J'éviterai donc, dans cette réflexion, de stigmatiser l'ex-ministre de l'Energie et des Mines et l'ex-directeur général de Sonatrach, ainsi d'ailleurs que tous les cadres impliqués dans cette affaire, directement ou indirectement, volontairement ou sur injonctions pressantes, sachant parfaitement qu'ils ne sont, tous, que les maillons faibles que le système a décidé de sacrifier sur l'autel de sa propre pérennisation, de manière à faire taire la vindicte du «populus plebus vulgarum», procédé très fréquent dans la Rome antique, au demeurant (1). Gageons qu'ils n'auront pas manqué d'intelligence et de prévoyance et qu'ils ont organisé la protection de leurs intérêts et ceux de leur famille (si possible à l'étranger), pour plusieurs générations. Le système saura également recycler, le moment venu pour «service rendu», ceux dont il craint qu'ils rendent publics des dossiers compromettants, de manière à se prémunir contre des «fuites gênantes»(2). Les autres, malheureusement pour eux, passeront à la trappe et s'inscriront dans le compte «pertes et profits» de l'histoire de notre système et serviront de preuves pour démontrer, à l'opinion publique, sa «volonté politique» à lutter contre la corruption. Pour rester pudique, il nous faudra donc employer des métaphores parlantes comme celle de «dépassements» dans la gouvernance, même si seule la face visible de l'iceberg (3) a été dévoilée par les scandales récents (4). Dans ce contexte, il nous semble inutile voire dangereux, de décapiter ces deux structures (ministère et entreprise) des cadres qui les composent, sous prétexte, qu'ils ont «collaboré» avec les ex-dirigeants. En dehors, des promotions «canapé» et autres invertébrés saprophytes, qu'il faut éradiquer, l'encadrement de ces deux structures est un atout majeur, à valoriser, dans le cadre d'une nouvelle stratégie qui reste à définir, pour la prochaine décade (5). Il est à noter que le nouveau ministre de l'Energie et des Mines, dans son discours au Congrès de l'énergie, au Québec (Canada), a qualifié de «dérives» la corruption généralisée dans le secteur, ce qui nous paraît être un euphémisme soft. Emboîtant le pas aux dernières décisions économiques (6) démagogiques et irréalisables, mises en œuvre, par la LFC 2010, il annonce une révision du programme d'investissements dans le secteur sans autres informations crédibles sur les stratégies arrêtées (par qui ?) et les objectifs recherchés et attendus à moyen et long termes et surtout le cadre dans lesquelles elles s'inscrivent. Attendons pour voir si une démarche de rupture avec les pratiques passées a été retenue ou s'il n'est que l'instrument temporaire de la même politique de redistribution de rentes, menée jusqu'à présent. Une arête nous reste à travers la gorge, cependant, lorsqu'on aborde ce dossier… Il s'agit de la réplique de tous ceux qui, de près ou de loin, ont géré le secteur, quand il utilise la phrase défensive «je ne savais pas ou je n'étais pas au courant» ! Accordons-leur la présomption d'innocence, indispensable aux fondements d'un pouvoir judiciaire indépendant et équitable mais faisons en sorte que jamais plus personne, Président de la République, ministres, PDG ou le dernier des agents, ne puissent avoir recours à cette excuse rédhibitoire, exhibée comme bouclier absoluteur. En effet, lorsque l'habeas corpus se confond avec la rumeur, il n'y a qu'un seul remède définitif et efficace; c'est la production d'une information pleine et entière à toutes les parties directementou indirectement impliquées dans le dossier. C'était justement, dans ce cadre, que l'-Etat s'était doté, dans les années 80, d'une structure collégiale de décisions et d'orientations stratégiques qu'est le Conseil national de l'énergie (7)! A partir du moment où tous les dossiers structurants doivent, obligatoirement, transiter par le CNE (8) ou une structure décentralisée, étoffée de plusieurs autorités, représentant tous les ministères de souveraineté, il est exclu qu'un des responsables siégeant au CNE, puisse affirmer un jour, ne pas être «au courant ou ignorer» les décisions prises en son sein! Tous ses membres doivent, dès lors, assumer les décisions prises «en leur âme et conscience» et pour la postérité. Or, des actions de concertation collégiale, doublées d'opérations de communication transparente, prises dans le cadre du CNE, auraient dû éviter, à notre pays, des décisions individuelles intempestives(9) qui engagent toute la nation sur plusieurs générations. Cette garantie vaut son pesant d'or, dans un monde de plus en plus incertain et ou les erreurs d'anticipations sont fatales pour ceux qui les commettent, pour ne pas avoir voulu organiser une large concertation et obtenu une majorité consensuelle objective. Un autre écran de fumée est souvent répandu dans ce genre de dossier, lorsqu'il s'agit de mettre en avant «l'image de marque du pays» et par voie de conséquence de son altération, à l'occasion du déballage médiatique relatif aux affaires de corruption et des scandales qui en découlent. A cet endroit, il faut également être sérieux et se poser la véritable question: Est-ce la médiatisation de la corruption qui est attentatoire à l'image de marque de notre pays ou l'acte de corruption consacré comme instrument de gestion des deniers publics? On croit rêver, c'est le monde à l'envers! Parmi les erreurs structurelles catastrophiques commises contre notre économie, il n'est pas inutile de rappeler la plus dévastatrice, nommée en son temps, la «restructuration organique (10) des entreprises publiques» du début des années 80. En effet, avec comme arrière-pensée «boulitique» la réduction de l'influence politique «déviationniste» (11) que développaient les managers des grandes entreprises publiques (Sonatrach, Sonelgaz, DNC, Sonacome, SNS, ENPC, Sonelec, SNMC, SNTR, Sonitex, Cnan…), les pouvoirs publics, du moment, n'ont rien trouvé de mieux que de procéder à une opération de démantèlement, doublée d'une régionalisation des sièges des entreprises, en la justifiant par «l'incapacité supposée des gestionnaires algériens à maitriser des entreprises de la taille de multinationales» (12)! Cette décision destructrice survenait à un moment où, justement, l'économie mondiale amorce une mutation inverse, à savoir la construction de sociétés multinationales (par fusion, absorption, rachat, cartellisation … ), afin de dominer le marché mondial ou du moins, d'organiser de puissants outils, capables de faire face à la concurrence internationale. En Algérie, le pouvoir a organisé, à travers le CNRE (13), l'atomisation des entreprises publiques par leur émiettement, en même temps que les conditions objectives de leur déstructuration financière, ce qui va se solder par la dissolution d'un grand nombre d'entre elles. Le solde de l'opération, quelques années plus tard, sera une facture de plus en plus élevée pour les opérations d'assainissement financiers des EPE (14) via le budget de l'Etat et le licenciement de plus de 500 000 travailleurs (15). Ce sont d'ailleurs ces entreprises publiques et ces cadres supérieurs qui font cruellement défaut, aujourd'hui, depuis que les moyens financiers de notre pays se sont améliorés, du fait exclusif de l'embellie emporaire des prix sur le marché mondial des hydrocarbures. En effet, afin de réaliser les programmes quinquennaux d'investissements, concoctés par des cabinets occultes, les pouvoirs publics s'empressent de faire appel à l'importation de compétences et d'entreprises étrangères de réalisation avec son corollaire la corruption généralisée (14), faute d'avoir voulu, pu et su organiser la production nationale publique et privée. Cette formidable demande solvable en biens et services, de notre économie, qui aurait dû entraîner une croissance économique «à deux pieds», n'a fait donc que le bonheur et la croissance des entreprises … étrangères! Mais la gravité du problème ne se situe pas à ce niveau uniquement, l'aspect criminel de l'opération se trouve dans la déperdition durable et quasi irréversible des ressources humaines formées durant plus de deux décennies dans les plus grandes universités au monde et jouissant d'un capital-expérience unique. A marche forcée et sans exception aucune, tour à tour les membres du CNRE (15) vont contraindre les entreprises publiques au passage à la tronçonneuse (16) … Sonatrach n'échappera pas aux lames assassines de ces «khabatologues», ainsi désignés par un officier à la retraite qui anticipait la catastrophe. Elle va faire l'objet d'un dépeçage systématique (17), qualifié de «par métiers», ce qui va se traduire par la destruction des synergies de l'entreprise, la dispersion des centres de décision, l'éparpillement et ou la perte des ressources humaines (18), de l'ingénierie et surtout l'impossibilité de construction d'entreprises dont la masse critique soit crédible, au niveau de la concurrence nationale et internationale (19). Dès lors, une des premières priorités que devraient s'assigner les nouvelles équipes dirigeantes, tant au ministère qu'à la Sonatrach, serait de préparer les conditions d'un retour à la situation d'avant restructuration organique, c'est-à-dire la construction d'un «Holding Sonatrach», qui absorbera toutes les entreprises hybrides qui sont sorties de son sein (20). Un dossier complet, avec plusieurs scenarii et un planning de mise en œuvre, devrait être soumis au CNE dans les meilleurs délais, de manière à obtenir les accords de principes stratégiques, nécessaires en la matière et fixer les grandes orientations au secteur pour, au moins, la prochaine décade, à la lumière des derniers développements sur la scène internationale des hydrocarbures. Ce travail de réorganisation de l'entreprise, d'optimalisation des coûts et de maîtrises des métiers devra s'effectuer dans le cadre d'une dimension nationale et internationale. En même temps que cette opération s'effectue, une autre doit s'opérer parallèlement et qui consiste à restituer, aux autres secteurs, toutes les activités nationales et internationales que Sonatrach s'est arrogée le droit de mener, par elle-même, hors de ses métiers de base et qui squattent l'entreprise, la détournent de son objet, lui coûtent très chères et introduit l'opacité dans sa gestion. En effet, des activités telles que l'assurance, la banque, le transport, la formation, la santé, l'immobilier, l'agriculture, l'aviation, les ports, la maintenance, l'hôtellerie, le fret, la téléphonie, la culture, les loisirs, les mines (hors hydrocarbures), l'urbanisme… non seulement ne sont pas les métiers de l'entreprise, entrainant des rendements médiocres, mais nuisent substantiellement à sa gestion. De simples contrats de prestation de services ou des partenariats minoritaires, lorsque cela s'impose, suffisent à régler ce genre de problèmes à moindre coût et surtout dans la transparence (21). En effet, des conventions avec les universités et autres centres de recherche doivent suffirent à prendre en charge l'équation recherche-formation-développement, pour ses propres besoins. De même, il en va ainsi pour toutes les prestations que le nouvel holding estime nécessaire à son développement, introduisant ainsi la flexibilité dans la gestion, l'évaluation du coût des services et la transparence par la concurrence. Ce recentrage sur ses métiers de base doit passer par un développement vertical (maitrise et approfondissement des métiers et techniques nouvelles) et celui horizontal (intégration, inter-sectorialité et prospectives). L'intelligence économique, qui fait cruellement défaut dans notre pays (22) devra être le fer de lance de cette nouvelle organisation et permettre à ce holding nouveau d'évoluer dans des conditions les plus favorables, à l'instar de ce que nous constatons dans les autres pays, au moins similaires.
Dr Mourad Goumiri. Président de l' ASNA (Association des universitaires algériens pour la promotion des études de sécurité nationale)