Il est vrai que le nombre de manifestants était disproportionné par rapport à celui des policiers en tenue et en civil, mais il est vrai aussi que ces manifestations (Alger, Oran et ailleurs) constituent un pas décisif que vient de franchir allègrement la société civile qui était tétanisée par les événements relativement récents ou elle a payé un lourd tribut en hommes et femmes de grande valeur, par un état d'urgence, par un système politique inique, établi sur la fraude et s'autofinançant par les dividendes de la rente et par une désinformation outrancière distillée par notamment des médias lourds monopolisés par le pouvoir. Dans un rapport de force disproportionnée entre un système absolutiste, fort non seulement de son potentiel répressif mais aussi de sa propagande machiavélique, et des élites de la société civile, éparses et embryonnaires, fortes de la justesse de leur cause, le combat est à armes inégales mais l'issue dépendra surtout de la jonction de ces élites avec les pans de la société aspirant à plus de liberté, plus de solidarité et plus de justice. La presse, privée faut-il le souligner, relativement libre, ne constitue aucunement un «cadeau» fait par le système. Si, aujourd'hui, l'expression écrite est, soulignons-le, relativement libre, c'est grâce à un Octobre 88 où là aussi la société civile a été spoliée des fruits de son combat. Octobre 88 fut aussi le fruit d'une conjoncture particulière dont notamment la chute du Mur de Berlin, conséquence indirecte de la victoire des forces démocratiques, mais aussi coïncidant avec le début de la globalisation. La société civile, tétanisée pendant presque deux décennies, reprend l'initiative et ceci constitue en soi-même l'événement à la faveur d'une conjoncture internationale marquée par deux facteurs déterminants : – une globalisation de l'information, – un cyberespace avec des réseaux sociaux où la communication et l'information ne peuvent relativement pas être censurées, Les gesticulations du JT de 20h00 de ce samedi 12 de la téléspeakerine de la télévision «publique» algérienne étaient pathétiques, mensongères et offensantes. Les citoyens regardaient ailleurs les infos sur BBCW, France 24, El Djazeera, etc. La TV algérienne est réduite à n'être regardée que pour les prévisions météorologiques ! La globalisation de l'information, multivectorielle et multilinguistique, permet à l'opinion publique de constater le décalage entre la réalité rapportée professionnellement et la désinformation distillée par le système. Il existe, aujourd'hui, des espaces pour marcher sans autorisation. Ces espaces, dans la toile virtuelle, sont ceux qui sont investis par les nouvelles générations qui intègrent des réseaux sociaux ou des forums d'expression libre, mais aussi d'organisation. Rien ne peut arrêter le progrès. Les moyens de lutte pour réaliser des avancées démocratiques sont disponibles en tout lieu et à tout moment. Ce sont ces deux facteurs qui ont permis de détrôner Ben Ali et Moubarak. La communication, l'information et la transparence constituent véritablement des moyens pour réaliser le changement démocratique. L'iniquité et la corruption systémiques ainsi que les effets de la «phagocytisation» par le système de pans vulnérables de la société, y compris de sa sphère intellectuelle ont créé des conditions de lutte très particulières. Le système archaïque, emmuré par des structures circonstancielles bâties sur la prédation et sur la rapine, est le problème. Il est intégralement coupable de la non-émergence de notre nation et de son intégration dans le gotha mondial des nations développées. Il est incapable de réaliser l'émancipation de notre peuple. Fatalement, miné par ses composantes hétéroclites claniques et leurs appétits prédateurs, il ne se maintient que grâce à une manne exceptionnelle de pétrodollars. A chaque fois qu'il se trouve acculé, il ne cède qu'en élargissant ses cercles de prédation pour phagocyter une intelligentsia à laquelle il n'offre d'autres perspectives, en cas de résistance, que sa paupérisation. La configuration sociale se caractérise par une érosion des classes moyennes. L'abysse séparant une majorité d'Algériens qui peinent à survivre et une minorité d'Algériens accumulant malhonnêtement des milliards et des milliards est une réalité que personne ne peut contester. La corruption est institutionnalisée. C'est un constat admis par tous les Algériens. Ce n'est pas un phénomène de société. C'est une émanation du système politique en place. L'intérêt suprême de la nation se trouve compromis par ce système politique. Les institutions, censées servir la nation, ne servent que la pérennité et les intérêts étroits des groupes et des clans gravitant dans et autour du système. Le temps est venu de faire une évaluation rétrospective et prospective de cette première République qui s'est dangereusement et définitivement écartée de l'esprit des préceptes de Novembre 1954. Cinquante ans après l'indépendance, pacifiquement, il faut élaborer une transition vers une deuxième République. La mise en place d'une seconde République est une urgence. Pour cela, il faut une véritable révolution. Cette révolution doit être pacifique. Il faut que ce système s'effondre pacifiquement. Cette deuxième République, ressourcée aux valeurs de Novembre 1954, devra rompre avec un système source de périls pour la nation et son unité. Une Assemblée constituante et une nouvelle Constitution sont des nécessités pour préserver les intérêts stratégiques et l'avenir de notre pays. De toute évidence, les systèmes qui naissent ou usent de la violence ne peuvent pas être justes et émancipateurs pour leurs peuples. La baïonnette et le bâillon doivent laisser la place à la sagesse intelligente et à l'expression libre. Il faut espérer que cette transition vers une deuxième République, où tous les Algériens, sans aucune exclusion, seront des citoyens libres et égaux en droits et en devoirs dans le sens absolu du terme, se mettra en place. Les nouvelles révolutions, dans les conditions actuelles, peuvent être pacifiques. Des exemples multiples de nations s'émancipant pacifiquement sont là pour nous conforter dans notre thèse. Les circonstances diffèrent mais le substrat est le même. Il émane de la volonté de peuples à s'émanciper et à intégrer la modernité. Modernité rime avec démocratie. Une société libre, épanouie, solidaire et juste ne peut être décrétée. Elle doit être l'aboutissement d'un processus démocratique. La maturation de ce processus n'est pas linéaire. Des conditions endogènes et/ou exogènes peuvent accélérer ce processus. Il est temps que tous les patriotes se mettent en mouvement, pacifiquement, et occupent tous les espaces, de communication et d'action, pour exiger et réaliser le changement. Le changement et la démocratie sont à notre portée, agissons pacifiquement et ensemble pour les réaliser. Vive l'Algérie Libre et Démocratique,