On va beaucoup parler ces prochains mois d'Albert Camus. L'an prochain, on célébrera le 50e anniversaire de sa disparition et, en 2013, ce sera le centième de sa naissance, à Drean (ex-Mondovi) en Algérie. A Avignon, il est chaque année à l'affiche. Cette année, on y donne La Chute et deux de ses romans théâtralisés : La Peste et l'Etranger. Le roman qui a fait connaître Albert Camus et qui continue à être publié chaque année à des milliers d'exemplaires, L'Etranger, est interprété par deux troupes à Avignon. Deux montages complètement différents, mais qui donnent vraiment envie de relire Camus. La toute jeune compagnie, La Traversée, donne une adaptation qui tranche avec la solitude de Meursault. Plutôt que de mettre en scène la totalité du roman, ils ont choisi des moments décisifs qui mettent littéralement à nu le personnage qui apparaît dans la tenue d'Adam, dépouillé des oripeaux de la normalité des bien-pensants. Face à sa déroute, ils sont plusieurs sur scène à jouer les personnages que frôle le personnage de Camus, muré dans son autisme face au monde qu'il ne comprend pas et qui ne le comprend pas. On notera ainsi que la troupe redonne âme et chair à Marie, ce qui humanise Meursault, même si le cas de cet homme est désespéré. Dans une autre belle interprétation du chef-d'œuvre de Camus, Vincent Barrau a, quant à lui, choisi de restituer l'œuvre dans sa globalité, au plus proche des intentions de l'auteur. Il nous en parle. Comment s'est faite pour vous cette découverte de Camus et particulièrement de L'Etranger ? J'ai eu une sensibilité à ce personnage, avec ce problème de communication, paradoxale pour un comédien, cette incapacité à parler. Ce que j'ai goûté, c'est l'humanisme de Camus, sa façon de traiter tous les personnages, la sensualité face à la nature ; Meursault est dans les sensations. C'est une pièce qui n'est pas définissable, le roman a jailli de Camus en trois mois, il a tout mis de lui-même, des choses très profondes qui se manquent en même temps de philosophie et de politique. Ce n'est pourtant jamais conceptuel ; on sent, quand on joue, que cela vient de très profond, le rapport à la mère, le père, la relation à l'absolu, avec la rédemption de la fin. Alors vous dîtes « pièce », alors que c'est un roman que vous avez adapté. C'est peut-être là toute l'ambivalence créatrice de Camus. Théâtre, roman, philosophie, tout semble mélangé. Qu'en pensez-vous ? Les spécialistes de Camus n'ont pas fini d'en discuter. Pour moi, c'est vrai que ce n'est pas clair, le trouble qu'on ressent avec Meursault, provient aussi de la forme narrative. C'est pour cela que j'ai gardé la structure du roman car si on enlève la forme narrative, on perd une partie de son âme. Comment expliquez-vous que 60 ans après la parution de L'Etranger, sa force est toujours là, au point où dans ce festival d'Avignon, outre La Chute et La Peste, deux versions de L'Etranger sont données ? Il reste actuel, car ce texte n'est pas un étalement de philosophie. Camus se donne à fond et sans fard. Cela touche toujours. Il y a souvent des gens qui, en voyant mon spectacle, découvrent toute l'intensité du texte. Je lui donne de moi et je prends de lui. Ce qui est merveilleux, c'est sa présence, ses silences, c'est formidable à vivre et à partager. Il pense dans le présent. Il voyait les choses telles qu'elles étaient, sans dogme et avec lucidité. Pour se faire aimer, il faut être dans le dogme, et lui n'en voulait pas, il était intègre, juste, comme le nom de sa pièce.