L'image solennelle du président américain se recueillant devant le mémorial érigé dans le hall du luxueux hôtel Taj Mahal Palace, pour rappeler les victimes de l'attentat du 26 novembre 2008, est venue comme mettre du baume sur les blessures des familles des victimes et des survivants. Obama, accompagné de son épouse Michelle, s'est montré ému, en passant en revue les noms des 31 personnes tuées lors de l'attaque terroriste lancée contre le Palace. Parmi elles, se trouvaient des clients et des employés de l'établissement, mais aussi de simples passants. Les Indiens ont apprécié les propos du président américain tenus pour l'occasion, particulièrement lorsqu'il a souligné que l'Inde et les Etats-Unis «sont unis contre le terrorisme». Les mots de l'homme le plus puissant au monde ont résonné aux oreilles des habitants de Bombay comme une reconnaissance internationale, très attendue, à leurs souffrances. Et le lieu choisi par Obama, pour la première étape de son séjour indien, portait à lui seul plus d'une signification. Le majestueux Taj Mahal Palace avait été attaqué le 26 novembre 2008 par un commando terroriste venu de la mer. Selon les services de sécurité indiens, les assaillants voulaient faire sauter ce joyau de l'architecture indienne qui date de 1903. Rezak, chauffeur de taxi, est musulman pratiquant. Il remercie encore Dieu pour l'avoir épargné le jour de l'attentat. Souffrant d'une gastroentérite, il s'était absenté de son lieu de travail en ce 26 novembre. Son ami et collègue Mohamed n'a pas eu la même chance providentielle et son nom figure à présent sur la liste des victimes du «11 septembre indien». Voiture pulvérisée Mohamed, tout comme Rezak, transportait les touristes de l'aéroport international Chhatrapati Shivaji jusqu'aux hôtels luxueux de la ville, dont le plus fréquenté est le Taj Mahal Palace, dans le quartier de Colaba qui longe la mer arabique. Il nous explique que la déflagration actionnée aux abords du Taj était si forte que la voiture de son ami fut littéralement pulvérisée. Parmi les 166 victimes des attaques de Bombay, commémorées aujourd'hui, figurent plusieurs musulmans. Mais les partis de l'extrême droite indienne, surtout les plus radicaux parmi les mouvements hindouistes nationalistes, comme le BJP, Bharatiya Janata Party (Parti du peuple indien) ou le RSS (Rashtriya Swayamsevak Sangh) – qui signifie «Organisation pour l'autarchie extrême – n'ont pas hésité à exploiter la douleur des Indiens pour intensifier leur offensive démagogique contre les musulmans. Le plus influent de ces partis sur la place de Bombay est le Shiv Sena, (armée de Shivaji), du nom du fondateur de l'empire Marathe qui s'étendait au XVIIe siècle dans la région, aujourd'hui Etat du Maharashtra, faisant partie de la coalition qui gouverne cet Etat qui a pour capitale Bombay ou Mumbay comme ont voulu la rebaptiser les responsables nationalistes. L'islamophobie, l'intolérance envers les étrangers, mais aussi envers les autres Indiens non marathi sont le cheval de Bataille du Shiv Sena qui s'en prend ouvertement aux musulmans et incitent ses sympathisants à leur mener la vie dure. Après les attentats de 2008, les autorités indiennes, qui en général évitent toute action susceptible de provoquer la colère des musulmans, ont intensifié les contrôles sur les lieux de culte musulmans et une campagne d'arrestations de jeunes musulmans a commencé dans la région de Bombay. Couvre-feu Ainsi, plus de 8000 d'entre eux ont été interpellés au lendemain des attaques, et 55 000 habitants de confession musulmane ont été obligés de signer un document officiel par lequel ils s'engagent à ne pas quitter la localité sans aviser les services de sécurité. «Ce que vivent nos frères au Cachemire, nous l'avons éprouvé après les attentats de Bombay», nous affirme Amir, un jeune chômeur musulman, qui habite le quartier de Bindhi Bazaar. Les habitants du Cachemire, territoire contesté par l'Inde et le Pakistan, sont soumis à une répression féroce de la part des forces de l'ordre indiennes dépêchées par Delhi. Couvre-feu et arrestations arbitraires sont le lot quotidien des jeunes musulmans, qu'ils soient séparatistes ou pas. Le vécu du reste des musulmans d'Inde, s'il n'est pas comparable à celui des Cachemiris, n'est pas pour autant aussi enviable. Récemment, des organisations de musulmans indiens ont réclamé le droit de bénéficier du système des quotas introduit pour les gouvernements régionaux pour soutenir les citoyens appartenant aux castes les plus discriminées. C'est dire que les musulmans ploient sous le poids de la ségrégation généralisée. Un récent rapport connu comme le rapport «Sachar», du nom du président de la haute cour de justice qui l'a rédigé, est venu confirmer l'état de misère économique, sociale et culturelle dans laquelle sont confinés les 160 millions de musulmans d'Inde. Ordonné par le Premier ministre, Manmohan Singh, cette étude a révélé que 52% des musulmans sont sans emploi, 25% des moins de 14 ans n'ont jamais fréquenté l'école et seuls 4% des étudiants indiens sont musulmans. «Notre vie, depuis le pogrom de 1992, s'est considérablement dégradée, mais après les attaques de Bombay, nous nous sentons constamment épiés et suspectés», nous confie Aziz, un petit commerçant de Javeri Bazaar, rencontré aux alentours de la mosquée Minara, qui se trouve rue Mohamed Ali, l'artère la plus fréquentée par les musulmans de Bombay. Pogrom anti-musulman Aziz se rappelle encore les hordes d'hindous fanatiques attaquant les musulmans de Bombay, fauchant 2000 vies en quelques jours. Ces émeutes avaient succédé à la destruction d'un monument islamique du XVIe siècle, la mosquée Babri, à Ayodhya (Uttar Pradesh) par des fondamentalistes hindous qui prétendaient que le site avait abrité un temple hindou. Le mois dernier, la justice indienne a rouvert les plaies de la communauté musulmane, en décrétant dix-huit ans après la partition du terrain sur lequel était érigé Babri Masjid, entre Hindous et musulmans, à raison de deux tiers pour les premiers. Par ailleurs, les auteurs de la destruction du monument historique n'ont pas été inquiétés et le juge n'a pas ordonné la reconstruction de la mosquée. Les deux parties ont fait appel de cette sentence à la Cour suprême. «C'est une mascarade. La Cour a tranché sur la base de la foi (hindoue) et non de la justice. Demain, n'importe quel fanatique hindou pourra démolir la grande mosquée de Delhi, prétendant qu'elle a été construite sur le site d'un temple», s'indigne Rasheed, un avocat du Forum des avocats musulmans du Maharashtra, à la sortie de la prière du vendredi accomplie dans la mosquée Minara entourée d'une forte présence des forces de l'ordre. «Espérons que cette injustice ne vienne pas radicaliser l'esprit de nos jeunes qui vivent déjà si mal la discrimination», ajoute un vieux fidèle, en kamis blanc. C'est là le cauchemar des autorités indiennes engagées dans la lutte contre le terrorisme voire des organisations extrémistes comme le Tablighi Jamaat et le Simi (Students Islamic Movement of India) interdit en 2001 reprendre du poil de la bête et gagner les millions de chômeurs musulmans à leur cause. Mais en ce 26 novembre, les habitants de Bombay, qu'ils soient hindous ou musulmans, se promènent sur le front de mer qui fait face au Taj Palace et leur regard ne se tournent plus vers le Gate of India, «Porte de l'Inde» traversé en 1911 par le roi britannique Georges V. Tous scrutent émerveillés la façade de l'hôtel Taj Mahal Palace qui a réouvert à la fin de l'été. Rénové, plus aucune trace l'attaque terroriste ne subsiste. L'Inde, c'est aussi cela. Un pays blessé qui renait avec fierté et panse les blessures de sa société multiconfessionnelle et multiethnique.