Frontières Tuniso-libyenne. De nos envoyés spéciaux Ils se connaissent à peine, mais viennent de parcourir ensemble les 500 kilomètres qui séparent Tunis de Tataouine. Les dix hommes sont médecins. Ils sont arrivés par avion le matin même à TunisCarthage. A Tataouine, ils sont accueillis par le docteur Salah El Barouni. Lui aussi est médecin bénévole. Arrivé d'Irlande au mois d'avril, il s'est fixé un objectif : aider ses compatriotes dans les camps de réfugiés. «Au début, nous n'étions que deux mais ensuite notre nombre n'a cessé d'augmenter. Alors, nous avons décidé de lancer un site internet où les médecins peuvent s'inscrire avant de venir», explique-t-il. «Ça nous a permis de mieux nous organiser. Aujourd'hui, on a deux équipes, une permanente avec des médecins de Libye, et une autre avec des médecins d'un peu partout», poursuit fièrement le docteur El Barouni. Leur QG tunisien est un hôtel loué entièrement par un avocat londonien d'origine libyenne. Pas le temps de souffler, à peine arrivés une première réunion est organisée. Saleh El Barouni confie des missions aux nouveaux arrivants. «L'équipe qui vient d'arriver est composée de généralistes. Il y a aussi un cardiologue, un ophtalmologue et un dentiste», se réjouit-il en organisant le planning. «Demain, ils iront tous à Dehiba», poursuit le médecin-chef. Dehiba : du vent et du sable Sous un soleil de plomb et au milieu d'une mini-tornade de poussière, les docteurs enfilent leurs blouses blanches. Ils se dispersent. Les consultations ont lieu sous les tentes des réfugiés. Seule le docteur Djamila Issaoui, chirurgien-dentiste à Londres, a droit à un cabinet de fortune. Masque sur le visage, elle enfile ses gants en latex et reçoit son premier patient. Mohamed a 12 ans. «Regardez, je dois le soigner sur une chaise ! Je fais tout mon possible auprès du Croissant-Rouge, de la Croix-Rouge et de l'Unicef pour obtenir un fauteuil de dentiste», s'insurge-t-elle. Pourtant dans le camp, se faire soigner les dents est le dernier souci des réfugiés. «Ce qui manque le plus, insiste Mohamed Ihab, un jeune médecin de Tripoli, ce sont les médicaments.» En nage, stéthoscope à la main, il traverse le camp pour en trouver. «Il nous faut des antidépresseurs, beaucoup de patients en ont besoin dans le camp, dit le jeune homme essoufflé. C'est vraiment difficile de s'en procurer. Même si les Tunisiens font de leur mieux pour nous aider.» «Le désert nous rend fous» Tente après tente, docteur Aâref Mohamed, médecin aux Emirats arabes unis, soigne les petits bobos. Il juge la situation sanitaire stable. «Dans de telles conditions, c'est un miracle qu'il n'y ait pas plus de maladies», constate-t-il, avant de poursuivre sa tournée. En plein vent de sable qui ne faiblit que rarement, ils sont 830 réfugiés à vivre dans une situation très difficile. Beaucoup d'enfants ont fait des dépressions nerveuses. Messaouda Ali Ahmed est la mère de l'un d'eux. «Il est jeune, c'est un collégien, il a perdu la raison. Il ne fait que pleurer et crier, le désert nous rend tous fous, s'alarme-t-elle. Son père n'est pas là pour s'occuper de lui, il est au front.» Comme elle, toutes les Libyennes du camp sont seules pour s'occuper de leurs enfants. Tous les hommes combattent en Libye. Pour pallier le problème des dépressions, les médecins ont aménagé une école avec une cour de récréation. «C'est tout ce qu'on peut leur offrir pour le moment», conclut, amèrement, Saleh El Barouni, médecin-chef.