Organisé chaque année à la rentrée sociale, le Sila revient avec son agitation habituelle autour du livre. Avec ses sorties, ses rencontres, et ses débats, l'événement marquant de l'année culturelle impose la rentrée littéraire algérienne… Mais peut-on réellement parler de rentrée littéraire en Algérie? Leila, jeune étudiante algéroise se balade de rayon en rayon dans une librairie. L'air hésitant, elle ouvre un livre, le tâte regarde bien la quatrième de couverture, en lit quelques ligne et se dérobe tout de suite après pour en découvrir un autre. Sa balade nonchalante de livre en livre se poursuit jusqu'à se qu'elle se retourne vers le libraire à la recherche des nouvelles sorties. L'étal maigrement achalandé lui est indiqué. «Le Sila s ‘ouvre dans moins d'une semaine, les éditeurs attendent l'événement pour de nouvelles publications. Les nouveautés et les bonnes affaires seront au rendez-vous», ajoute une autre cliente, d'une voix discrète. Remarque pertinente de cette inconnue. Le Sila s'ouvre justement mercredi prochain, pour la 15e année consécutive, redonnant vie au livre, cet objet qui peine à se trouver une place dans l'implacable système de consommation algérien. Coïncidant de près avec la rentrée sociale, l'événement crée chaque année l'agitation autour du monde de l'édition. Nouvelles parutions, échanges entre professionnels, rencontres avec les auteurs : autant de signes annonciateurs d'une rentrée littéraire. Mais peut-on réellement parler de rentrée littéraire, un concept purement français, en Algérie ? Un salon du livre peut-il, à lui seul, être porteur de tout ce qui peut constituer une rentrée littéraire ? Pas si sûr ! Confusion dangereuse Un salon du livre a ses objectifs, tout comme une rentrée littéraire a ses codes et ses stratégies de communication. Si on sait bien ce qu'est un salon, qu'est-ce qui constitue au juste une rentrée littéraire ? Le battage médiatique autour de certains auteurs (Houellebecq, Nothomb, d'Ormesson…) et dans tous les médias (télé, suppléments littéraires, Internet…) autour du nombre de nouvelles parutions (701 livres sont sortis cette année en France pour la rentrée !) en vue d'une course aux prix littéraires (Goncourt, Femina, Renaudot…). A ce titre, assimiler le salon du livre à une rentrée littéraire, en Algérie, serait un raccourci maladroit. Cela dit, l'agitation qui entoure le Sila chaque année à la rentrée sociale présente des points communs avec une rentrée littéraire… empreinte de la réalité algérienne. Certains professionnels de l'édition adhèrent à cette idée, d'autres soutiennent l'inexistence d'une rentrée littéraire en Algérie. Pour Selma Hellal, directrice des éditions Barzakh, «La confusion entre les deux est dangereuse. L'agitation qui entoure le Sila chaque année est à double tranchant, l'événement en lui même capte toute l'attention, notamment de la presse et fait de l'ombre aux auteurs, à la critique et la promotions des sorties», explique-elle, convaincue qu'on ne peut pas vraiment parler de rentrée littéraire en Algérie. Karim Chikh, directeur des éditions Apic, pense de son côté que, vu sous un certain angle, l'événement peut être rapproché de la notion de rentrée littéraire. «Les rentrées littéraires sont souvent motivées par des Prix Littéraires reçus durant cette période. Pour la circonstance, toute une machine éditoriale et industrielle se met en place entraînant une frénésie incroyable autour des dernières sorties. Une dynamique se met donc en route. Il se trouve que chez nous, celle-ci coïncide avec l'organisation du SILA. Les éditeurs, les auteurs, tous les acteurs, s'agitent autour de l'événement (positivement ou négativement) et se préparent pour l'occasion. Si les choses sont présentées de cette manière : oui, on peut dire que cela représente une rentrée littéraire», précise-t-il. Peu de place à la critique Les prix littéraires algériens n'en sont qu'à leur balbutiement -le Prix Tahar Djaout lancé dernièrement, le Prix Mohamed Dib organisé tous les deux ans, et le prix des libraires- ils manquent incontestablement de prestige, et sont parfois contestés pour des histoires de complaisance.La critique littéraire, quant à elle, reste bien en deçà des attentes. Les revues littéraires sont rares -L' IvrEscQ est une des plus visibles- et dans les médias généralistes, peu de place est consacré à la critique. De la part des éditeurs, les actions promotionnelles restent conjoncturelles alors que les travaux de bonne vulgarisation de la part des universitaires sont carrément inexistants. Ce qui complique d'une part, l'évolution du secteur et d'autre part, l'introduction du concept de rentrée littéraire dans la réalité algérienne qui pourrait, par ailleurs, en tirer amplement profit. Benhamadi Friha, responsable des éditions Dar El Gharb, pense «qu'il n'y a pas lieu de parler de rentrée littéraire étant donné qu'une dynamique réelle insufflée par la tutelle et l'implication massive des médias font défaut tout au long de l'année». Smail Mhand, des éditions El Hibre, le rejoint dans cette idée : «On aurait pu parler de rentrée littéraire si cet événement avait été dissocié du SILA, et puis, à y regarder de plus près, ce dernier n'est pas marqué par assez de sorties pour créer l'événement.» Le parfait palliatif Ces réponses renvoient inévitablement aux problèmes que rencontre le secteur de l'édition en Algérie. Selma Hellal évoque des avancées certaines, notamment à travers les dernière mesures relatives à la baisse de taxes sur le papier et une structuration de la profession qui va en grandissant. Le domaine de l'édition se déploie certes, mais la profession reste victime de sa fragilité. L'absence d'une politique efficiente du livre et la persistance des obstacles de diffusion et de commercialisation auxquels se heurtent toujours les éditeurs sont mis en cause. Le chemin menant vers la stabilité est semé d'embûches, ce qui retarde l'intégration du concept de rentrée littéraire et de tout ce qu'il implique comme opportunités de promotion de la production éditoriale algérienne. Mais le SILA revient dans ce contexte comme un événement incontournable pour la promotion du livre et de la lecture, en dépit de toutes ses limites. «Même avec tous les cafouillages qu'il engendre chaque année depuis presque son existence, il reste le meilleur moyen de faire connaître notre travail et découvrir celui des autres confrères nationaux et internationaux. Il doit s'inscrire dans un processus de développement réfléchi afin d'atteindre la vraie ‘‘rentrée littéraire''», précise à juste titre Karim Chikh. Le Sila se donne ainsi à voir comme un événement qui masque l'inexistence d'une rentrée littéraire en mesure de livrer des discours et d'alimenter les débats nécessaires à la création d'une vraie dynamique littéraire. Mais Leila et de nombreuses autres personnes férues de lecture se feront tout de même un plaisir de déambuler sous le chapiteau de ce Sila qui s'impose dans le paysage éditorial comme un palliatif à toutes les carences du secteur. Ce dont personne n'osera se plaindre…