« Mon week-end commence dès que je mets les pieds à l'intérieur, tellement c'est classe ! » Hakim travaille à Alger et chaque mercredi, c'est en autorail qu'il rentre chez lui, à Lakhdaria, retrouver sa femme et ses deux enfants. Bercés par de la musique classique, ravitaillés par un restau-rail sans se soucier des températures caniculaires grâce à la clim' : depuis le 2 mai, les passagers de l'autorail Alger-Béjaïa-Alger, découvrent… le confort ! « Et puis on voyage sans stress », ajoute Hakim. 14h15, départ de la gare d'Alger. Jamais de retard. Le train effectuera huit arrêts avant la destination finale (Agha, Boumerdès, Bouira, Tazmalt, Akbou, Beni Mensour, Sidi Aïch, El Kser). Le train, complet, devait arriver à 18h10 mais fait finalement son entrée en gare de Béjaïa à 18h45. A l'origine du retard : les ralentissements du train à chaque passage à niveau non gardé, contraint de rouler à 70 km/heure au lieu de 110 ! Vers 15h lorsque nous entamons le tunnel d'Ammal, dit tunnel d'enfer, Salhi, El Hadi et les autres ne peuvent s'empêcher d'évoquer le malheureux souvenir de mars 2008 où les wagons de fuel d'un train de la SNCF et un autre de la marchandise étaient entrés en collision. Dans le couloir, Nadir, 2 ans et demi, se promène. Fini les voyages cloué par une ceinture de sécurité à l'arrière de la voiture. Dans l'autorail, il a droit à plusieurs balades sans restriction. Pour voir du pays avec sa petite famille, Omar a préféré « laisser sa voiture à la maison ». « Nous aurions pu venir à Béjaïa en avion mais j'avais entendu parler de cet autorail et je voulais vraiment l'essayer, confie-t-il. Nous avons préféré découvrir l'Ouest par les transports en commun. Depuis Tlemcen, nous n'avons pris que le bus et le train ! » Depuis dimanche dernier, un autre train de voyageurs a repris du service après dix ans d'absence : celui relie Alger à Tizi Ouzou. La reprise de la circulation sur cette ligne se fait aussi en deux rotations par jour desservant les gares de Drâa Ben Khedda, Tadmait, Naciria, Bordj Menaïel, les Issers, Si Mustapha, Thenia, Boumerdès et l'Agha. Le départ de Tizi Ouzou est programmé à 5h25, arrivée à Alger, à 7h23. arrivée à Tizi à 18h01. Deux heures Le retour d'Alger se fait à 16h05, plus tard, lorsque nous arrivons à la gare de Tazmalt, qui n'a de gare que le nom, l'équipage doit redoubler de vigilance et de rigueur. De Tazmalt jusqu'au terminus, c'est le tronçon le plus dangereux et le plus fatigant. Il y a en effet 88 passages non gardés et seulement 9 gardés entre Beni Mansour et Béjaïa (quelque 75 kilomètres du chef-lieu de wilaya). A chaque passage, le mécanicien doit ralentir et klaxonner à plusieurs reprises pour alerter les automobilistes qui n'hésitent pas à s'engager sur leur chemin. « Depuis la mise en service de cet autorail, je n'ai pas pu éviter deux accidents à cause des passages à niveau non gardés à Alaghène et Akbou, nous confie le conducteur du train. En plus de la panique chez les passagers, j'étais contraint de laisser le train et de suivre les services de sécurité pour une prise de sang ! » Au niveau de Sidi Aïch, c'est encore la panique, cette fois à cause des jets de pierre. Si les vitres sont incassables, celles de secours, cassables, ont déjà fait les frais des caillasseurs… Un peu plus loin, au calme, des passages lovés dans leur siège bleu nuit et orange, protégés du soleil par le store de la fenêtre, se sont endormis. Un docteur en psychiatrie, accompagné par son fils, nouvellement bachelier, sont plongés en pleine lecture. Malgré un malentendu autour des places en gare de Béni Mansour, le voyage en train est pour eux synonyme de confort et de tranquillité. « Je viens à Alger pour rendre visite à la famille, raconte-t-il. Personnellement, j'ai choisi l'autorail par conviction. Au retour, je prendrai le même transport. C'est mieux que la route où ne règnent qu'intolérance et manque de civisme. » Il craint toutefois que d'ici quelques mois, le voyage ne se passe pas aussi bien, que le train ne soit pas aussi bien entretenu. « Il faudrait des campagnes de sensibilisation. De temps à autre, lancer des appels à bord pour sensibiliser les passagers pour qu'ils préservent leur train. » Ses habitants avaient menacé Amar Tou, lors de sa visite sur les lieux en avertissant que si la ville n'était pas desservie, ils n'hésiteraient pas « à brûler le train ». A Tazmalt, Akbou, Bouira, Sidi Aich ou ailleurs, il faut dire que la majorité des stations sont dépourvues de plateforme ou de gare proprement dite. « Pour les personnes handicapées ou les personnes âgées, ce n'est pas facile d'accéder ou de descendre du train », témoigne le contrôleur. Affaires, visite touristique ou familiale, études, rendez-vous chez le médecin ou fête : il faut dire que tout le monde est susceptible de prendre cette ligne, à l'image de ammi Mohamed Améziane. Cet ancien cheminot a aussi choisi le train pour se rendre à une fête familiale. « Nous sommes à l'aide et en sécurité », témoigne-t-il en regardant ses deux filles, en talons aiguilles, habillées très chic et parées de leurs bijoux. Ici, pas de première ni de deuxième classe. Tout le monde paie le même prix : 690 DA pour la totalité du voyage entre les deux villes. Du côté des passagers, le tarif est jugé un peu excessif. « Je ne peux pas prendre l'autorail tous les jours car il est au-dessus de mes moyens, reconnaît Hakim. Nous habitons à 75 km d'Alger et je ne comprends pas pourquoi ce sont les tarifs supérieurs à 100 km qui sont appliqués. Si pour Lakhdaria, la SNTF appliquait la tarification de banlieue, tous les travailleurs pourraient rentrer chez eux chaque soir. Alors le restant de la semaine, je trouve refuge chez ma sœur. » Les passagers aimeraient aussi que les horaires soient revus. Ou qu'un autre autorail soit ajouté pour mieux desservir le début et la fin de journée. Les Boujiotes aimeraient par exemple que le premier train puisse partir en milieu de matinée – l'unique train part à 6h25 – de sorte que les habitants des villages autour aient le temps d'arriver jusqu'à la gare. Mais les habitants de Lakhdaria, de Bouira et de Boumerdès souhaiteraient, eux, que l'autorail arrive avant 10h21 pour arriver à temps à leur travail. Pour les passagers comme pour l'équipage, la demande est telle que pour plus de confort, un autre train ne serait pas du luxe. Car depuis Alger, de nombreux passagers ont fait le voyage debout. D'une capacité de 200 passagers, l'autorail a transporté, le jour où nous l'avons pris, une trentaine de personnes en plus. 18h45, terminus Béjaïa, la seule ville où le chef de gare est une femme. Tout le monde descend dans le calme. Omar et sa petite famille partent à la recherche d'un hôtel. Des familles viennent retrouver les leurs sur le quai. Il ne reste que quelques heures à l'autorail avant de reprendre, le lendemain matin, sa route vers Alger... Du nouveau pour Alger-Béjaïa : Après la protestation de ses habitants, la ville d'Ighzar Amokrane sera prochainement desservie. Ce qui portera le nombre des arrêts de l'autorail à dix. Autre nouveauté : le carnet à coupons pour une durée illimitée. Le client payera seulement 350 dinars s'il achète 30 billets au lieu de 690 dinars. Il est également question de lancer prochainement le carnet d'abonnement qui coûtera 3 200 dinars pour une durée d'une année, valable sur tout le réseau de la SNTF.