Dr Mohamed Chafik Mesbah, ancien officier supérieur des services de renseignements et diplômé d'Etat en sciences politiques, récidive dans l'édition du mardi 15 mars 2011 d'El Watan, et c'est tout à son honneur de tenter d'éclairer les lanternes de ceux qui ne se retrouvent plus dans cet imbroglio politico-financier interne sur la gestion de la rente pétrolière et les événements de la sphère nord-africaine et moyen-orientale que certains polémistes nordistes qualifient ironiquement de «Printemps arabe»(1) ou de «Révolution arabe»… Il est vrai que toute problématique de recherche nécessite la pose d'hypothèses à la suite des questionnements, eux-mêmes résultats d'enquêtes composées de collectes de données scientifiques et empiriques qui ne doivent aucunement être négligées ou rejetées. Les chercheurs de toutes les universités du monde vous le confirmeront, et cela relève même de l'éthique de la recherche scientifique structurée en laboratoires… Il est vrai que l'opinion publique algérienne mériterait d'être plus «éclairée» par des spécialistes de l'information et du renseignement, sous réserve de ne pas livrer des secrets qui risquent de la déstabiliser momentanément. Faire de la rétention systématique de l'information, elle-même alimentée par des renseignements jugés sensibles à cause d'une symptomatologie d'espionnite et de paranoïa chez certains responsables, risque, à court terme, de démobiliser cette opinion publique qui perdrait ses capacités à restructurer le réseau associatif qui alimente, à son tour, les partis politiques et assure le lien social dans tout système démocratique naissant comme le nôtre, même si son développement ne doit pas se fixer au stade de la deuxième enfance et risquer la catatonie pathologique. Aussi, ma modeste contribution se veut être une participation au débat que suscite le Dr Chafik Mesbah sur la problématique et la restructuration des services de sécurité en Algérie. L'opinion publique algérienne reste mal informée sur la composition et le rôle des services secrets en Algérie et dans le monde. Le premier amalgame qui est fait est de qualifier les services de renseignements de «police politique» au service d'une dictature temporelle, avec toute la désinformation que cela entraîne au niveau de l'opinion. La seconde observation à faire est que l'histoire du renseignement dans le monde confirme que ce dernier n'a jamais été la chasse gardée des armées traditionnelles structurées en général au niveau de ministères de la Défense. Les compétences ne furent aucunement monopolisées par les militaires à l'origine, même si ces dernières intégrèrent plus tard le domaine des MDN. La science du renseignement a toujours été multidisciplinaire et animée par des géographes, des marins, des explorateurs, des botanistes, des ethnologues, des missionnaires religieux au début de la colonisation. Avec l'évolution des techniques, cette science de la collecte des infos/renseignements se complique et est obligée d'utiliser les statistiques, probabilités, la photographie et toute une panoplie de procédés physicochimiques. Avec les guerres mondiales se mobilisent les linguistes, les mathématiciens, les psychosociologues et les planificateurs de projets stratégiques (Pralinn, Zopp, Gcp), pour structurer les liaisons, coder les messages, assurer le moral et l'approvisionnement des troupes au combat et, enfin, restructurer les zones détruites par la guerre. Les ethnolinguistes et socio-anthropologues reviennent pour diviser l'ennemi sur la base des antagonismes tribaux (utilisation de codes de transmission par des Amérindiens mobilisés dans certaines unités US pour leurrer l'ennemi japonais pendant la guerre du pacifique, expériences de l'ethnologue français, Jean Servier, pendant la guerre d'Algérie dans des maquis des environs d'El Asnam et des Aurès…) La littérature participe à la médiatisation de l'espionnage et du contre-espionnage pendant la guerre froide (ex. John Le Carré), même si elle grignote aux historiens, sous l'alibi de la fiction des scénarios que ces derniers tentent d'arracher à certains témoins sur leur lit de mort. Le journalisme d'investigation prend le relais dans la chasse au «renseignement» jusqu'à en arriver parfois à de véritables escroqueries, avec, comme mobile, l'argent ou des campagnes d'intoxication et de désinformation, comme ces reportages de téléphones portables, scènes floues, répétées et à angles préréglés avec fonds sonores indéterminés et stressants sur la même route de Benghazi, refilmées par des chaînes sur grand écran et diffusées tous les quarts d'heure avec, en apothéose, la caution du «philosophe» détonant, Bernard Henri Lévy, appelant les coalisés à une intervention terrestre en Cyrénaïque, ce qui devrait faire retourner, par deux fois dans leurs tombes, Goebbels et le renard du désert, le feld-maréchal Erwin Rommel ! Dans tous les pays du monde, les RG sont restés une base de données aléatoires inhérente aux polices nationales. Les services de renseignements des grandes et moins grandes puissances les ont utilisés même du temps des colonies. Les premiers fichiers ont été modélisés par la Gestapo et Otto Heydrich. La même méthodologie scientifique de collecte des données est utilisée par ces services, ou devraient l'être, par des compétences avérées où la validité, la fiabilité et l'opportunité de l'information restent à vérifier. Je ne suis pas un spécialiste en la matière, malgré ma formation en méthodologie de recherche, mais je doute fortement que nos services de renseignements (DRS) se suffisent des fiches de police, d'où l'importance du contre-renseignement dans tous les pays du monde. Il est vrai aussi que contrairement à certains pays, l'Algérie n'a pratiquement pas écrit l'histoire de ses services secrets, même s'il a existé, il y a des décennies, un début de littérature d'espionnage de fiction (Alfa R 13 de Maâchou Blidi, le héros Mourad Saber SM15 de Youcef Khader…). Nos historiens continuent à préférer la Fonction publique et ses avantages technocratiques, frayant avec des départements et facultés en tant que «commissaires politiques», mais qui ne relèvent aucunement de leurs compétences et diplômes. Des départements de littérature qui en oublient jusqu'à l'existence d'écrivains algériens expatriés ou éditant à l'étranger, à l'image des regrettés Mohamed Arkoun et Hamid Skif déléguant leurs prérogatives originelles à des commissions de lecture en plein désert culturel. Pourtant, les services secrets algériens ont eu une aura certaine dans le monde et restent à l'image de la révolution. Le MALG n'est pas le seul dépositaire de ces services, même s'il représente sa structuration technique déterminante. Les embryons des premiers partis politiques (Etoile nord-africaine, PPA-MTLD, MNA, OS puis FLN) ont cultivé le secret du militantisme par le sang. Les cellules du FLN n'ont activé que grâce au khayt (le lien avec mot de passe). Le génie populaire algérien avait précédé Yahoo et Google. Le découpage sécuritaire de l'OPA du FLN (système pyramidal) pendant la bataille d'Alger, en 1957, avait étonné et fatigué les stratèges français. Multiples organisations, même françaises, s'en inspireront plus tard (Black Panthers, FNL du Vietcong, FLN Corse, FLN Bretagne, FLN Kanaque). Il serait malheureusement à craindre que notre réticence à écrire et à intégrer les structures de la civilisation écrite fasse de nous d'éternels meddahas oraux et ponctuels. «Les écrits restent, mais les paroles s'ont vont». Déjà que les historiens de l'autre rive ont presque terminé d'écrire notre histoire, même s'il est à signaler un travail collectif et objectif entre Algériens et Français (Mohamed Harbi et Benjamin Stora)(2) ; je ne citerai pas les historiens et littérateurs de la deuxième génération d'immigrés, tant la liste est longue mais en rupture de… société originelle. On ne peut occulter la présomption qu'une crise politique, à mon avis, secoue les services secrets algériens sur les objectifs à long terme, eux qui sont habitués, de par leurs formations, à activer dans le secret». «Ils sont appelés à protéger la société, non à la contrôler…», comme l'affirme Dr Mesbah. Le message est clair en espérant que les prérogatives avec les autres polices, entre autres «politiques», soient définies.L'opinion publique gagnerait en maturité si elle savait que les grandes puissances qui sont aussi nos partenaires économiques et culturels, par mass media interposés, se livrent un combat acharné et permanent dans l'espionnage militaro-industriel et culturel. Il est dans la norme que même la CIA, FSB (ex-KGB), Intelligence Service, DGSE ne peuvent intercepter tous les agents doubles communément appelés «taupes» ; ils ont admis que les taupes ne pouvaient être toutes repérées, malgré l'efficacité de leurs moyens et ressources humaines ; il s'agit d'en limiter la prolifération.Il serait puéril d'affirmer que l'Algérie n'a pas de taupes au niveau de ses structures, puéril ou criminel d'appeler à une dissolution des services de renseignements.
H. M-S. : Auteur du livre Le Sanglier d'Hippone, paru en janvier 2011 aux éditions Edilivre et Aparis Note de renvois : 1- Un Printemps arabe de Jacques Benoist-Méchin, éditions Albin Michel, Paris, 1958/1974. 2 – La Guerre d'Algérie de Mohamed Harbi et Benjamin Stora, 1954-2004- La fin de l'amnésie, éditions Robert Laffont, Paris 2004.