Jeune et très dynamique, Iman Al Kahtani, journaliste saoudienne à El Hayat El Wasat, vit à Riyad. Aujourd'hui, 50% de la population saoudienne, représentée par les femmes, ne participeront pas au premier scrutin communal. Pourquoi, selon vous, le régime saoudien refuse-t-il aux femmes le droit de se présenter aux élections ? Le problème est que dans la loi électorale, il est précisé que tout citoyen a le droit de se présenter aux élections. Mais citoyen en Arabie Saoudite ne s'applique que pour les hommes. Les autorités ont expliqué le refus d'accepter les candidatures des femmes pour ce scrutin pour des impératifs de logistique tels que les bureaux de vote pour les femmes ou encore les listes électorales. Il est important de savoir que seulement 6% des femmes ont des cartes d'identité au royaume. Il y a trois ans seulement que le droit d'obtenir ce document a été accordé aux femmes âgées de 22 ans et après autorisation écrite de leur tuteur. Les autorités ont promis publiquement que, lors du prochain scrutin en 2009, les femmes auront droit de se porter candidate. Comment l'opinion publique, notamment les femmes, a réagi à cette décision ? En fait, il y a eu une sorte de frustration. Au début, tout portait à croire qu'il y avait la volonté politique d'accorder aux femmes le droit de se faire élire. Six femmes ont annoncé leur candidature et commencé à faire campagne pour leur élection, dont Nadia Bakhoudj, Nadjat Chafai, Houda El Djirah... Mais subitement, les autorités ont reculé pour annuler les candidatures de celles-ci sous prétexte que les lois ne le permettaient pas. Cela a choqué tout d'abord la gent féminine, mais aussi tous les militants qui se battent pour les libertés. Certains ont même décidé de boycotter le scrutin juste par solidarité avec les femmes. Pensez-vous que les autorités vont respecter leur promesse de faire participer les femmes en 2009 ? Aujourd'hui, l'opinion publique est consciente de la ségrégation qui existe entre les femmes et les hommes en Arabie Saoudite. Il y a eu un dialogue national auquel ont participé de nombreuses femmes, mais dont les recommandations sur certains points liés à leurs droits civiques sont restées lettre morte. Un groupe de militantes, dirigé par une doctoresse, a pris attache avec les responsables de l'instance chargée des élections dans le but de l'inciter à désigner un quota de femmes dans les conseils communaux, mais aucune réponse à cette demande n'a été donnée. Il y a eu des femmes nommées membres de la Ligue des droits de l'homme, mais malheureusement ce n'est qu'une façade informelle. La réalité sur le terrain est là. Ces millions de femmes analphabètes, veuves et mères de famille qui se retrouvent exclues de toute participation à la vie politique et sociale de leur pays. Se cacher derrière une histoire de logistique pour interdire aux femmes de se porter candidates est inacceptable. Les femmes auraient pu voter uniquement avec le livret de famille. Le prétexte des bureaux de vote pour femmes ne tient pas la route puisque, en Arabie Saoudite, tout est fait de manière que les femmes ne soient pas avec les hommes dans les écoles, les universités, les lieux de travail... Tout est bien organisé pour bien séparer les hommes des femmes, y compris dans les rédactions des journaux. Si pour les candidats à cette élection communale et pour le régime, ce scrutin est historique, pour les femmes, il est catastrophique. Il les a privées de leur droit à participer à la gestion de leur cité. Certains pensent qu'il s'agit là d'un pas vers une démocratie qui ne reconnaît pas les droits de 50% de la population. Cela veut dire que les religieux restent aussi puissants au sein du régime saoudien... L'alliance entre les politiques et les religieux - ce sont les wahhabites - est toujours aussi puissante qu'avant. Il y a quelques mois, des femmes ont participé à une conférence. Cet acte a été considéré par la plus haute instance religieuse de la monarchie de presque d'apostasie. Cette instance a carrément rendu publique une fatwa (décret religieux) dans laquelle elle a condamné les participantes et exigé l'annulation pure et simple des travaux de cette rencontre. C'est un ordre établi depuis des décennies grâce notamment à l'école et à l'université. Pour bousculer cet ordre, il faut peut-être d'autres décennies, le temps de refonder tout notre système scolaire et les mentalités de nos concitoyens. Ce qui est certain pour l'instant, c'est le fait que dans la société il existe maintenant une opposition à cet ordre. Elle n'est pas importante, mais elle est là et elle évolue positivement. Comme s'opposer à ces fameuses brigades des mœurs appelées brigades des moutaoui'ine (les volontaires)... Ces brigades ont été créées par les plus hautes instances de la monarchie, lesquelles leur ont donné toutes les prérogatives pour agir là où elles veulent et quand elles veulent afin de faire respecter les « bonnes mœurs » islamiques. Leur remise en cause est un sacrilège. Il y a quelques semaines seulement, lors d'une conférence de presse, un journaliste a interrogé un haut responsable sur l'éventualité de la dissolution de ces brigades, et la réponse a été très brusque. Ce responsable lui a tout simplement rétorqué : êtes-vous vraiment un Saoudien ? Comme si un véritable Saoudien ne pouvait pas être pour la dissolution de telles brigades. Il est important de signaler néanmoins que l'opinion publique commence à critiquer ces groupes, alors qu'il y a quelques années, lorsque ces derniers entraient dans un marché ou un lieu public, c'était la terreur. Les femmes arrangent leurs habits et les hommes restent paralysés de peur d'être interpellés. Aujourd'hui, les gens n'ont plus aussi peur qu'avant. Ils commencent à dénoncer les violations des droits de l'homme dans les journaux. Il y a quelques jours, un journal a publié l'histoire d'un homme qui a tiré sur un membre de cette brigade. Ce dernier ne voulait pas croire que la fille avec qui il était dans la rue était sa sœur. Il l'a traité de tous les noms devant tout le monde et l'homme a tiré son arme et l'a pointé sur lui. Cette histoire a eu un écho favorable au sein de l'opinion publique et nous sentons maintenant une prédisposition de la société à dénoncer les abus de ces brigades, dont l'existence même est une violation des droits. Un jour, le changement sera opéré au royaume d'une manière ou d'une autre dans la mesure où c'est une revendication légitime. Nous avons attendu longtemps et nous attendrons peut-être encore longtemps pour l'imposer.