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Cas de Sonatrach – Le retour au bercail
Publié dans El Watan le 01 - 12 - 2010

Ce dispositif réglementaire repose sur la directive A 408 – (R14) du 11 février 2002, modifiée et complétée par la directive A 408 – (R15) du 12 octobre 2004, qui a adopté le principe de l'appel d'offres comme une règle générale, avec la création d'un bulletin officiel pour le secteur d'énergies et des mines, à savoir le Baosem.Selon M. Meziane, ex-P-DG de Sonatrach, «ce dispositif est l'une des décisions les plus significatives générées par le processus amélioré du fonctionnement et des performances de la compagnie nationale, engagé dans le sillage du brainstorming tenu en juin 2001. Il a permis des résultats satisfaisants, comme l'élargissement de l'éventail de la compétition, la transparence et le traitement équitable des soumissionnaires, la réduction des délais des conclusions des contrats d'affaires et la diminution des coûts.»(1)
Cet optimisme affiché par les responsables du secteur vient de succomber soudainement sous le poids des événements tragiques qui ont marqué la compagnie pétrolière fin 2009, l'image de marque de Sonatrach ayant été fortement atteinte, à l'échelle nationale comme à l'échelle internationale. Les raisons de cet échec se trouvent selon les uns dans le processus de passation des marchés adopté par SH auparavant. Au lieu de régler certains problèmes, on en a créé d'autres autrement plus importants, puisqu'il a permis l'émergence de sociétés pirates qui ont pu franchir les mailles des différents contrôles imposés par le Baosem.(2)
Il serait judicieux, selon certains, de soumettre les marchés de Sonatrach au code des marchés publics. Pour les autres, ce ne sont pas les procédures du Baosem qui sont la cause. Cet arsenal réglementaire, malgré quelques insuffisances, permet de détecter n'importe quelle faille. Il s'agit tout simplement du facteur humain, soit par l'ingérence des hauts responsables dans le processus des appels d'offres, soit en raison de la capacité managériale des cadres, Sonatrach n'a pu former que 25 cadres en procurement. Revenons un peu en arrière, du moment où l'Etat algérien s'apprêtait à promulguer le code des marchés publics, en l'occurrence le décret présidentiel 250-02 du 24 juillet 2002, Sonatrach a promulgué sa fameuse directive A -408 (R14) le 22/02/2002, établie avec le concours des experts de la Banque mondiale, le référentiel universel est supposé la rendre infaillible.
Il est à rappeler que l'Algérie, à la fin des années 1980, plus précisément en 1988, a promulgué une série de lois relatives à l'autonomie des entreprises, donnant plus de liberté aux sociétés algériennes d'établir des procédures de passation de marchés propres à elles, loin des contraintes des procédures du code des marchés publics appliquées auparavant. En agissant ainsi, les pouvoirs publics, à l'époque, voulaient se décharger de la gestion des sociétés socialistes. Une telle mutation s'est faite de manière brusque et soudaine, sans préparation du terrain, notamment le changement de mentalité et le manque de cadres formés censés gérer ce patrimoine important. Et comme un malheur n'arrive jamais seul, cette période a été suivie d'une crise politico-économique sans précédent, un terrorisme aveugle conjugué à la chute des prix du pétrole, l'unique source de revenus. Ces causes réunies ensemble ont permis aux opportunistes et aux groupes d'intérêts de saisir l'occasion.
Ce n'est qu'à partir du nouveau millénaire que la sortie du tunnel commence à poindre pour l'Algérie, l'aisance financière due à l'augmentation des prix du pétrole, la stabilité politique et la paix sociale étant les faits qui ont marqué ce siècle.
Afin de barrer le chemin aux opportunistes et aux groupes d'intérêts, les responsables de Sonatrach à cette époque ont précipité la promulgation de la directive A -408 (R14), draconienne et durcie dans son aspect apparent, mais dès sa mise en vigueur, des critiques acerbes, venant même de l'intérieur de la compagnie accusent le processus mis en place d'être le responsable direct de la qualité médiocre des approvisionnements.
En donnant le libre accès aux sociétés pirates de participer aux marchés de Sonatrach, les responsables de cette compagnie auraient dû patienter un peu afin de s'inspirer du nouveau code des marchés publics en cours de gestation et d'éviter, ainsi, de promulguer un règlement différent et qui n'a pas la force exécutoire devant les institutions judiciaires. La différence est de taille entre un décret présidentiel établi par des institutions législatives élues par le peuple et qui a la force exécutoire et une simple directive interne établie par le P-DG de la compagnie, d'autant plus qu'elle est différente de l'esprit du code des marchés publics. Les récents scandales qui ont secoué Sonatrach ont mis à nu le processus de passation de ses marchés. Les institutions judiciaires n'ont pas reconnu ce processus ; pour eux, c'est clair, les seules références sont les lois de la République.
Ce qui a mis les gestionnaires de la compagnie entre l'enclume de la directive et le marteau des lois de la République. C'est ainsi qu'ils ne savent plus à quel saint se vouer pour se prémunir de la responsabilité pénale.
Par ailleurs, d'autres pourront dire que la faute n'est pas due à la directive. Certains secteurs publics régissant leurs transactions par le code des marchés publics ont connu les mêmes scandales et parfois pire. Le mode opératoire de la directive est tel qu'il est improbable qu'une société qui ne remplit pas certains critères impératifs de qualification puisse faire une offre (3).
Mais, contrairement à leurs homologues soumis au code des marchés publics, les gestionnaires de Sonatrach sont doublement menacés, du fait d'un côté, de l'acte volontaire du délit, et d'un autre côté, plus important, du fait du non-respect de la réglementation des marchés publics, seule loi reconnue par les instances judiciaires. Même en l'absence de l'acte délictuel, le gestionnaire à Sonatrach pourrait être poursuivi pour non-respect de la réglementation de passation des marchés publics.
C'est ce paradoxe qui a poussé les responsables de Sonatrach à promulguer une directive précipitée A-408 (R16), le 8 avril 2010, en s'inspirant au maximum de l'ancien code des marchés publics et tout en gardant certaines dispositions de la directive R15. Une telle combinaison est difficile à gérer, elle a conduit tout simplement à un imbroglio juridique.
Cet état de fait ressemble parfaitement dans ses traits à celui de l'année 2002 ; au lieu d'attendre la promulgation du nouveau code des marchés publics, la compagnie a promulgué hâtivement la directive A-408 (R16), comme si elle voulait se démarquer des pouvoirs publics, sachant bien que le projet de loi portant code des marchés publics a prévu d'élargir son champ d'application aux sociétés stratégiques du pays.
Après la promulgation de la directive A-408 (R16), les nouveaux responsables de Sonatrach, fraîchement installés, n'ont pas voulu bousculer les choses. Ils avaient la certitude que cette directive sera abolie de facto, ce n'est qu'une question de temps, en attendant de promulguer le nouveau code des marchés publics. En soumettant dernièrement(4) les sociétés stratégiques aux dispositions du nouveau code des marchés publics, les pouvoirs publics ont donné un signal fort à double échelle :
– au niveau international, vu le nombre colossal des projets d'investissement dans le domaine de l'énergie et des mines, les investisseurs étrangers devraient désormais traiter directement avec l'Etat algérien, seul garant des droits et des obligations.
– au niveau national, en avertissant les sociétés nationales que la marge de liberté dont elles disposent en matière de passation de marchés n'empêche pas les pouvoirs publics d'auditer, de contrôler et d'ester en justice les gestionnaires volontairement défaillants, l'Etat peut, à tout moment, récupérer ses biens.
Cette décision courageuse et salutaire des pouvoirs publics réconforte davantage les gestionnaires de la compagnie ; ils seront désormais régis par les lois de la République, reconnues officiellement par les institutions judiciaires de l'Etat. Les menaces qui pesaient sur leur tête durant les directives internes seront écartées à jamais.
En conclusion, les problèmes des sociétés publiques ne sont pas organiques. Soumettre ces sociétés au code des marchés publics et restreindre leur autonomie, ou les doter d'une autonomie absolue en les régissant par des directives internes ne réglera pas le problème. Il faut savoir combiner entre une autonomie surveillée avec un rôle régulateur des pouvoirs publics. Pour cela, il faut des managers hautement qualifiés et réellement formés. La refonte de la politique de gestion des carrières est indispensable, il faut créer des pépinières de ressources humaines capables de fournir des gestionnaires aptes à faire face aux défis de la mondialisation et de bénéficier du maximum des expériences des autres peuples. Et nous avons comme modèle les pays asiatiques, l'exemple parfait. Sonatrach doit être la locomotive de l'économie algérienne et non pas une manne de ressources financières, appelées à disparaître tôt ou tard. Ces ressources humaines sont la véritable richesse du pays.

Notes de renvoi :
(1) La Tribune du 13 octobre 2004 (hydrocarbures : Sonatrach signe la directive de passation de marchés) Youcef Salami.
(2 & 3) Le Soir d'Algérie du 21 septembre 2005 (procédures de passation de marchés dans le secteur de l'énergie et des mines – Le Baosem n'aurait rien réglé)
(4) Quotidien El Khabar du 9 novembre 2010. (Généralisation du code des marchés publics au secteur de l'énergie).


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