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My name is Khan, ou le calvaire d'être musulman… à Bombay
Publié dans El Watan le 19 - 02 - 2010

Appel au boycott et menaces contre les salles de cinéma qui projettent My Name is Khan, le dernier film de la superstar indienne Shah Rukh Khan est sorti à Bombay dans un climat de guérilla. Mais plus que l'histoire du film – celle d'un Indien aux Etats-Unis, victime de l'islamophobie post 11 septembre –, ce sont les propos de l'acteur qui ont déchaîné une extrême-droite hindoue très hostiles aux musulmans.
Notre correspondante
de New Delhi.
La plus grande démocratie du monde avec son milliard deux cents millions d'habitants, ses dizaines de langues, de confessions et d'ethnies, découvre son autre visage. Celui d'une extrême droite nationaliste hindoue qui s'en prend aux Indiens coupables de professer l'Islam. Shah Rukh Khan, connu sous le diminutif de SRK, idole nationale incontestée de tous les Indiens, le découvre à ses dépens. Ses propos en faveur des joueurs de cricket pakistanais lui ont attiré les foudres du Shiv Sena, la mouvance intégriste hindoue qui a fait main-basse sur Bombay et la région du Maharashtra depuis vingt ans avec sa propagande régionaliste. Ce parti chauvin et xénophobe a appelé au boycott du film My name is Khan, sorti le 12 février en Inde et projeté dans les salles de Bombay et des autres villes indiennes dans une ambiance de guérilla urbaine.
Avec d'un côté les militants déchaînés de l'extrême droite et, de l'autre, la police et les fans de Khan, acteur principal du film. Les gérants des salles de cinéma ont été sommés de retirer le film de leur programme sous peine d'être « punis ». Ce qui a poussé le gouvernement local à placer des agents de la police et même des soldats devant chaque salle pour éviter aux activistes du Shiv Sena de commettre agressions et actes de vandalisme. Les jours qui ont précédé la projection de My name is Khan, les affiches du film ont été brûlées. En une seule journée, la police a arrêté un millier de militants extrémistes pour les empêcher de s'en prendre aux symboles de My name is Khan, produit par le cinéaste indien Karan Johar. Ce film très attendu, présenté au Festival du film de Berlin qui s'est ouvert le 9 février, raconte l'histoire de Rezwan Khan, un musulman indien résidant aux Etats-Unis, et se veut un message politique qui dénonce la chasse aux musulmans entamée après les attentats contre le World Trade Center, à New York.
Mais en quoi un film destiné au grand public, mettant en cause l'islamophobie d'une partie des Américains, peut-il irriter à ce point l'extrême droite indienne ? Cette dernière reproche à la star du film, un musulman, d'avoir parlé en faveur des joueurs de cricket pakistanais lors d'une conférence de presse pour présenter son film. Khan avait déploré l'absence, cette année, des Pakistanais dans la première ligue indienne. Lui-même propriétaire d'un des huit clubs de ce championnat, les Knight Riders de Calcutta, Khan avait souligné son regret que la situation politique entre l'Inde et le Pakistan ait poussé les responsables des équipes indiennes à renoncer, pour la première fois, aux services des Pakistanais connus pour leurs performances.
Cela a suffi aux chefs du Shiv Sena de Bombay pour accuser l'acteur d'être un « traître au service du Pakistan » et de « parler d'abord comme un musulman et non comme un Indien ». S'en est suivi un appel au boycott du film sur fond de menaces de représailles contre les salles qui le mettent au programme. L'idole de millions d'Indiens qui vit depuis des années à Bombay s'est vue inviter par les extrémistes du mouvement nationaliste hindou à présenter ses excuses ou à quitter la ville pour le Pakistan. Mais les millions de fans de Khan ont spontanément lancé une campagne de solidarité avec leur idole. « Assez ! Les nationalistes hindous doivent cesser de s'en prendre à nos symboles culturels et sportifs uniquement parce qu'ils sont musulmans », dénonce Saurabh, un jeune universitaire hindou qui affirme qu'il ira voir le film à Delhi.
Même les plus vieux — comme Geeta, 54 ans, médecin — expriment leur refus de voir l'un des mythes de leur cinéma se faire insulter par des « hordes de fanatiques ». « On a toujours vécu dans une société multiconfessionnelle et multilingue. Pourquoi ces extrémistes veulent-ils semer la haine entre nous ? », se demande Geeta. Mais ceux qui font preuve de la plus grande virulence dans cette campagne d'hindouisation sont les adeptes du Shiv Sena, qui vont jusqu'à exiger de tous ceux qui habitent à Bombay de parler le dialecte local, la langue marathie. Les responsables de cette mouvance ont même imposé aux milliers de conducteurs de rickshaws et de taxis de Bombay d'apprendre cette langue s'ils voulaient conserver leur travail dans la région du Maharashtra.
La presse indienne rapporte régulièrement les mésaventures d'artistes, d'architectes et de médecins musulmans qui s'installent à Bombay mais ne trouvent personne prêt à leur louer un appartement. L'onde de choc et l'émotion suscitée parmi les Indiens au lendemain des attaques terroristes de Mombay, le 26 novembre 2008, attribuées par les autorités à une cellule armée pakistanaise, ont été largement instrumentalisées par les partis nationalistes hindous, qui ne cessent, depuis, d'instiguer à la haine des musulmans qui souffrent déjà d'une lourde ségrégation au sein de la société indienne. Et lorsque le fils de Sonia Gandhi — Italienne d'origine, veuve de l'ancien Premier ministre indien Rajiv Gandhi et toute-puissante leader du parti du Congrès au pouvoir — Rahul Gandhi, député promu dans le futur au poste de chef du gouvernement, tente de défendre les musulmans de Bombay, en affirmant lors d'un récent meeting, « Bombay appartient à tous les Indiens », la réponse du Shiv Sena lui parvient, cinglante et outrageuse : « Bombay appartient peut-être à tous les Indiens, mais sûrement pas à ton Italienne de maman. »
Quant à la superstar de Bollywood, Shah Rukh Khan, malgré les tentatives des militants extrémistes hindous d'assaillir sa demeure à Bombay, repoussées par la police, il ne compte pas se laisser intimider. « Je suis fier d'être Indien, mais aussi de ma religion, de ma famille et d'être citoyen de Bombay », affirme-t-il à l'attention des exaltés du Shiv Sena, qui se sont violemment affrontés aux services d'ordre en tentant de s'en prendre à une salle de cinéma qui a mis à l'affiche My name is Khan. Cet acharnement barbare contre un acteur musulman qui a voulu dénoncer l'islamophobie en Amérique a cependant servi la cause du cinéma indien, puisque des milliers d'Indiens se sont rendus dans les 63 salles de Bombay qui projettent le film ainsi que dans les autres villes du pays.
Du jamais vu. Aucun film de Khan n'a eu autant de succès et les billets restaient introuvables durant les premiers jours de la projection. Sur les sites commerciaux d'Internet, les places se sont vendues des milliers d'euros. « Je n'ai pas encore réussi à trouver un seul billet pour voir le film, mais cela me réjouit. Car cela signifie que la société civile indienne s'est soulevée comme un seul homme, musulmans, hindous, sikhs… contre le diktat et l'arrogance de l'extrême droite », nous confie Jaya, une admiratrice de King Khan, comme on surnomme ici Shah Rukh Khan.


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