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Architecture. Brasilia, cinquante ans après : L'avenir dessiné
Publié dans El Watan le 24 - 04 - 2010

Pour saisir la force et l'originalité de Brasilia, il vaut mieux y arriver après une escale à Sao Paulo ou à Rio de Janeiro, c'est-à-dire passer par des villes avec un patrimoine historique et un urbanisme classique, aux règles connues. L'urbanisme, jusqu'à Brasilia, se contentait de gérer les lentes évolutions de la ville. Bien sûr, l'histoire est là pour nous montrer qu'il y a eu des accélérations, çà et là, notamment dans les périodes de forte croissance. Mais rappelons-nous que, sortant de la Seconde Guerre mondiale, l'Europe a reconstruit dans l'urgence, phagocytant ses plus beaux faubourgs par des barres HLM que l'on cherche à imploser un demi-siècle plus tard !
Rio de Janeiro. Août 2008.
Mon ami Arnaldo passe me prendre à l'hôtel, en face de la plage de Copacabana. La traversée du centre prend une autre dimension avec ce fervent mélomane de l'architecture. Tout est décrypté selon les mouvements artistiques et les différentes phases de l'histoire du pays. Un monument d'Oscar Nyemeyer par-ci, une avenue au nom de l'ancien dictateur par-là… Le Brésil ne jette rien, il amasse sans pour autant collectionner. L'aéroport secondaire de Rio est quelconque. Un bâtiment d'ingénieur, strictement fonctionnel. Il porte quand même un nom d'artiste : António Carlos Jobim. Plus d'une heure de retard, assez pour me rappeler que l'ouverture d'esprit peut côtoyer des restes de sous-développement. En 1h35, nous passons de la pluie à la sécheresse de Brasilia en cette saison. Bien que le ciel soit partiellement couvert, la terre est brune, brûlée par quatre mois ininterrompus de soleil. Les grandes pluies arriveront en octobre pour s'installer durant six mois. J'espérais un atterrissage sur une ville dessinée, identifiée, avec le symbole de l'oiseau que l'on voit sur tous les plans. Niet ! Entourant la ville, les favelas ne laissent qu'un angle précis pour percevoir le Plan de Costa qui n'était d'ailleurs pas un plan, au sens du dessin, mais un rapport écrit, un plan directeur, comme on dit. C'est Oscar Niemeyer qui s'est chargé en grande partie de sa transcription. Fierté, mon ami Arnaldo a participé à la rédaction du dessein. A l'aéroport, une amie nous attend pour une première balade en voiture. Nous pénétrons dans la ville originale. L'axe principal est fermé le dimanche pour la promenade des gens.
N ous prenons les axes secondaires. Les super-quadras, immeubles d'habitations, apparaissent. A première vue, ils ressemblent à n'importe lesquels en Europe. Je me dis que c'est la banlieue et j'attends une surprise. Mais, petit à petit, on remarque que seul le gabarit de ces immeubles est le même. Six étages chacun, tous sur pilotis, mais aucun ne ressemblant à l'autre. Et, passé sur une voie tertiaire, je remarque la transparence générale des rez-de-chaussée, évidés sur les cours. On demandait un jour à Lucio Costa pourquoi tous les immeubles avaient six étages. Il répondit que si une maman devait appeler son fils pour monter déjeuner, c'était un maximum pour porter sa voix.
Je suis encore trompé par mes références et j'associe la typologie des immeubles à une catégorie sociale. Erreur ! La suite du parcours va me déstabiliser. Nous nous arrêtons au milieu d'une voie transversale. Ce n'est pas vraiment une rue et pas vraiment une place, ni une allée. Comment expliquer ? Une typologie mixant les trois et une proportion jusque-là inédite. Ces voies étaient censées être à l'origine des axes de service, tous les commerces de proximité devant être orientés exclusivement sur les intérieurs des super-quadras. Nous entrons dans le restaurant L'Entrecôte – en français dans le texte. L'enseigne cache une carte pourtant bien brésilienne. L'endroit est chic. Je comprends alors que nous sommes dans un quartier huppé. Les vitrines alentours sont cossues. Les modèles urbains connus s'effondrent. Il me semble que ce dont avait rêvé Le Corbusier, Oscar Niemeyer et Lucio Costa l'ont fait. Et tout ça a l'air de bien fonctionner. Chaque super-quadra a un maire. Notre accompagnatrice est maire de sa super-quadra. Les questions à l'ordre du
jour ? Le recyclage des ordures ménagères et le «paysagement» des jardins. J'ai l'impression de passer de Windows XP à Mac OS ! Le choc atteindra son paroxysme sur l'axe monumental, entre la cathédrale, la bibliothèque et le Musée d'art contemporain. Etrangement, de l'extérieur, la coupole du musée recèle une forme assez attendue chez Oscar. Mais la bibliothèque est un manifeste d'architecture moderne. Son design est des plus dépouillés. A faire pâlir Le Corbusier et reléguer Pouillon en 1ère année d'architecture à l'Ecole d'Alger. Oui, je sais, je suis un fan, mais des trois maîtres à la fois. Là, la puissance donnée par l'échelle du motif de la résille et le dépouillement total me font penser aux peintres minimalistes ou à trois notes de trompette dans le tempo de Miles Davis. J'étais au cœur du concept. L'intérieur du musée me révélera toute la puissance de la forme donnée au dôme. Le transport est immédiat. Tout le registre du mouvement moderne est là avec, en plus, comme un défi à tous les confrères, la courbure dans l'espace. Un ami plasticien me disait que Niemeyer dessinait des seins et des galbes. Là, on était dans le ventre d'une mère.
La vie au départ. Les rampes coulent (le mot fluide prend ici tout son sens) et détachent les garde-corps massifs, les faisant flotter. L'espace absolu. Comme pétrifié un long moment, je sors enfin de mon étonnement.
La balade continue le long de l'axe monumental. Les bâtiments d'Oscar racontent les uns aprés les autres une vision politique du Brésil d'alors. Les ministères ne sont pas seulement ressemblants. Ils sont un même bâtiment répété. Simples, fonctionnels, ouverts, ils n'ont de révolutionnaire que leur extrême sobriété. La démocratie s'exprime d'abord au sommet de l'Etat. Aucun ministre ne peut choisir la position de son bureau, ni son aménagement ou sa décoration. Tous égaux et fonctionnaires devant la République. Seuls se distinguent les sièges des Affaires étrangères et de la Justice. Le premier, monumental, se détache avec une élégance et une originalité digne d'un temple antique, à la seule différence que le béton brut a remplacé la pierre et fait flotter les masses sur un plan d'eau aménagé. Face à lui, le second siège, tout aussi prestigieux, laisse couler ses cascades sur des langues de béton armé aux formes sculptées par le même maître et révélant la puissance de ces deux institutions calibrées pour abriter les espaces de représentation officielle que tous les autres ministères peuvent utiliser. La position des deux institutions, en fin de série, annonce le point d'orgue de l'axe monumental, la Place des Trois Pouvoirs : exécutif, institutionnel et législatif. L'audace est bien présente et l'architecture prend tout son sens au service de la politique. Mais rien n'échappe à l'humour caustique des Brésiliens. Sur cette place, tous les taxis brésiliens vous racontent la même histoire, inspirée des formes de la sculpture urbaine : le Sénat est un bol retourné, symbole d'une institution repue ; l'Assemblée est un bol à l'endroit, symbole de la faim du peuple ; et le gouvernement tient le bâton, menaçant ce dernier. Mais, sous les aspects légers du Brésil, se cache une dimension sérieuse : l'urbanisme comme instrument éminemment politique.
S'il fallait une seule preuve pour illustrer ce propos, Brasilia en serait l'évidence. Au départ, des hommes et des idéaux dont l'impulsion aboutit à la décision de fondation d'une nouvelle capitale dans une des régions les plus pauvres et les moins peuplées du Brésil. Au XIXe siècle, on décrivait le Goyas comme une région tellement éloignée de la mer que la colonisation n'a pu y pénétrer que très lentement. Au centre-est du pays, à plus de 1100 m d'altitude, le site n'est pas choisi en fonction de ses ressources naturelles, mais pour sa position géopolitique et son potentiel à porter un message. On creuse un fleuve de 42 km de long pour apporter l'eau qui manquait au site. Comme un défi aux puissances occidentales et au conservatisme local, on s'est donné mille jours de travaux pour inaugurer la capitale, décrétée politique et administrative. Mais surtout, on a imprimé l'image d'un nouveau Brésil, dépouillé de sa charge coloniale et de ses démons internes, et projeté loin du passéisme rétrograde. «Utopie de la modernité», c'est l'inscription que l'on découvre symboliquement sur l'axe monumental et institutionnel de la ville, entre bibliothèque et musée, comme pour assumer le dessein d'avenir. Déjà, le développement était en marche.
Oscar Niemeyer avait engagé sa carrière à Belo-Horizonte, dont le maire était un certain Juscelino Kubitschek, qui deviendra gouverneur de l'Etat du Minas-Geraïs, avant d'accéder, en 1955, à la présidence de la République. L'architecte nous a raconté qu'en 1956, le président Kubitschek s'est déplacé chez lui pour l'inviter à bâtir une nouvelle capitale. Il voulait tenir sa promesse de campagne électorale. Niemeyer n'hésita pas une seconde à relever le défi. «Nos opinions politiques, rapporte-t-il, ne rentraient pas en ligne de compte…». A l'époque, la décision est très critiquée et présentée comme une «folie» qui allait coûter très cher au Brésil. Les éternels sceptiques ne comprenaient pas que Brasilia allait donner un coup de fouet au développement de l'hinterland, comme cela s'est vérifié par la suite : routes, villages, écoles, dispensaires, transports, installations d'énergie et de communication, mise en valeur de terres vierges, etc.
Une utopie efficace
L'organisme chargé du projet, la Novacap, était présidé par un certain Pinheiro, décrit par Niemeyer comme un homme droit, honnête et sérieux. «Tu seras payé comme un fonctionnaire, dit-il à l'architecte, 40.000 Cruzeiros par mois. Ce n'est pas grand-chose, mais je peux te donner une commission pour l'effort». Oscar, refusa d'être rémunéré. L'architecte était libre de ses actes, tant qu'il restait dans le cadre du plan directeur. Il était d'autant plus à l'aise qu'il ne retirait aucun bénéfice pécunier de son travail. Il dira même que cela influa sur son architecture. Il soumettait toujours ses projets au Président. C'était d'abord une question d'éthique et il voulait que le premier responsable du pays soit impliqué dans l'aventure architectonique. «Sous la dictature, poursuit-il, on n'a pas détruit ce que nous avions construit, et dans l'ensemble, la ville a gardé son unité, même si pendant de longues années, il y a eu du désamour, un manque d'amour». Oscar s'est exilé pour constater que les militaires lui ont rendu, sans le vouloir, un grand service. Il a pu ainsi faire connaître au monde son architecture et les progrès de l'ingénierie brésilienne. Il cite souvent, parmi ses projets importants, le siège du Parti communiste à Paris, le siège des éditions Mondadori à Milan et l'université de Constantine. «Grâce à des imbéciles, dira-t-il, j'ai donné une dimension nouvelle à mon œuvre d'architecte…»
La capitale a été inaugurée le 21 avril 1960. Cinquante ans après, elle ne cesse de s'étendre et de se développer. Même ses favelas, peuplées par les familles des ouvriers qui l'ont bâtie, gardent une structure et un plan organisés. Du plan directeur de Lucio Costa, il reste la certitude qu'une autre manière de voir le monde est possible. Entourés d'intellectuels, d'artistes et de visionnaires aimant leur pays, les politiques ont décidé de changer la société car elle était injuste. Leur utopie a servi leur pays. Brasilia est aujourd'hui une capitale unique au monde, vitrine d'un Brésil dynamique. Elle a servi à fixer une identité nouvelle et à tourner l'ensemble de la société vers un avenir décidé, puis dessiné. Elle accorde aujourd'hui tout le monde sur le potentiel de développement d'un peuple et affirme la puissance des idéaux de progrès face à ceux, pervers, de la mégalomanie et du masochisme.
– L'auteur est : Architecte


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