Ahmed Alileche, cadre spécialisé en communication environnementale, est doctorant à la faculté des sciences biologiques et agronomiques et conservateur divisionnaire des forêts, chargé du département animation et vulgarisation au PND. – Le Parc national du Djurdjura est une aire protégée, que signifie cela ? L'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) a défini une aire protégée comme étant «une zone terrestre et/ou marine spécifiquement dédiée à la protection et à la conservation de la diversité biologique, ainsi qu'aux ressources naturelles et culturelles associées, et gérée par des moyens efficaces, de nature juridique ou autre» (UICN, 1994). Parmi les six grands types d'aires protégées définies par l'UICN, nous avons les parcs nationaux, qui sont classés dans la catégorie II et ayant pour mission la conservation des écosystèmes et la promotion des loisirs. Un parc national a été défini à son tour par l'UICN comme étant «une aire protégée désignée pour protéger l'intégrité écologique dans un ou plusieurs écosystèmes dans l'intérêt des générations actuelles et futures, exclure toute exploitation ou occupation incompatible avec les objectifs de la désignation et offrir des possibilités de visite, à des fins spirituelles, scientifiques, éducatives, récréatives et touristiques, dans le respect du milieu naturel et de la culture des communautés locales». En Algérie, il y a huit Parcs nationaux rattachés au ministère de l'Agriculture, du Développement rural et de la Pêche (MADRP), et deux parcs à vocation culturelle, qui sont sous l'égide du ministère de la Culture. – Quels sont les objectifs précis d'un parc national ? Ces objectifs peuvent se résumer essentiellement à la préservation de la biodiversité sous ses trois niveaux (génétique, spécifique et paysagère), conservation et promotion des services écosystémiques, instauration d'un système de gouvernance clair et équitable, distribution aux communautés locales et résidentes des bénéfices en accord avec les autres objectifs de la gestion, offre d'avantages récréatifs dans le cadre de l'écotourisme, et enfin, facilitation des activités de recherche scientifique qui ont un faible impact et un suivi écologique lié et cohérent par rapport aux valeurs de l'aire protégée. – A quel objectif répond le statut de Réserve de biosphère (RBS) accordé au Parc national du Djurdjura ? En matière de gestion du Parc national du Djurdjura en tant que Réserve de biosphère dans le cadre du programme sur l'homme et la biosphère (MAB), l'Unesco fait la promotion d'un développement durable axé sur une combinaison d'efforts locaux et scientifiques. Les bases idéologiques des réserves de la biosphère sont une conciliation entre la dimension sociale, la dimension environnementale (conservation de la biodiversité et des écosystèmes) et la dimension économique. C'est ce qu'on appelle les trois piliers du développement durable. Dans les réserves de biosphère, il y a un classement des territoires en différentes zones, selon le degré ou l'importance de protection. On parle de zoning en trois zones principales. Nous avons la zone centrale ou noyau «cœur», qui recèle des ressources uniques jouissant d'une protection et d'une surveillance totales, où seules les activités liées à la recherche scientifique sont autorisées, la zone tampon entourant ou contiguë à l'aire centrale, où seules des pratiques écologiquement viables et compatibles avec les objectifs de conservation sont permises : éducation à l'environnement, loisirs, écotourisme et recherche fondamentale et appliquée. Elle est ouverte au public pour des visites guidées de découverte de la nature. Dans cette seconde zone, aucune modification ou action susceptible de provoquer des altérations ou des équilibres en place n'est autorisée. Enfin, une zone de transition dite «pare-chocs», qui protège les 2 premières zones sert de lieu à toutes les actions d'écodéveloppement de la zone concernée. Les actions de récréation, de détente, de loisir et de tourisme y sont autorisées. – Pouvez-vous nous donner quelques spécificités de la RBS du Djurdjura ? Le territoire du Djurdjura est d'une valeur bio-socio-culturelle très importante. Sur le plan végétal, il comprend des espaces considérés comme zones importantes pour les plantes (ZIP). La présence d'espèces emblématiques et endémiques nord-africaines (singe magot et cèdre de l'Atlas), ainsi que d'autres espèces de valeur comme celles en voie de disparition, motive et génère le souci de mettre en cloche de tels territoires. Il est considéré zone clé pour la biodiversité (ZCB) et fut intégré dans l'ensemble «Kabylies–Numidie–Kroumirie», qui fait partie du 11e «point chaud» (hot spot) régional de biodiversité, des «Kabylies», zone de haute priorité de conservation dans le bassin. De par sa situation géographique et l'histoire de la formation de la chaîne du Djurdjura, qualifiée de “pseudo-alpine”, le Djurdjura est considéré par les botanistes une «île continentale» ou un centre d'endémisme. Il est même considéré comme une zone refuge pour certaines espèces floristiques, comme l'if, qui ont migré lors des dernières glaciations. Sur le plan faunistique, le Djurdjura est renommé pour sa richesse, notamment en mammifères et en rapaces, dont la chaîne est la plus complète de l'Afrique du Nord. Sur les plans hydrologique et hydrogéologique, le Djurdjura jouit d'une distinction unique. De consistance karstique, la chaîne du Djurdjura, qualifiée par Mouloud Feraoun de «squelette de dinosaures», offre des aspects géomorphologiques splendides et des curiosités internes qui restent à explorer. – Tout le monde s'accorde à dire que le Djurdjura est menacé. Pouvez-vous nous citer les principales contraintes de gestion rencontrées ? Il n'y a pas que le Djurdjura qui est menacé. En Algérie, malgré la création d'aires protégées depuis plus de trente ans, cette culture demeure encore mal assimilée chez le citoyen. Ce dernier garde toujours à l'esprit le corps des gardes forestiers de l'époque coloniale. Lors de la création officielle de ces parcs, la décision était entièrement descendante et centralisée sans que les populations autochtones soient associées dans le processus décisionnel, ce qui a par conséquent, créé des pommes de discorde avec les riverains. La population se sent spoliée de «son patrimoine foncier», héritage de ses ancêtres, sachant que, l'administration coloniale avait réparti les terrains aux riverains dans le cadre du droit d'usage seulement, avec un droit de regard très strict sur les délits et autres contraventions. – Des citoyens du village d'Aït Erguène avaient relancé un projet d'ouverture d'une piste en plein PDN. Y-a-t-il une réglementation qui interdit la réalisation d'un tel projet ? Il y a une transgression juridique. La loi n° 03-10 du 19 juillet 2003, relative à la protection de l'environnement dans le cadre du développement durable, et la loi n° 11-02 du 17 février 2011, relative aux aires protégées dans le cadre du développement durable, comportent plusieurs articles interdisant toute intervention dans ces espaces protégés. L'article 5 de la loi n°11-02 stipule que «le parc national est un espace naturel d'intérêt national institué dans le but de protéger l'intégrité d'un ou de plusieurs écosystèmes, Il a pour objectif d'assurer la conservation et la protection de régions naturelles uniques, en raison de leur diversité biologique, tout en les rendant accessibles au public à des fins d'éducation et de récréation». – A votre avis, quelle est la solution préconisée pour sortir de ce bras de fer ? A ma connaissance, l'administration leur avait proposé, il y a quelques années, l'ouverture d'une piste menant de Taourit-Ath Agad vers les Ath Ouacifs. Une piste qui se fera vers l'aval du village, c'est-à-dire vers Ouadhias et Ath Ouacifs et non pas vers la montagne. Une autre proposition a consisté en la création d'un couloir touristique reliant la RN30 au village de Tiguemounine, ou de transformer en route la piste existante qui relie les villages de Tiguemounine et d'Aït Abdellali. Pour rappel, en 1999, un projet de piste reliant le village Ath Oulhadj Bouzrou d'Aït Erguène à celui d'Ath Oulhadj Boussif, situé dans la commune d'Aït Bouadou, avait été inscrit. Malheureusement, le projet n'a pas été réalisé en raison de l'absence d'entreprises soumissionnaires. Une seule entreprise avait donné son accord avant de se rétracter après avoir parcouru la piste et jugé que l'enveloppe était faible face à la nature parfois rocheuse du terrain. C'est ce projet qu'il faudra relancer, sachant que les deux villages sont issus d'une même tribu dans le temps et la piste serait un véritable raccourci pour se rendre sur Aït Bouadou. – Quel est l'apport du PND en projets de développement socio-économiques au profit de cette région déshéritée ? En toute honnêteté, en Algérie, il y a manque de valorisation socio-économique des aires protégées. Ce n'est que maintenant que l'administration centrale commence à parler d'économie forestière. Aux yeux des institutions internationales gouvernementales et non gouvernementales, dans une réserve de biosphère, il faut une gouvernance sur le principe du développement durable. Cela revient à concilier la conservation de la biodiversité avec les préoccupations sociales des populations par une intégration digne de ce nom, notamment leur association dans le processus de prise de décisions. C'est dans cette optique qu'il faut désormais penser à lancer des projets de conservation impliquant ces communautés locales en instaurant un véritable partenariat. Au niveau de la région d'Aït Erguène, des projets d'écodéveloppement ont été initiés dans les premières années ayant suivi la création du parc national du Djurdjura. Ces projets ont consisté principalement en la mise en valeur des terres, la construction de murettes contre l'érosion hydrique et donc rétention du sol et développement de terrains de pâturage, débroussaillement, octroi d'arbres fruitiers pour encourager l'arboriculture de montagne, etc. Malheureusement, ces toutes dernières années, notamment avec la politique d'austérité, les projets sont presque réduits à néant. Ce qui creuse davantage le fossé entre les populations et l'administration des forêts. Cet état de faits répond au principe de causalité traduisant la relation de cause à effet. La paupérisation des populations va crescendo et les projets palliatifs se raréfient davantage. – Comment voyez-vous l'avenir de la protection du PND, sachant que les contraintes se complexifient davantage ? Des mesures de conservation in situ ont été prises pour sauvegarder ce territoire, mais qui, avec le temps, s'avèrent insuffisantes. Le PND est convoité de partout, en particulier des prébendiers de la 25e heure. Des projets d'extension touristique appètent sur les plus beaux sites du parc. Il faut tirer la sonnette d'alarme. La pollution a atteint des proportions alarmantes. Un ex-wali a qualifié le parc de bar national du Djurdjura (BND) au lieu de PND. Le secteur de Tikjda est désormais un centre urbain et la nature a cédé la place au béton. Les eaux d'assainissement du Centre national des sports et loisirs de Tikjda (CNSLT) coulent à ciel ouvert dans la cédraie jouxtant la structure hôtelière. A Tala Guilef, des sources ont été polluées par les eaux usées avant les années de braise. C'est pourquoi il faut mettre en application les principales orientations du plan de gestion du PND, notamment la conservation de la diversité biologique, l'application des principes de l'approche intégrée, la participation des populations à la gestion des ressources et l'appui institutionnel. Ceci permettra à coup sûr le renforcement de l'identité “Réserve de biosphère” et améliorera la gouvernance sur son espace d'influence. C'est ce qu'on appelle un processus de construction collective de questions, de visions, d'objectifs et de projets communs relatifs à un objet.