Il est si rare de rencontrer souvent de vieux oranais discuter du temps passé pour faire revivre ces anecdotes croustillantes qui se superposent dans la mémoire collective et rappellent à bien des égards de merveilleux souvenirs qui ont eu pour théâtre des quartiers populaires, des places et esplanades, des lieux-dits transformés par commodité en repères pour mieux se situer par rapport à l'histoire de la ville, la vieille. D'ailleurs, dans une étude consacrée à l'espace urbain et la structure sociale à Oran de 1792 à 1831, date marquant la libération de la cité de l'occupation espagnole par le bey Mohamed El Kébir, Dr Saddek Benkada, historien émérite, rappelle le champ toponymique urbain des lieux-dits à travers l'analyse du processus de formation historique du paysage urbaine. Par exemple, à propos du mot « eddar » (la grande maison). L'identité de « eddar » se manifeste par le nom protecteur du chef de lignage, auquel chacun des membres de la communauté domestique va se référer chaque fois qu'il lui faudra se faire connaître. Ainsi, on trouve à Oran, Dar Mahieddine, Dar Bachtarzi, Dar Boungab. Le mot eddar peut être aussi bien rural qu'urbain. A ce titre, l'on retrouve dans la plaine de M'lata, l'arrière-pays d'Oran, Dar El Lazari, Dar Ould Cadi, Dar Ben Smaïl. Souvent eddar est désigné par une particularité. Comme cette fameuse Dar El Arich (Maison de la treille) où, en 1828, le bey Hassan fit emprisonner Cheikh Mohieddine et son fils Abdelkader, le futur Emir. La Blança (El Blanssa), déformation du mot espagnol Plaza pour désigner le centre de l'ancienne ville de Sidi El Houari. Koudiat El Khiar est situé au sud d'Oran, où fut tué, en 1686, le bey Chaâbane lors d'une bataille qu'il livra à la garnison espagnole. Djebel Haïdour : il indique à l'origine une partie de la montagne du Murdjadjo. Il porte en fait le nom de Sidi Haïdour qui aurait vécu au IIIe siècle de l'Hégire sur cette montagne qui domine la ville. Djebel El Meïda est la partie dorsale de cette montagne séparée du Djebel Haïdour par le col. Maqaâd El Bey rappelle le campement (bivouac) du bey, situé sur le plateau El Meïda d'où le bey Mohamed El Kébir ripostait avec son artillerie contre le siège espagnol du fort de Santa Cruz (Bordj Murdjadjo). Les forts de garde et d'observation espagnols ont aussi leur nom, comme Bordj El Marsa (fort de Mers El Kébir), le fort de San Ferdinand était appelé Bordj Ras El Aïn. A Oran, il y a aussi des lieux magiques qu'on découvre à présent en quittant le « Vieil Oran », une cité pittoresque. Ainsi, à partir de la promenade de Letang, très boisée, on est retenu par la grâce des divers tableaux. Ici, la pêcherie et l'ancienne amirauté ferment l'extrémité ouest du port. Là, un bout de quai et des navires. Tout près, au dessus d'un pin parasol, c'est l'horizon et la mer bleue soutenant de blanches embarcations, une image toujours attrayante de l'invitation au voyage caressant les rêves des jeunes, tentés par l'aventure de la dangereuse traversée vers l'autre rive de la Méditerranée. Deux itinéraires conviennent le visiteur à abandonner ce lieu enchanteur : en suivant la rampe du Château Neuf, il sera surpris de voir à la pointe haute du rempart, s'avançant comme l'éperon d'un navire, le Pavillon de la Favorite. Un joli nom et de lointains souvenirs, puisque cette belle demeure fut édifiée pour la bien aimée du dernier bey d'Oran, le bey Hassan, avant l'entrée du corps expéditionnaire colonial français, en 1832, dans la cité. A l'opposé, le square du Théâtre de verdure est un jardin qui abrite actuellement des concerts de musique. Il est le point de départ d'une grande bretelle de la voie littorale bordée de tours : le boulevard du Front de mer. Car, Oran qui, née sur le versant occidental d'un ravin (Ras El Aïn), s'est étendue au cours du XIXe siècle pour déborder sur un plateau. Le site peut être décomposé en trois parties qui sont le massif forestier du Murdjadjo, le ravin de Ras El Aïn où coulaient jadis, à ciel ouvert, les eaux limpides de Oued Er R'hi (Rivière des Moulins), et enfin le plateau qui s'étend jusqu'à l'est de la ville. Ce site a constitué le premier noyau urbain, choisi par ses habitants au début du Xe siècle pour la présence du cours d'eau qui arrosait de luxuriants jardins, faisait tournait les moulins à blé et alimentait la population. La ville, dit-on, était défendue par quelques forts, tels Ras El Ksar, le Rozalcasar espagnol, transformé par les garnisons du cardinal Ximenes en citadelle (Château Neuf), appelé maintenant Palais du bey Mohamed El Kébir, le libérateur d'Oran de l'occupation espagnole en 1792. Les travaux avaient été multipliés vers l'est où s'élevaient sur le plateau même, les murs reliant le palais aux forts Saint'André et San- Philippe. Et puis l'on se retrouve sur la vaste place d'Armes débaptisée Place du 1er Novembre 1954, bordée par le majestueux Théâtre régional d'Oran et l'Hôtel de ville, à l'entrée duquel trônent deux superbes lions. Notre visiteur prend une halte devant Derb Lihoud, l'ex-quartier juif. Ce quartier a constitué le premier conglomérat d'habitations à l'époque où le bey Mohamed El Kébir lança les travaux d'urbanisme hors de la ville. La promenade prendra fin sur ce site chargé histoire, car, Oran, à l'orée du XIXe siècle sera le théâtre de célèbres batailles dirigées par le père de celui qui deviendra l'Emir Abdelkader, en reprenant le flambeau de la résistance pendant 17 ans contre les troupes d'occupation.