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Il faut sortir définitivement du système politique qui ne se réforme pas de l'intérieur ou de l'extérieur
Publié dans El Watan le 06 - 03 - 2011

La CNCD est cohérente, active, généreuse, fortement décidée à faire son devoir, en marchant tous les samedis pour crier son indignation contre un pouvoir qui développe tous les abus dont le peuple souffre. Elle poursuivra les marches avec détermination, vigilance et sérénité, une pensée logique et une expression claire. Aucun des membres de la CNCD n'est de trop, et ceux qui veulent marcher avec nous sont les bienvenus, à condition qu'ils ne se mettent pas en porte-à-faux avec les règles du jeu démocratique, à savoir le changement de régime et non le changement dans le régime. Les marches populaires et pacifiques appartiennent au peuple algérien qui veut être maître de son destin, et particulièrement à la jeunesse qui est une espérance pour l'avenir ou une explosion à venir.
Elles visent la rupture radicale avec le système politique en place, qui doit céder la place à la démocratie, la liberté, la justice, le pluralisme politique, syndical et culturel, la justice sociale et les droits de l'homme. L'état d'urgence qui dure depuis 19 ans, alors qu'à part l'Egypte où il a 30 ans d'existence, qui est réduit dans des situations exceptionnelles à quelques jours ou quelques semaines dans les pays totalitaires, constitue une régression politique, sociale et culturelle qui a dangereusement hypothéqué les libertés dans notre pays. La contradiction réside dans le fait que le terrorisme est déclaré «vaincu, ou résiduel, réduit à quelques poches», alors que l'état d'urgence, bien que levé, est maintenu pour les impératifs de la lutte antiterroriste.
Il faut voir la réalité de l'état d'urgence, avec le regard de ceux qui le vivent quotidiennement et subissent ses méfaits. Mettre fin à l'état d'urgence qui est devenu état de siège, voilà une urgence absolue pour avoir le droit de marcher et de manifester de manière pacifique, sans les violences de la police qui sont incompréhensibles, inacceptables et intolérables. Empêcher les marches pacifiques après la levée de l'état d'urgence est un abus de pouvoir, le fait du prince. On vous attache les pieds et on vous dit marchez.
Télévision et radio financées par tous les Algériens ont renoncé à leur identité de service public, pour devenir le monopole du pouvoir, avec la pensée unique et la parole unique. Il faut une redéfinition des missions, de l'identité et du fonctionnement de la télévision, qui ne saurait être autre chose que celle de tous les Algériens et de toutes les Algériennes.
Henry de Jouvenel, ambassadeur, supposait dans une revue intitulée La revue des vivants, un dialogue entre un néophyte de la politique et un vétéran. Et le néophyte demandait : «Mais qu'est-ce que l'ordre ?» Et le vétéran lui répondait : «Quand tu es monté sur le dos de quelqu'un et que tu le fais marcher, c'est l'ordre. Mais quand celui qui est dessous veut être dessus, c'est le désordre.» L'Algérie veut l'ordre et la paix, à condition que ce ne soit pas l'ordre des prisons ni la paix des cimetières. Dans sa contribution au journal El Watan du 26 février 2011, Rachid Boudjedra a déclaré : «Je ne peux pas marcher avec Ali Yahia Abdennour qui était pour San Egidio et a défendu le GIA. » Il a été militant de la ligue officielle des droits de l'homme secrétée par le pouvoir en avril 1987, pour lui servir de courroie de transmission, d'instrument de propagande, de soupape de sécurité pour masquer les violations des droits de l'homme. Ces derniers ne sont jamais dans le pouvoir mais face au pouvoir, c'est toujours l'homme debout et non à genoux ou à plat ventre face à l'Etat.
Dans son livre Le FIS de la haine, Rachid Boudjedra qui a gardé le vieux réflexe stalinien des détenteurs de la vérité absolue, qualifie les militants du FIS : «de sous-hommes, de rats enragés et pestiférés, de débiles attardés.» On ne retrouve ce langage que chez El Gueddafi. La haine, l'exclusion et l'intolérance, le dérapage de la pensée basé sur l'intolérance qui n'est pas une opinion, mais un crime, se sont emparés de son cœur avant de pervertir son esprit.
Les révolutions tunisienne et égyptienne ont apporté un vent d'espoir dans le monde arabe.
La situation algérienne est comparable, mais aussi différente.
L'accélération de l'histoire est, pour tous les dictateurs, un danger de chaque moment. Les régimes arabes sont tous illégitimes, basés sur l'oppression, la répression, l'injustice, la corruption, la fraude électorale. Tous d'essence totalitaire, hyper centralisés, ils bloquent l'alternance politique qui doit mettre en place la démocratie, la liberté, la justice, la justice sociale, les droits de l'homme. Ils ont confisqué à leur profit exclusif l'indépendance de leur pays. Ils traversent l'épreuve la plus difficile depuis leur prise de pouvoir par des coups d'Etat par les armes ou par les urnes, et certains indices indiquent qu'ils sont en phase finale, en fin de règne. La coupe est pleine, leurs peuples ne peuvent aller plus loin dans la soumission et la démission. Ce qui les unit, c'est le rejet absolu de la dictature qui est une preuve de leur maturité politique. Leurs jeunesses ne peuvent accepter un avenir qui prolongerait le passé. S'agit-il d'une révolution en Tunisie et en Egypte ou simplement de la fin d'une dictature qui a imposé obéissance et silence, bouches et paupières cousues, d'un changement dans le régime pour accéder à la démocratie, prendre le pouvoir ou y participer, pour éliminer ceux qui ont accepté la dictature ou participé avec elle ?
Ce qui diffère en Algérie, c'est la guerre de Libération nationale avec un million et demi de morts, c'est octobre 1988 avec 500 morts, c'est la décennie 1990 avec deux cent mille morts, c'est le printemps noir de 2001 en Kabylie avec 126 morts et des centaines de handicapés à vie.
Les trois composantes du pouvoir en Algérie sont le pétrole, l'institution militaire avec le DRS, le président de la République. Tout dans l'Algérie s'ordonne autour de l'institution militaire qui a la réalité du pouvoir et il n'y a pas d'équilibre ou de contrepoids à sa puissance. Tous les chefs d'Etat sont sortis de ses rangs ou choisis par elle. Le principe est que le président de la République, choisi par les décisions de l'armée, est «élu» par un vote de confirmation, par des élections truquées. Le scrutin passe au mieux pour une formalité, au pire pour une force électorale. Il est placé durant son mandat sous leur haute surveillance afin qu'il ne dérive pas de la mission qu'ils lui ont confiée.
Quels sont les enjeux majeurs pour l'Algérie, et quels sont les espaces de liberté et de progrès démocratique qui peuvent s'ouvrir à elle ?
Ce que veut le peuple algérien, ce n'est pas réformer le système politique de l'intérieur ou du dehors, mais sortir de ce système qui a engendré immobilisme politique, inefficacité économique et inégalités sociales.
1-Changement du système politique de l'intérieur. C'est le changement dans la continuité
Le système politique a toujours cherché à se consolider et à se renforcer au détriment du peuple. Le président s'est arrogé par une révision de la Constitution des pouvoirs exceptionnels pour une durée illimitée. En 12 ans de règne, ce pouvoir quasi absolu, totalitaire, s'est refermé sur lui-même, privilégie les uns, marginalise les autres. Il refuse toute initiative ne venant pas de lui-même, ou qui lui échappe et impose ses solutions. Comme une pyramide inversée, le pouvoir en perte de prestige, d'influence et d'autorité, repose sur la tête, marche sur la tête. Le président veut garder le pouvoir par les moyens de la dictature. Un pouvoir qui n'est pas fondé sur la légitimité qui s'obtient par des élections libres, demeure figé et fermé à toute évolution. On ne peut rien attendre du pouvoir pour débloquer la situation, puisqu'il est lui-même le problème. L'argent roi où tout s'achète menace le tissu social national car il constitue un déni de justice, et une grave atteinte à l'éthique. En vertu de quel droit des clans du pouvoir issus d'élections truquées peuvent-ils régenter le pays et s'imposer au peuple ? Ils gèrent les affaires du pays sans oublier les leurs, quand ils ne confondent pas les affaires de l'Etat et les leurs. La misère ça fait quoi au gouvernement ? Que fait-il devant la détresse des pauvres, des chômeurs, des retraités ? Lui arrive-t-il de croiser un SDF ? Est-ce que la pauvreté ne le révolte pas ? Que toutes les Algériennes désespérées qui n'écoutent pas ce que disent les ministres, mais regardent ce qu'ils font, lui jettent la première pierre. Devant le Conseil des droits de l'homme de l'ONU à Genève, Mourad Medelci, ministre des Affaires étrangères, a déclaré que «la présidence à vie pour Bouteflika est une blague.»
Néophyte en politique étrangère où clarté et constance sont indispensables, une chance lui a été laissée de faire ses preuves avant de le juger. Au-delà du savoir-faire, il y a le faire savoir qui est une question délicate et complexe. La politique étrangère de l'Algérie qui accumule confusion, cafouillage, improvisation, discrédit, perte d'influence et échecs cuisants, met en cause la compétence du ministre et stigmatise son manque d'expérience. Le Président a-t-il la capacité d'exercer pleinement sa fonction ? Est-il prêt à quitter le pouvoir, parce qu'il ne peut rien contre la biologie ? Là est peut-être la solution ! Fidel Castro a déclaré : «Je trahirai ma conscience si j'occupais une responsabilité qui requiert mobilité et dévouement total, ce que je ne suis physiquement pas en condition de fournir.» Il a renoncé à exercer le pouvoir parce qu'il n'en a plus les moyens physiques.
2/ Changer le système politique du dehors
Les dinosaures du FLN et des anciens responsables au sommet de l'Etat pensent disposer de l'autorité et de l'expérience nécessaire pour assurer la relève qui laissera la place à l'ouverture et à la diversité. Ils jettent un regard lucide sur la nature dictatoriale et régressive du régime, mais croient qu'une attitude de soutien au pouvoir peut clarifier et articuler le changement. Ils sont confrontés à une contradiction. Comment être pour le changement, lorsqu'on profite soi-même des inégalités que l'on combat ?
Peuvent-ils sincèrement vouloir le changement qui les amènera à remettre en cause de manière radicale leur mode de vie et leurs privilèges. Le boulevard politique qu'ils voient s'ouvrir devant eux ne va-t-il pas se refermer brutalement. L'objectif ce n'est pas la conquête du pouvoir par quelques-uns et pour quelques-uns, mais la mobilisation des Algériens et des Algériennes, particulièrement les deux générations de l'indépendance, au service de l'intérêt général.

3/ Le peuple algérien revendique une rupture radicale et définitive avec le système politique en place, depuis bientôt 50 ans
Ce que veut le peuple algérien, ce n'est pas réformer le système de l'intérieur ou de l'extérieur, mais sortir définitivement du système. L'Algérie, qui a connu après une longue nuit coloniale, une longue dictature, va s'acheminer dans un proche avenir vers une démocratie apaisée. Les Algériens et les Algériennes, dont les réactions de rejet du système politique sont positives, doivent trouver en eux-mêmes et elles-mêmes, les capacités d'offrir à l'Algérie, avec une très grande ouverture d'esprit et la somme de sincérité, d'idéalisme et d'intégrité qui les anime, une démocratie politique, économique, sociale et culturelle. La démocratie, qui est la décolonisation de l'intérieur, est par définition le gouvernement par le peuple, le système politique où le peuple décide. Le drame que vit le peuple algérien vient du pouvoir qui ne permet pas l'alternance qui est le droit souverain du peuple de choisir ses représentants au niveau de toutes les institutions élues de l'Etat, par des élections libres, honnêtes, transparentes. Cela ne s'est pas réalisé depuis l'indépendance du pays et c'est toujours d'actualité. Le peuple algérien qui demeure la seule source du pouvoir est majeur, n'a pas besoin de tuteurs pour le guider, mais de leaders politiques pour éclairer le chemin à suivre. L'Algérien et l'Algérienne doivent cesser d'être des sujets, et accéder à la citoyenneté. Les droits pour tous et pour chacun et chacune, il faut les inscrire dans les faits de manière tranquille, mais résolue et déterminée. Le vrai courage politique exige le rassemblement et la mobilisation des forces capables de créer les conditions du changement démocratique. La liberté est un mot qui ne fait pas partie de la langue de bois dont se chauffe le système politique.
La jeunesse est oubliée, méprisée, déclassée, alors qu'elle est la seule capable par son énergie et sa détermination de se mobiliser autour des valeurs de démocratie, de liberté, de justice et de justice sociale. Sa politisation est plus réfléchie, plus profonde, plus individuelle, avec une attraction pour la politique au quotidien. Elle est le moteur de la société, est consciente de ses obligations et de ses droits, de ses légitimes revendications. Pendant que certains vivent bien, toute une jeunesse anxieuse se presse aux portes de la vie adulte et n'aperçoit aucune perspective, on dirait qu'il y a trop de tout, trop de professeurs, trop d'ingénieurs, trop d'étudiants, trop d'élèves, trop d'Algériens et d'Algériennes.
La priorité pour les jeunes est l'insertion sociale. Ils placent l'emploi et le logement en tête de leurs préoccupations. Il existe chez eux une réelle souffrance a peine visible qui est très grave et très profonde, parce qu'elle touche l'essentiel, l'espérance. C'est vers l'objectif de la réalisation de la démocratie qu'il faut orienter leur action, parce qu'il s'agit d'abord de leur combat, et des chances raisonnables de le gagner. Il faut passer le pouvoir, tout le pouvoir, aux deux générations de l'indépendance nationale. Tous les regards doivent être tournés vers un horizon d'espoir, où personne ne baissera la tête, où personne ne pliera le genou, où chaque Algérien, chaque Algérienne, à sa place, agissant selon sa propre nature, son propre tempérament, sa propre responsabilité, se mettra avec la sûre instruction de son cœur et le regard de son intelligence, au service de la démocratie qui demeure, malgré l'ampleur de la tâche, source de force, de confiance et de satisfaction.
Alger, le 4.03.2011


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