Ces structures connaissent depuis peu un essor pour le moins inquiétant. Des débuts timides qui ont fini par enregistrer en l'espace de quelques années, une franche expansion. Alger, métropole qui accueille un flux quotidien de foules anonymes, connaît ce phénomène qui va crescendo. Des petits hôtels comme celui situé à la rue du Dr Trollard, se sont spécialisés dans l'accueil de la gent féminine. Des auberges se sont également mises de la partie, ayant compris que ce genre de clientèle, plus docile, s'acquitte de ses redevances sans faire d'histoires. Des particuliers n'ayant aucun lien avec «les prestations de service hôtelières» ont découvert le filon qu'ils exploitent à fond. Ils ont transformé leurs appartements en pensions, non sans exiger un fort loyer. D'autres, pour des motifs pernicieux, ont compris que ces jeunes femmes sans protection familiale, constituent une proie facile. C'est ainsi que des propositions indécentes, leur sont faites moyennant le gîte et le couvert et une poignée de dinars. Une fois qu'elles passent le seuil de la porte, elles découvrent un monde différent. Celui des ribauds. Celles qui résistent retournent parfois dans leurs villages d'où elles sont venues. Désabusées, l'âme en peine mais surtout bredouilles, avec le sentiment d'avoir échoué. Celles qui ont l'échine souple tombent dans la spirale infernale de la prostitution. Cependant ce n'est pas une règle, il y a bien celles qui s'en tirent à bon compte en dénichant même un mari respectable. Le hasard et l'aventure font parfois bien les choses. Il n'est pas toujours évident pour les filles de trouver un endroit où crécher. Il y a les petites annonces mais aussi le bouche à oreille. C'est ainsi qu'on a les inconditionnelles du changement qui font plusieurs déménagements en quête d'un léger mieux ou encore pour la proximité avec leur job. Selon les sociologues, le phénomène est la conjugaison de plusieurs facteurs. En premier lieu, la paupérisation galopante fait qu'aujourd'hui, la femme, surtout celle qui peut accéder grâce à son cursus universitaire à des postes importants, est perçue comme un élément actif sur lequel la famille peut compter avec la contribution financière aux charges du foyer. Par conséquent, les parents consentent volontiers à laisser leurs filles partir loin de la maison pour travailler d'autant plus que les opportunités d'emploi sont minimes et restreintes. Partant de ce constat, on remarque que la société s'émancipe, dans un cadre global dicté par des interférences exogènes, en dépit des résistances endogènes. Ce qu'il faut retenir affirment-ils, c'est que présentement, les femmes qui réussissent ouvrent droit à la liberté qui passe inéluctablement par une indépendance financière. Mais cette finalité est périlleuse et parsemée d'embûches. Les jeunes femmes que nous avons rencontrées, nous ont confié, qu'aux moments où le spleen leur rend visite, elles sont à deux doigts de craquer et retourner dans leur foyer douillet. Elles ressentent cet amer sentiment de naviguer à vue et de ne jamais pouvoir s'en sortir loin de leur famille. Nacima, Feriel, fatima, Salima et tant d'autres résident loin de leurs familles, dans des pensions. Elles viennent à Alger, pour la plupart de l'intérieur du pays, pour travailler. Elles finissent parfois pour celles qui trouvent chaussure à leur pied ou pour celles qui arrivent à tirer leur épingle du jeu, par s'installer définitivement dans la capitale. Un exploit que peu d'entre elles, il faut le reconnaître, réalise au bout du chemin. Dans leurs patelins d'origine, les opportunités d'emploi n'existent pas, notamment pour les universitaires qui veulent acquérir du savoir-faire et de l'expérience. Elles sont pour la majorité issues de milieux défavorisés mais avec un diplôme universitaire en poche qui leur ouvre des portes. La pension n'est pas un choix. Le marché immobilier étant ce qu'il est, elles ne peuvent prétendre à une location d'un appartement. Elle coûte les yeux de la tête. En plus d'un prix exorbitant, il faut également s'acquitter d'une avance de deux ans. Cadres supérieures, simples fonctionnaires, serveuses de salle ou encore agents d'entretien, chacune a une histoire propre à elle. Nous nous sommes rapprochés de certaines qui ont bien voulu nous faire part de leur expérience sous le couvert de l'anonymat. Car si elles estiment qu'elles sont en droit d'avoir la vie qu'elles veulent, leur entourage n'est pas toujours indulgent. C'est donc par mesure de prudence et de discrétion qu'elles préfèrent ne pas décliner leur identité . Ce qui est tout à fait compréhensible dans une société conservatrice qui ne voit pas d'un bon oeil l'émancipation de la femme. Dans un appartement, sis à Meissonnier, trois jeunes femmes ont accepté de nous faire entrer dans leur «tanière». En traversant le long couloir orné de volutes fleuries, on arrive à la chambre. D'un confort spartiate, celle-ci est bien agencée. Des effluves de lilas embaument l'endroit. Trois lits d'une place chacun, sont adossés aux murs. Une table basse est placée au milieu de la pièce. Une vieille armoire en hêtre fait face à la petite fenêtre qui donne sur le perron. Autour d'un café crème, de macarons, de restes de galette et d'un petit carré de beurre, on entame la discussion. On prend ses aises en l'absence de la propriétaire. Chacune des filles dispose d'une clé de la porte d'entrée. Ce qui n'est pas le cas pour toutes les pensions où certaines conditions ressemblent à celles d'une caserne militaire. Comme c'est le week-end et que les filles ne sont pas parties exceptionnellement chez elles à notre demande après d'âpres tractations, elles ont fini par se plier à notre souhait. Les jeunes femmes ne se confient pas facilement. Quant à la possibilité de leur soutirer des anecdotes croustillantes, c'est une autre paire de manches. La première à jouer le jeu des questions -réponses, est Fériel, débonnaire et un tantinet folâtre. Elle est de taille moyenne. La silhouette légèrement dodue. Les yeux verts pétillants et une chevelure noire d'ébène. Elle a vingt neuf ans. Elle habite à Khemis Miliana. Elle est agent de communication et de marketing dans une entreprise privée. Elle paye un loyer de 5000 DA par mois. Elle partage une chambre avec deux autres colocataires. Fatima, journaliste de profession et Salima, médecin. Pour la première, la pension n'est pas l'idéal mais elle a des projets qu'elle ne peut réaliser qu'en thésaurisant, «le monde autour de nous bouge. Tout se monnaye. Il est plus facile de s'en sortir quand on a de l'argent. Je veux acheter mon logement et aussi un véhicule. En attendant, je souffre tous les matins pour me rendre à mon boulot. Mon budget est calculé au dinar près. Une ponction pour le transport, pour la bouffe, pour le loyer et pour toutes les autres babioles personnelles. Je donne aussi un peu d'argent à ma mère qui n'a comme seule ressource que la pension de mon père, décédé il y a deux ans. Mon salaire de 18.000 est scindé de façon à ce que je ne tombe pas en panne. Je serre la ceinture pour la bouffe et je m'arrange souvent pour me faire inviter par des amies où chez des proches parents à Alger. C'est dur de survivre loin de sa famille» dit-elle d'un air dépité. Fatima, brune, cheveux taillés très court est originaire de Beni Douala. Elle est plutôt désillusionnée. Elle garde une mauvaise impression de sa récente expérience «Avant d'atterrir chez Mme Saâdia, j'étais à l'Auberge familiale de la Place du 1er Mai. Je payais 4.500 DA. Je crois que ce prix a été revu à la hausse après mon départ. Eu égard à mon métier qui me prend tout mon temps, je rentre qu'en fin de journée. Et là, c'est la surprise. Mes affaires disparaissent comme par enchantement. Difficile d'identifier les auteurs. On est entassées comme des sardines. Des bagarres éclatent souvent à cause de la promiscuité. Les filles viennent de tous les horizons. Elles ne reculent devant rien. Les coups bas et les peaux de banane sont légion. Je suis partie parce que je n'e, pouvais plus de tolérer ce climat vicié. Mais trouver un gîte, c'est pas du gâteau. C'est grâce à une annonce parue sur un quotidien que j'ai pu trouver cette chambre. Ici, j'ai la chance d'être avec des filles sympas. Elles sont correctes. Il y a un respect mutuel entre nous. Même si c'est dur pour moi de me délester de 5000 DA, chaque mois, j'ai la paix et la propriétaire est plutôt conciliante. Elle ne se mêle pas de nos affaires. Quand j'ai le cafard, je pleure. Mon salaire est insignifiant. En plus, je ne suis pas déclarée à la sécurité sociale. Je ne peux pas me permettre de tomber malade. J'ai beau me décarcasser, je ne vois pas le bout du tunnel. Parfois il me prend l'envie de retourner au bercail mais je me dis que si je rentre définitivement à la maison, je ne pourrai plus me replonger dans le bain et puis il n y a rien qui se profile à l'horizon. Mon père est retraité. J'ai deux frères chômeurs. Je ne vais pas m'y mettre moi aussi. Alors je tiens le coup. Il m'arrive de ne pas avoir un sou dans la poche. Les jours de dèche, je m'endette. Ce qui fait que souvent mon salaire s'épuise avec le remboursement de mes dettes». Salima est médecin généraliste. Elle vient de Bordj Bou-Arréridj. Elle est mince et châtain. Ses yeux bleu azur, brillent quand elle parle de sa famille surtout de son petit frère Samy. «Il me manque terriblement. Quand je pense à ma famille, j'ai les larmes aux yeux. Cela fait deux ans que je suis à Alger. Un proche parent m'a dégoté une place dans une clinique privée. Au début j'étais hébergée chez des cousins mais très vite je sentais que je n'étais pas la bienvenue. J'ai une bonne place que je ne voulais en aucun cas loupée. D'autant plus que j'ai rencontré l'homme de ma vie à la clinique où je bosse. Par le biais d'une collègue à qui je m'étais confiée, j'ai appris qu'il existait ces locations parallèles. Cela me revient moins cher que si je louais un studio. La cohabitation n'est pas de tout repos mais il y a des moments de complicité et de convivialité intenses». En ajoutant qu' «on se sent moins seule quand on partage la même détresse. Il arrive même qu'on tisse des liens d'amitié. C'est ce qui est rare en soi dans un monde aussi impitoyable. Cela nous console avec la vie et les êtres». Il y a certes des universitaires qui s'en sortent tant bien que mal, mais il y a aussi les autres qui n'ont plus personne pour voler à leur secours. Sans famille, abandonnées ou fugueuses, elles vivent au jour le jour, sur le fil du rasoir. Les femmes, dans une société conservatrice, ont souvent du mal à faire face à l'adversité. Elles essayent de recourir au système D.Le seul moyen de tirer son épingle du jeu, c'est de se fondre dans la foule et cela ne peut se faire que dans les grandes villes. L'une de ces jeunes femmes s'appelle Nacima de Ouled Aïch. Elle était serveuse dans un restaurant-salon de thé. Elle trimait à longueur de journée pour gagner sa croûte. Elle louait une chambre dans un hôtel situé à la rue du Dr Trollard que le commun des citoyens surnomment «l'hôtel des douanes». Cependant , elle fut virée de son boulot parce qu'elle avait refusé de passer dans le lit de son patron. «Une femme seule et belle est toujours convoitée. Je veux gagner ma vie honnêtement. Chose qui n'est pas évidente». Elle enchaîne «Des âmes charitables m'ont trouvé une place de standardiste dans une société à Bouzaréah. Je dois être au travail à 8 heures du matin. A Triolet, il y a une station de bus qui vous déposent à bon port. L'hôtel où je me trouve actuellement est trop loin de mon nouveau job. Mes collègues sont gentils avec moi. D'ailleurs je suis tranquille dans mon coin. Le patron, je ne le vois pratiquement pas. Le salaire n'est pas intéressant mais il me permet de ne pas faire la manche». Ce mercredi, elle a pris congé pour se rendre à l'adresse que lui avait indiquée une voix de femme mûre au téléphone. Nous l'avons accompagnée dans son périple. En arrivant sur les lieux, Nacima ajuste sa robe chasuble et repousse ses cheveux auburn en arrière. Elle lève la tête pour jauger la grande cité où se trouve sa nouvelle logeuse. Un immeuble imposant dans le quartier populeux de Bab El-Oued. Il est dix heures. A cette heure de la matinée l'endroit grouille de monde. Les enfants jouent au ballon dans la grande cour jouxtant l'entrée. Elle évite de justesse le tir maladroit d'un bambin. Au téléphone, la dame de l'annonce du journal était tout miel, tout sucre. Elle lui a présenté l'endroit comme un havre de paix, sans omettre de lui expliquer, avec force détails, la conduite à tenir. La propriétaire de la maison, lui a bien fait comprendre qu' elle sera soumise à un régime strict. Les hommes ne sont pas admis. Interdit de dépasser 9 heures du soir. La tenue vestimentaire ne doit pas être vulgaire. Nacima, au début a hésité. Le loyer l'a un peu dissuadée. Elle pense que 5500 DA est un prix trop élevé mais elle n'a pas le choix. C'est la seule logeuse qui lui propose une chambre pour elle toute seule alors qu'ailleurs, ce sont des chambres à trois, quatre et même cinq. Une fois à l'intérieur de l'immeuble, elle monte les escaliers en comptant les marches. Son coeur bat la chamade. Peur de la déception, peur de l'inconnu. Depuis le temps qu'elle court après un toit, cette chambre est une véritable aubaine. Depuis son divorce, elle n'en rêvait pas autant. Ballottée de maison en maison, elle a subi toutes les humiliations et toutes les frustrations. Sa dernière péripétie l'a beaucoup marquée. Etant orpheline, elle est allée se réfugier chez son frère aîné après ses démêlés conjugaux. Six mois plus tard, elle commençait à se sentir de trop. «Les regards me taraudaient à table aux heures de repas. Comme je ne travaillais pas à l'époque, je me sentais gênée d'autant plus que les remarques de ma belle-soeur se faisaient de plus en plus acerbes. «Tu sais Nacima, me disait-elle, nous sommes à l'étroit dans ce deux-pièces. Ton frère Madjid n'arrive pas à joindre les deux bouts, les temps sont durs et avec cinq gosses, c'est pas évident. Si tu pouvais trouver un travail, ce sera plus facile pour toi de louer un studio. Ce sera salutaire pour toi et ton frère. Il faut que tu te mettes à sa place, il n'ose pas te le dire en face mais il faut comprendre son embarras. Il n'a pas les moyens de te prendre en charge». Je n'en croyait pas mes oreilles, se remémore-t-elle, mon frère, «ce macho qui m'interdisait de travailler quand j'étais célibataire, par le truchement de sa femme, me met à la porte». Elle se souvient que c'est lui qui l'a presque forcée à se marier pour que son mariage finisse devant les tribunaux. Un coup dur qu'elle encaissera difficilement. Néanmoins, elle a compris qu'elle ne pouvait compter que sur elle-même. Il fallait qu'elle s'en sorte et la seule manière, était de voler de ses propres ailes. Elle nous parle de ses débuts dans la vie active. «J'ai déniché un job comme serveuse dans un restaurant. Avec mon BEF, je ne pouvais pas prétendre à un poste mieux rémunéré. De toutes façons, il fallait bien que je travaille. J'ai obtenu la garde de mon fils Badri qui a trois ans, après mon divorce. Il est bien chez ma frangine Fouzia, mariée à un fonctionnaire. Celle-ci le garde en contrepartie de 2000 DA. C'était pour que mon beau-frère ne fasse pas d'histoires et l'accepte parmi ses trois gosses. La pension que m' accorde mon ex-mari suffit à peine aux besoins de mon enfant». Quand elle va le voir le week-end, elle a les larmes aux yeux. Elle l'emmène au parc zoologique pour oublier l'espace d'une journée ses peines. Elle se dit quand elle pourra économiser suffisamment d'argent, elle louera un appartement et récupérera son enfant qui lui manque tellement. La chambre est exiguë, à peine peut-elle y bouger. Un canapé en guise de lit et quelques étagères en bois accrochées au mur. Elle négocie le prix du loyer. La dame daigne enfin effectuer une légère ponction. Les 500 DA que Nacima juge de trop.