait l'objet en novembre dernier d'une notification de fermeture de la part de la wilaya de Tizi Ouzou au motif que les lieux n'étaient pas adaptés pour servir de lieu de culte. Une décision qui n'a pas manqué de faire réagir les concernés. «On nous dit que la bâtisse est à usage d'habitation. Si nous activons ici, c'est parce que nous n'avons pas d'autre choix. Puisqu'on est censés être protégés par l'Etat algérien, qu'on mette à notre disposition un local plus adéquat», dit un membre de cette communauté protestante. L'affaire de Tafat remet sur le tapis la lancinante question de la pratique d'un culte non musulman en Algérie. En mars 2008, les autorités de wilaya avaient suspendu deux temples protestants situés à la Nouvelle-Ville de Tizi Ouzou. Pour rappel, cette décision a été prise dans le cadre de la nouvelle loi de mars 2006, qui interdit l'exercice d'un culte non musulman «en dehors des édifices prévus à cet effet» et «subordonne l'affectation des édifices pour l'exercice (d'un tel) culte à l'obtention d'une autorisation préalable». L'exercice d'un culte non musulman est soumis à une autorisation préalable de la wilaya et ses adeptes doivent se constituer en association pour le pratiquer, selon un décret exécutif datant de juin 2007 pris en application de la loi de 2006. Selon ce décret, le wali peut interdire les rassemblements de non-musulmans s'ils «constituent un danger pour la sauvegarde de l'ordre public», ou imposer leur transfert dans un autre lieu que celui initialement prévu par les organisateurs.