La polémique déclenchée autour du livre de Khaled Bentounès, le cheikh de la zaouïa alawiya de Mostaganem, Soufisme, l'héritage commun, qui vient de s'amplifier par un communiqué du Haut-Conseil islamique, aura provoqué une plus grande affluence autour du stand où l'ouvrage est exposé à la vente publique. Première conséquence, alors que l'ouvrage, en raison de sa cherté, s'écoulait parcimonieusement, on observe une augmentation substantielle des ventes. Seconde conséquence, alors que jusque-là, le cheikh et ses fidèles s'en tenaient à une certaine réserve, ils sont de plus en plus nombreux à intervenir dans le débat. A l'instar de l'universitaire Nasreddine Mouhoub, porte-parole du colloque et parlant au nom de la zaouïa, qui rappelle que les miniatures reproduites dans le livre sont connues et exposées depuis des siècles sans que cela ne choque ni les oulémas ni personne. Il tient à préciser qu'il ne s'agit pas de photographies mais de simples miniatures et qu'elles sont exposées dans des musées en Iran, en Turquie et en Afghanistan. Il souligne également que durant les années 1970, des reproductions de ces miniatures se vendaient dans nos marchés et ornaient toutes les maisons sans que cela ne dérange quiconque à l'époque. De ce fait, en les reproduisant dans son ouvrage, le cheik Bentounès n'a rien apporté de personnel, il s'agit d'un patrimoine islamique et universel. M. Mouhoub ajoute que le livre n'est pas un ouvrage classique mais une simple énumération des étapes de la propagation de l'Islam avec des emprunts repris à titre d'illustration de cette épopée. « D'abord, dit-il, avant de le condamner, il eut été plus judicieux d'en prendre connaissance au préalable, ce que ses détracteurs ne veulent pas faire ; ors ce que nous demandons au HCI c'est d'en prendre connaissance et de venir en parler avec nous. Nous sommes ouverts au dialogue et dans le cas où nos contradicteurs apportent la moindre preuve d'une dérive, nous serions prêts à la corriger. » Y compris en retirant les miniatures, lui demandons-nous. Notre interlocuteur se fait alors catégorique, soutenant être « dans le droit chemin et que de ce fait, ni le livre ni les miniatures ne seront retirés ». Se référant à Sirate Ibnou Hichem, notre interlocuteur soutient que ce dernier a fait « une description minutieuse du Prophète, de ses yeux, de ses cheveux et d'autres détails de son anatomie à tel point que n'importe quel portraitiste pourrait s'en inspirer et produire une œuvre réaliste ». Pourtant, dans ce cas, personne n'aurait trouvé à redire. « Pour nous, cette campagne ne sert ni l'islam ni les musulmans, par contre elle tend à entretenir la fitna. Nous sommes prêts à poser le problème au niveau de toutes les instances de droit musulman comme l'université d'El Azhar ou celle des Qaraouiyne », ajoute-t-il. Ce livre est « un bout de lumière » « Nous sommes prêts à consulter toutes les instances islamiques internationales, mais nous ne reculerons pas ! On oublie que ce livre pose de vrais problèmes dont on ne veut pas parler. » Comme ces photos du XIXe siècle, représentant les tombeaux des proches compagnons du Prophète, de ses épouses Khadidja et Aïcha, des gens de Badr et de Ouhoud, de la colline où eut lieu l'allégeance au Prophète de la part de 70 personnalités, alors qu'actuellement ces sites ont complètement disparu sans que personne n'ait songé à les protéger, à les restaurer. Pourtant, c'est un patrimoine islamique qu'il aurait fallu protéger. « Savez-vous que le lieu de naissance du Prophète Mohammed, à La Mecque, a été transformé en une obscure librairie complètement désaffectée ? Et ça ne choque personne. On veut nous faire croire qu'au moment où l'homme conquiert l'espace, les musulmans seraient capables de se prosterner devant des tombes ! » Cet islam salafiste « veut nous imposer son point de vue et sa vision de l'Islam. Nous, à la tarîqa alawiya, nous sommes conscients que l'islam exige de nous l'ouverture sur nous-mêmes et sur les autres religions. Tous ceux qui prônent un renfermement sur nous-mêmes, qui refusent toute évolution et toute ouverture vers les autres civilisations, sur la vie, constituent un danger pour l'Islam ». Pour Sid Ahmed Ghozali, ces attaques contre le livre sont choquantes : « Pour une fois que nous avons quelqu'un qui sait de quoi il parle, il n'est pas normal, martèle-t-il, qu'au moment où l'on dit n'importe quoi sur l'islam et les musulmans, y compris dans des médias arabes, on lui tape dessus sans discernement. Ce livre est un bout de lumière qui vient nous éclairer. Pour moi, le rôle d'un gouvernement ou d'un pouvoir politique n'est pas d'essayer de violer sa conscience ou de limiter sa liberté d'expression ! Je suis choqué qu'un responsable fasse le procès d'une œuvre lumineuse. Personnellement je me réjouis que dans un monde délétère, où l'Islam est vilipendé à longueur de journée, quelqu'un comme Khaled Bentounès, qui sait parfaitement de quoi il parle, sorte un livre pareil. A contrario, je suis scandalisé qu'un bureaucrate ait l'idée d'empêcher la vente de ce livre. Je le dis avec solennité : ce livre est une œuvre d'utilité publique. L'Islam n'est pas une somme d'interdits, c'est une somme de valeurs universelles dont malheureusement nous ne profitons pas. »