Photo : S. Zoheir Par Wafia Sifouane Dans un quartier où la culture et les loisirs sont des activités secondaires, voire inexistantes, une association est née pour régénérer ce secteur oublié. SOS Bab El Oued porte non seulement le nom du quartier qui l'abrite mais dit haut et fort sa vocation à travers les trois lettres universellement connues. Siégeant à quelques mètres du collège Abdelkader Loucale non loin du marché des Trois Horloges, l'association a trouvé refuge dans un petit local constitué de trois étages. Ils sont des dizaines de jeunes à fréquenter ce local. Ils sont musiciens, peintres, chanteurs ou simples amateurs. Ils se retrouvent souvent au siège de l'association où ils accomplissent les tâches qui leur sont confiées. Nasssima, Medina, Youcef, Nacer et Amine, qui ont presque tous le même âge, font partie de ces jeunes. Une mission pour chacun On est jeudi. C'est le jour de la réunion hebdomadaire qui permet de faire le bilan des activités de la semaine écoulée et de dresser celles de la semaine à venir. Autour d'une grande table, les membres prennent place face au président de l'association, Nacer Meghnine, et de son épouse qui est la vice-présidente. L'ambiance est intimiste ; tel un grand frère, le président prend des nouvelles de ses protégés, les interroge sur leurs études et leur travail. Il récapitule le programme puis départage les tâches. Amine donnera des cours de soutien en mathématique aux enfants, deux fois par semaine. Quant à Medina, elle s'occupera de la séance des travaux manuels, «un véritable plaisir», se réjouit-elle. Nassima, vocaliste du groupe de rock River Gate qui répète au sein de l'association, a l'air préoccupée. Rien n'échappe à Nacer. Remarquant son air absent, il se penche sur son problème. «Nassima, ne t'inquiète pas pour le groupe, tout est réglé, le batteur fait toujours partie de ton groupe ; quant au nouveau, je vais lui confier une autre tâche», dira-t-il. Nassima respire enfin. En fait, le batteur de son groupe a enregistré plusieurs absences ; furieux, le président l'a renvoyé du groupe et l'a vite remplacé par un nouveau. Voyant son groupe sombrer et se dissoudre après une année de préparatifs, elle a eu peur de tout refaire. Heureusement que le président est revenu sur sa décision, bien sûr, après avoir fait juré au batteur d'être fidèle à son engagement. Bilan de la caravane Deuxième partie de la réunion, le président de l'association interroge l'un des membres sur les diaporamas. «Le diaporama de Timimoun, il est prêt ?» «Je travaille dessus», le rassure celui-ci. Le ton sérieux du chef ne l'empêchera pas de rigoler. «C'est un sale boulot», jette-t-il pour détendre l'atmosphère. La salle éclate de rire. C'est après qu'il a passé vingt jours au Sud, grâce à une caravane artistique organisée par l'association que le président demande les fruits du séjour. «Il faut tout archiver, les photographies, les films et, bien sûr, un diaporama». Ce voyage à Timimoun est le 4ème acte de la caravane, après avoir sillonné Paris, Constantine et Béjaïa à bord d'un autocar. «Nous nous sommes beaucoup amusés, nous avons monté une pièce de théâtre, réalisé un court métrage et animé des concerts, le tout en partenariat avec d'autre jeunes», nous déclare Nassima en ajoutant : «Rien ne vaut ces moments de partage.» Nacer interrogera ses jeunes : «Avez-vous gardé le contact avec les autres jeunes ?» Toute la troupe répond en chœur oui. «Surtout sur MSN», ajoute Mehdi. Les souvenirs refont vite surface, les jeunes s'échangent les anecdotes, regardent des photographies en riant à gorge déployée. «Tu te rappelle cet instant. On était morts de fatigue», dira Nassima à son ami en observant une photo. Mehdi joue très bien son rôle de jeune turbulent qui fait le clown. Cela lui va comme un gant. Tous ses amis l'adorent. Ce dernier a posé comme mannequin sur des photos, ses amis lui lancent quelques vannes mais il prend tout à la légère. Les plus calmes sont sans doute les trois musiciens venus de Boufarik à cause du manque d'espace. Chaque semaine, ils font un long trajet pour venir au siège répéter, se perfectionner et, si possible, faire quelques scènes. «A Boufarik il n'y a pas d'espaces pour les jeunes, surtout pour faire de la musique rock», nous déclare l'un d'entre eux. Nacer Meghnine ajoutera par la suite : «L'association compte plus de cinquante membres actifs. La majorité est native du quartier mais d'autres sont des étudiants d'autres communes d'Alger. Le système du bouche-à-oreille fonctionne à merveille.» Fier de ses protégés, il enchaîne : «A nos débuts, l'association comptait plusieurs jeunes, c'était ouvert à tout le monde mais cela nous a causé beaucoup de problèmes. Donc, nous avons décidé de limiter les inscriptions, seulement pour les étudiants», conclura-t-il. Partager sa passion… mode d'emploi La réunion est levée. Nassima et ses musiciens se dépêchent d'envahir la salle de répétition. Il s'agit d'un petit sous-sol insonorisé où sont rangés les instruments et la sonorisation. «Ici, il n'y a pas de réseau, si tu veux recevoir tes appels, pose ton téléphone devant la porte», nous avertit un jeune. Il prend sa guitare électrique, la branche et se met à taquiner les cordes. Le morceau est tout de suite reconnu. Il joue du coldplay. Les jeunes se mettent à fredonner les paroles avant de s'y attaquer. Au premier étage, deux filles essayent de ranger après le passage des petits enfants. Quant au président, il discute avec le gardien, un homme âgé, l'air sévère mais très fiable aussi. Le temps passe très vite en compagnie des jeunes de l'association qui, entre chaque titre, discutent de tout et de rien. Blagues, études et surtout commérages. Sur les coups de 17h, l'ambiance ralentit avec le départ des filles, les garçons, en revanche, ont toute la soirée devant eux. Au menu de ce soir, un concert de jazz à la salle El Mouggar. «J'aime bien découvrir d'autres sonorités et m'en imprégner», nous lance un guitariste. Au départ des jeunes, le silence règne en maître. Seuls les dessins accrochés aux murs et les instruments éparpillés laissent deviner le passage des jeunes. La porte est fermée et le rideau est baissé, avec la promesse d'accueillir les jeunes le lendemain. Le pari de faire revivre la culture dans ce quartier populaire qui n'est animé que par l'activité commerciale, formelle et informelle, est relevé, et il a des chances d'être réussi. De jour en jour, l'association abrite de nouveaux talents, des jeunes passionnés qui font tout pour apporter des touches de gaiété et créer des îlots d'animation artistique dans le quartier. SOS Bab El Oued, à travers des mini-actions, semble bien déterminée à faire valoir son existence et cela en se dévouant à ses protégés qui lui sont reconnaissants et le lui rendent bien et au quartier qui les hébergent.