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Les mécanismes contre la corruption neutralisés
Faisant fi des lois de la république
Publié dans El Watan le 08 - 08 - 2009

Affaire Khalifa, affaire de la BCIA, affaire Achour Abderrahmane, affaire de la GCA…, les scandales se suivent et se ressemblent, creusant le Trésor public et minant la confiance entre le citoyen et l'Etat. Pendant ce temps, s'il y a un silence qui reste énigmatique, c'est celui de la Cour des comptes qui sombre dans un sommeil léthargique depuis au moins dix ans, faisant défaut à ses obligations...
L'organe national de prévention et de lutte contre la corruption, créé par décret présidentiel comme principal mécanisme de mise en application de la loi 06/01 relative à la prévention et la lutte contre la corruption, est lui aussi mis au placard, en attendant que la volonté politique daigne le libérer. Dans un document établi dans le cadre du Mécanisme africain d'évaluation par les pairs (MAEP) lié au NEPAD et mis en ligne sur le site web du ministère des Affaires étrangères, le gouvernement reconnaît qu'« en dépit des efforts déployés, il y a lieu de constater que le fléau persiste du fait de corrupteurs étrangers et/ou nationaux ». Un mea-culpa édifiant sur une situation catastrophique. Car au moment où l'on croyait les moyens de lutte renforcés et la volonté politique plus que jamais déterminée, la dilapidation des deniers publics, l'abus de biens sociaux, le délit d'initié – la liste n'est pas exhaustive – saignent comme jamais auparavant l'économie nationale et sapent le moral de la nation, à l'ombre du silence complice des institutions de l'Etat, notamment les assemblées élues. Pourquoi aussi peu d'impact et pourquoi tous ces blocages des mécanismes anticorruption ? A quel point les enjeux du phénomène déterminent-ils la conduite des gouvernants ? Enquête. Le 19 avril 2004, Bouteflika inaugure son 2e mandat présidentiel en signant un décret portant ratification de la convention des Nations unies contre la corruption. Fait salué d'ailleurs par le secrétariat général de l'institution internationale. Le 10 octobre de la même année, à l'occasion de l'ouverture de l'année judiciaire, A. Bouteflika déclare : « Je voudrais insister sur l'importance qu'il convient d'accorder à la lutte contre la corruption partout et dans toutes les institutions, y compris dans le secteur judiciaire car cette forme de criminalité insidieuse entrave le développement économique, fait fuir les investisseurs étrangers, cause un grand tort aux citoyens et mine la confiance des populations dans l'Etat. » Le défi est relevé. Le processus de réformes dans lequel s'était engagée l'Algérie ne peut souffrir un tel fléau. Au problème « multidimensionnel », on prescrit une « approche globale ». Aux intentions formellement nobles se joignent des décisions salutaires, puisque le président, afin de faire face au phénomène de la corruption, du trafic d'influence et d'atteintes aux deniers publics, invite le gouvernement Ouyahia à élaborer un code qui « facilitera la lutte contre la corruption et la mise en place de mécanismes de suivi de la lutte contre ce fléau, conformément à la convention internationale », selon ses mots. Le ministre de la Justice, Tayeb Belaïz, celui-là même qui avait représenté l'Algérie pour la signature de la convention des Nations unies à Mexico en 2003, est chargé de préparer l'avant-projet de loi. Le texte est examiné et adopté par le Conseil des ministres le 13 avril 2005. Sept mois plus tard, le Parlement et ensuite le Sénat votent le texte, qui sera signé par le président Bouteflika en février 2006 et publié au Journal officiel sous le numéro 06/01. Tout le monde applaudit ce grand pas vers le développement et le temps venu d'un présent chantant. Les quelques voix discordantes, ou du moins sceptiques, sont étouffées par l'optimisme ambiant. Il est vrai que les objectifs politiques de la loi (article 2) sont rassurants et davantage pour les avertis, sachant que celle-ci donne obligation de résultat pour les pouvoirs publics.
L'homme le mieux payé en Algérie !
La loi se décline en deux aspects, dont le plus important est celui de la prévention. Les mesures y afférentes touchent l'ensemble des sources de corruption, notamment dans le secteur public, à l'image de la passation des marchés publics, la prévention du blanchiment d'argent et la gestion des finances publiques. La déclaration du patrimoine (article 4) en est la preuve. Les plus hauts responsables de l'Etat sont, en effet, enjoints de déclarer leurs biens ; déclarations censées être publiées sur le Journal officiel (article 6). Dans le rapport d'évaluation gouvernementale de l'état de la corruption pour 2006 et 2007, les autorités notent avec satisfaction le nombre d'affaires jugées par les juridictions (respectivement 680 et 861). De la poudre aux yeux qui cache mal la paralysie quasi totale des mécanismes mis en place et l'application de la loi. Le citoyen lambda est en mesure de vérifier l'application ou non des mesures prescrites, notamment en ce qui concerne la déclaration du patrimoine. Il faut savoir que la publication de ces déclarations dans le Journal officiel est une obligation juridique. Depuis l'entrée en vigueur de la loi 06/01, ce sont des centaines et des centaines de responsables qui sont concernés. Or, rien n'a été fait. L'opinion publique ignore si ces déclarations ont été produites. Si la réponse est négative, quelles en sont les raisons ? Si oui, pourquoi n'ont-elles n'ont pas été publiées, sachant qu'elles atterrissent chez le premier président de la Cour suprême ? Ce dernier les a-t-il envoyées à l'imprimerie officielle, qui est placée sous la tutelle du gouvernement ? Mystère et boule de gomme. Une chose est sûre : les lois sont foulées aux pieds. Pourtant, l'article 60 de la Constitution avertit expressément : « Nul n'est censé ignorer la loi. Toute personne est tenue de respecter la Constitution et de se conformer aux lois de la République. » Une fondamentale explicitée par l'article 4 du code civil : « Les lois promulguées sont exécutoires sur le territoire de la RADP. » Le gouvernement est responsable de l'application ou non des lois, selon l'article 85 de la Constitution : « Outre les pouvoirs que lui confèrent expressément d'autres dispositions de la Constitution, le Premier ministre (ex-chef du gouvernement) exerce les attributions suivantes : il veille à l'exécution des lois et règlements. » Quand un manquement est signalé, la faute lui incombe et il doit en assumer les conséquences. Plus grave, la loi de prévention et de lutte contre la corruption prévoit des sanctions en cas de violations des dispositions sur la déclaration du patrimoine. L'article 36, traitant du défaut ou la fausse déclaration du patrimoine, stipule : « Est puni d'un emprisonnement de 6 mois à 5 ans et d'une amende de 50 000 à 500 000 DA tout agent public, assujetti légalement à une déclaration du patrimoine, qui, deux mois après un rappel par voie légale, sciemment, n'aura pas fait de déclaration du patrimoine, en aura fait une déclaration incomplète, inexacte ou fausse, ou formulé sciemment de fausses observations ou qui aura délibérément violé les obligations qui lui sont imposées par la loi. » Donc si ces déclarations ne sont pas publiées au JO dans les délais impartis par la loi (2 mois), elles sont réputées inexistantes. Le défaut de déclaration étant considéré comme une infraction, pourquoi alors le ministère public ne s'autosaisit-il pas alors qu'il est censé représenter le peuple ? Veut-on vraiment consacrer la transparence ? Il s'agit bien d'une pratique du système et non pas d'actes isolés. Ce qui ne fait pas honneur à l'Algérie et conforte les critiques décochées à l'endroit de la loi de lutte contre la corruption et, par voie de conséquence, la volonté politique d'en découdre avec ce fléau qui prospère. Sur un autre plan, la loi est jugée en retrait par rapport aux conventions internationales par les ONG oeuvrant dans ce domaine, notamment en ce qui concerne la qualification juridique des infractions. En effet, sous couvert de la ratification des conventions internationales, les initiateurs de ce texte ont requalifié la classification de l'infraction dans le détournement de deniers publics (article 29). Avant, l'article 119 du code pénal considérait le détournement de deniers publics comme crime et la sanction variait entre la prison à vie et la peine capitale. En revanche, la loi 06/01 qualifie le détournement de deniers publics de délit. Pour avoir détourné 3200 milliards, Achour Abderrahmane, pour ne citer que cet exemple de fraîche mémoire, a écopé de 10 ans de prison ferme (uniquement pour ce grief). La nouvelle loi fera de lui l'homme le mieux payé en Algérie puisque cela équivaut à un salaire de 2 millions de centimes par heure d'incarcération. De quoi créer l'émulation ! Est-il raisonnable d'admettre que celui qui vole les réserves de change de l'Algérie n'écope pas de plus de 10 ans ?
Qui se cache derrière le blocage ?
En dépit de l'article 17 de la loi 06/01, force est de constater que pour la mise en oeuvre de la stratégie nationale de lutte anticorruption, l'Algérie ne dispose toujours pas d'organe spécialisé. Un levier dont l'absence enlève tout sérieux aux professions de foi et à la démarche présidentielle couronnée par la promulgation d'une loi et tout un dispositif qui restent sur le papier. L'organe rattaché à la présidence demeure tributaire de la volonté du président, qui détient seul le secret de cette « rétention ». Depuis novembre 2006 et en dépit du décret présidentiel n°06/413 du 22 novembre 2006 fixant la composition de l'organe national de prévention et de lutte contre la corruption, son organisation et son fonctionnement, le président Bouteflika n'a toujours pas désigné ses 6 membres. Cette désignation est pourtant une condition sine qua non pour l'installation de l'organe. Comment justifier ce grand retard ? En plus du fait qu'elle entrave le fonctionnement de la machine anticorruption, cette situation vient en violation des articles 60 et 85 de la Constitution ainsi que l'article 4 du code civil. Les Algériens sont habitués à ce genre de pratiques par lesquelles les lois deviennent des coquilles vides et ont toutes les raisons de tourner le dos aux discours politiques sur la moralisation de la vie publique et le rétablissement de la confiance entre gouvernants et gouvernés. Une autre preuve et pas des moindres : la situation de la Cour des comptes. Celle-ci est plus importante puisqu'elle est mentionnée dans la Constitution, dont l'article 170 stipule en effet qu'« il est institué une Cour des comptes chargée du contrôle a posteriori des finances de l'Etat, des collectivités territoriales et des sociétés publiques ». C'est Chadli Bendjedid qui a institué, en 1979, la Cour des comptes, qui a d'ailleurs beaucoup fait parler d'elle au milieu des années 1980 avant de sombrer dans la léthargie jusqu'à la venue de Liamine Zeroual, qui l'a réorganisée par l'ordonnance 95/20 du 17 juillet 1995, en lui donnant un beau siège et de larges attributions. La Cour des comptes établit un rapport annuel qu'elle adresse au président de la République. Le rapport, selon l'article 16 de l'ordonnance, reprend les principales constatations, observations et appréciations résultant des travaux d'investigation de la Cour des comptes, assorties des recommandations qu'elle estime devoir formuler ainsi que les réponses y afférentes des responsables, représentants légaux et autorités des tutelles concernées. Le rapport doit être publié totalement ou partiellement au JO de la RADP et une copie doit être transmise par la Cour des comptes à l'institution législative. Depuis 1995, soit 14 ans, ce sont 14 rapports qui auraient dû être publiés, par la force de la loi, mais les archives du Journal officiel peuvent témoigner qu'il n'y a aucune trace de ces rapports au moins depuis 12 ans. Ainsi, l'organe national mort-né, la Cour des comptes liquidée, avec quoi veut-on empêcher la corruption et « renforcer la dynamique de la démocratie et de l'Etat de droit » ? Qui est derrière ce blocage ? Mieux encore, qui a intérêt à ce que meure la Cour des comptes et qui l'a enterrée ? Comment faire face à l'avidité de la mafia et ses tentacules enracinés dans les plus hautes institutions de l'Etat ? Pas avec des discours, ni avec des textes en tout cas. Le fléau de la corruption, qui semble avoir encore de beaux jours devant lui, constitue une sérieuse menace sur le devenir des institutions de l'Etat et de générations d'Algériens.


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