Si le jeune réalisateur émirati, Nawaf Al Janahi, préfère la nuit, c'est sans doute pour mieux placer ses personnages face à eux-mêmes et dévoiler leur monde intérieur. Celui qui n'est pas brimé par les tracas du quotidien. Plutôt les occupations du quotidien quand on se situe dans les monarchies où la rente pétrolière a aussi le pouvoir d'estomper tous les conflits sociaux, moteurs de l'histoire et de la créativité artistique. Que reste-t-il d'intéressant à raconter ? Découvert l'an dernier avec son court-métrage Les Miroirs du silence qui combine solitude et vie nocturne, son nouveau film, Le Cercle, un long-métrage projeté samedi, peut être considéré comme une œuvre dédiée à la mort, à l'attente de la mort qui ne survient, paradoxalement, qu'au lever du jour. Un journaliste poète, Ibrahim (Abdelmouhssin Enemer), est condamné à une mort certaine par une maladie incurable que les médecins venaient de lui annoncer. En plein monologue, un délire poétique exprimé en voix off du genre : « Je sais que le sommeil est plus beau que la vérité », il voit par hasard un intrus s'infiltrer dans une maison de son voisinage. En voulant réagir, un acte de bon citoyen, il tombe nez à nez avec le voleur Shahab (Alladine Enaïmi) qu'il arrive à maîtriser. La rencontre est théâtrale car il s'ensuit un long dialogue qui entraînera le spectateur à admettre un arrangement inattendu : le bon citoyen devient commanditaire d'un autre vol pour récupérer l'argent dû à un associé. « Je n'ai plus le temps de suivre la procédure judiciaire et je veux que ma femme profite de cette manne après ma mort », justifie-t-il son acte. Shahab aussi vole pour une autre femme, sa sœur qui représente toute sa vie, mais il est lié par un contrat étrange avec un chef énigmatique, énorme et ténébreux comme pour montrer le mal absolu qui tient absolument à rester caché. « Je dois beaucoup d'argent à mon chef pour qui je vole pour le rembourser et, du fait qu'il me tient à sa merci car il peut me tuer si je déroge à la règle, tu peux dire que je lui appartiens », rétorque-t-il a son associé d'une nuit. Cette parade qui introduit la notion du diable (vendre son âme) donne une profondeur particulière sans laquelle le film aurait sombré dans la banalité. Nawaf Al Janahi abuse de gros plans et d'hyper gros plans dynamiques, comme si la caméra voulait transpercer les visages et les yeux pour donner à voir ce que les mots suggèrent dans le tourbillon de l'inconscient. D'où peut être l'idée du cercle matérialisé dans le film par la propension du réalisateur à montrer certaines images, toujours nocturnes de la ville mais vues par une caméra fixé juste à côté de la roue arrière de la voiture des protagonistes. Alors que la roue « immobile » tourne sur elle-même comme pour symboliser le temps qui passe, la ville d'apparence sans vie, malgré ses hauts édifices clairsemés de lumières artificielles, défile. Un vide étrange caractérise l'ambiance que dégage ce film. Il sera accentué par le dilemme imposé à Shahab qui, démasqué, devra tuer celui qui a fini par gagner sa sympathie pour ne pas remonter jusqu'au « boss », intransigeant sur la question. La délivrance viendra au petit matin, à la plage, c'est-à-dire la ligne qui sépare les deux mondes.