Petits et grands, hommes et femmes, riches et pauvres, noirs et blancs, les Sud-Africains rivalisent de créativité pour rendre hommage à cet homme exceptionnel. Il y a quelques années, la Fondation Nelson Mandela, qui gère ses nombreuses œuvres de bienfaisance, a lancé un appel, en son nom, à l'ensemble de la population sud-africaine : «Si vous voulez rendre hommage à Mandela, arrêtez de chanter ses louanges. Faites plutôt une bonne action autour de vous. Aidez un voisin dans le besoin, allez rendre visite à un malade hospitalisé qui n'a ni famille ni amis ; apprenez à lire à un analphabète ; mettez-vous en comité avec des voisins, des amis, et faites quelque chose d'utile pour votre rue, pour l'école de votre quartier, pour votre ville ou votre pays». L'an dernier, à l'initiative de certains de ses membres, l'Assemblée générale des Nations unies a adopté — à l'unanimité, bien sûr — une résolution qui fait du 18 juillet «la Journée internationale Nelson Mandela» et a demandé que cette journée soit célébrée pour la première fois en 2010, aujourd'hui donc. L'Organisation des Nations unies organise elle-même des manifestations multiples à travers le monde, notamment à Alger où se tiendra une conférence-débat. Mais ce que Mandela veut, c'est que chacun d'entre nous fasse quelque chose, lui-même, ou elle-même, de ses propres mains : c'est précisément le slogan que sa Fondation essaie de vulgariser : «Avec mes propres mains». La Fondation Mandela précise en outre — et les Nations unies aussi — que le 18 juillet ne doit pas être un jour de congé ; et que pour commencer, quiconque veut participer à ce mouvement devrait consacrer 67 minutes de son temps à faire le bien autour de soi. Pourquoi 67 minutes ? Parce que Mandela a consacré 67 ans de sa vie à lutter pour la liberté de son peuple et de tous les peuples. Mandela : un destin exceptionnel Des livres ont été consacrés à Mandela ; des films réalisés. D'autres livres, d'autres films suivront sans doute. Pourquoi cet homme qui n'a exercé le pouvoir que durant un seul mandat, de 1994 a 1999, suscite-t-il tant d'intérêt, tant de respect, tant d'admiration, tant d'affection ? En 2008, il avait accepté de faire une apparition et de dire quelques mots à un grand concert de musique organisé à Londres pour célébrer son 90e anniversaire : des centaines de milliers de personnes de tous âges et de toutes conditions se sont précipitées pour l'apercevoir et l'entendre. La Grande-Bretagne lui a érigé une statue en plein cœur de la capitale, un fait sans précédent, je crois, pour une personnalité étrangère vivante. En 1991, c'était au tour de New York. Mandela n'a pas fait le déplacement. On ne l'a vu que par image satellite. Pourtant, des chefs d'Etat, des personnalités éminentes du monde de la politique, des arts, du spectacle ont tenu à être présentes. Commentant le «phénomène Mandela», le quotidien londonien The Daily Telegraph écrit (nous citons de mémoire) : «Lorsque cet homme qui n'occupe aucune fonction officielle et n'exerce aucun pouvoir apparaît quelque part, une aura de puissance et de sérénité l'accompagne». C'est ce que l'on appelle le charisme, je crois. Fin mai dernier, j'ai encore eu le privilège de le revoir et de déjeuner en sa compagnie avec mes collègues du groupe des «Elders» (les Anciens) qu'il avait lui-même créé il y a trois ans. Il était toujours égal à lui-même : simple et distingué, souriant, accueillant, amical, plein d'humour, malicieux même. Mais il est nettement plus fatigué que la dernière fois où nous l'avions vu, il y a juste deux ans. A l'évidence, le temps fait son œuvre mais aussi, peut être — surtout je pense — les 27 années terribles de détention, de souffrance physique et d'humiliation ont exercé leurs effets néfastes. Chaque fois que je le vois, je me fais la même réflexion : l'un des crimes les plus pernicieux commis par le régime raciste est sans conteste le fait que ces gens-là ont privé, 27 années durant, leur propre pays, leur propre communauté blanche raciste elle-même et le reste du monde de ce que cet homme avait à donner. Il leur en fait la démonstration à plusieurs reprises et tout d'abord, au premier jour de sa sortie de leur prison : ils s'attendaient sans doute à voir surgir un combattant intransigeant qui vient proclamer la victoire des siens sur eux, demander rétribution et savourer sa revanche. Pas du tout. Il surprend tout le monde, y compris ses compagnons les plus proches, en demandant à tout le monde d'oublier le passé, de surmonter tous les préjugés et de tendre la main, les uns aux autres pour construire la «nation arc-en-ciel». Il me confiera, peu de temps après son élection, qu'il n'avait jamais oublié ce que le Dr Chawki Mostefai (le Docteur Mustapha, insiste-t-il à l'appeler) qui, à l'époque représentait le FLN et le GPRA au Maroc lui avait dit en 1962, au moment d'Evian : «La lutte pour l'indépendance doit se faire par tous les moyens, y compris par les armes. Mais le conflit ne peut se terminer que par la négociation et le compromis». Aujourd'hui encore, l'Archevêque Desmond Tutu, l'autre Sud-Africain éminent, rappelle que c'est la vision d'un leader charismatique, courageux et déterminé qui a évité un véritable bain de sang. Certes, l'Afrique du Sud n'a pas réglé tous ses problèmes, loin s'en faut. On voit même de noirs nuages qui assombrissent ses horizons politiques, économiques, sociaux. Mais Mandela — aidé par F.W. de Klerk, le dernier président de l'époque de l'Apartheid, il convient de le rappeler — a donné un excellent départ au pays. Palestine, Son amour De sa retraite discrète, il continue, par l'exemple de son action autant que par son comportement de tous les instants, à être une référence et une source d'inspiration pour tous ses concitoyens. Mais son aura ne se limite pas aux frontières de son pays. La résolution de l'Assemblée générale des Nations unies l'an dernier, la célébration, à l'échelle mondiale, de son anniversaire aujourd'hui, viennent le confirmer. Evidemment, il ne s'est pas trompé sur le véritable culte que lui vouent de nombreux milieux occidentaux qui, lors des mauvais jours de la souffrance de son peuple et de sa détention considéraient l'ANC comme une organisation ennemie et lui-même comme un terroriste. L'écrivain progressiste Noam Chomsky m'a appris récemment que c'est seulement l'an dernier — en 2009 !!! — que le gouvernement américain a enlevé le nom de Mandela de la liste des terroristes. Je n'arrive pas à le croire ! Mais si c'est vrai, cela a dû faire sourire Mandela. Lui, n'a naturellement pas renoncé à ses principes et à ses objectifs patriotiques et anticoloniaux. Malgré tous les efforts des milieux sionistes et de leurs nombreux et puissants soutiens aux Etats-Unis et en Europe qui le courtisent sans relâche, il n'a jamais ménagé son soutien à la lutte et aux aspirations des Palestiniens. Il acceptera ainsi d'écrire une préface à une biographie de Yasser Arafat et dira un jour (nous citons, là encore, de mémoire) : «Notre propre liberté ne sera jamais complète tant que le peuple palestinien continuera d'être privé de la sienne». Lorsque nous l'avions vu, fin mai, Mandela n'a pas voulu parler de cette résolution de l'Assemblée générale des Nations unies qui fait du 18 juillet, jour de son anniversaire, une Journée internationale Nelson Mandela. C'est avec les dirigeants de sa Fondation que nous en avons parlé en son absence. Au crépuscule de sa vie, Nelson Mandela accueille cet ultime hommage de toutes les nations du monde unanimes avec humilité, voire avec embarras. Nous avons, chacun et chacune d'entre nous, beaucoup à apprendre du riche exemple que cet homme nous donne. Nous finirons là où nous avons commencé : au moment où il entame sa 93e année, Mandela ne veut pas que nous chantions ses louanges. Si nous voulons nous inspirer de l'exemple de ses idées, ses aspirations, son action, alors essayons individuellement et collectivement de tendre la main à l'autre, et «avec nos propres mains» de faire quelque chose pour rendre service à un voisin, aider un pauvre, rendre visite à un malade, entreprendre une action pour améliorer l'immeuble, la rue ou nous habitons, notre quartier, notre ville, notre pays. En Afrique du Sud, on appelle Nelson Mandela, Madiba. Alors, Merci beaucoup Madiba et joyeux anniversaire. – L'auteur est : Ancien Ministre des Affaires Etrangères Ancien Secretaire Général Adjoint des Nations UniesMembre des “Elders” (les Anciens), groupe de 10 personnalités formé à l'initiative de Nelson Mandela.