Beaucoup de jeunes vendeurs informels détiennent une arme blanche, dissimulée sous l'étal et exhibée au moment voulu. Jadis réputés pour la qualité de leur marchandise, celle de l'accueil de ses commerçants, et ses clients de choix, les marchés couverts, en l'occurrence Bettou, implanté au boulevard Belouizdad (ex-Saint-Jean), et Boumezzou au centre-ville, sont aujourd'hui des lieux à haut risque, essentiellement en matière d'hygiène et de sécurité. Les commerces, formel et informel, s'y côtoient allègrement, l'un concurrençant déloyalement l'autre, le tout se déroulant dans un chaos indescriptible. Les habitués du marché Bettou estiment que celui-ci est devenu le repaire de voleurs à la tire depuis déjà quelques années, et qu'il n'est plus que l'ombre de lui-même. La bâtisse elle-même se dégrade de jour en jour, malgré des travaux de rénovation effectués en 2006 et ayant nécessité sa fermeture pendant près d'un mois. Mais ce n'était qu'un rafistolage qui tiendra le temps d'un soupir ! Aujourd'hui, les murs sont lépreux et sales, la voûte lézardée, traversée par une multitude de fils électriques au bout desquels pendouillent des lampes à la lumière blafarde, les sols encroûtés de crasse fossilisée, les étals de fortune et les stands tombés en désuétude. Sans compter la présence de ce grand et hideux dévidoir derrière ce souk, la plaie du quartier, toujours débordant à ras bord d'immondices, qu'on pousse l'inconscience jusqu'à les brûler sur place, sans penser un seul instant à la santé des riverains. Entre-temps, l'APC perçoit toujours les loyers et autres taxes, disent des commerçants, complètement démoralisés par la situation. D'autres marchands font des extensions en parallèle de leurs étals, accentuant, et l'anarchie, et l'exiguïté des couloirs prévus pour la clientèle. Pour réussir à évoluer entre les stands, des conditions s'imposent : s'armer de patience et d'audace, et être maigre de préférence pour ne pas accrocher quelque produit au passage et susciter de ce fait le courroux de certains vendeurs irascibles, comme cela fut le cas durant le Ramadhan écoulé où un client, qui avait malencontreusement heurté un étal d'œufs et en fait tomber un, s'était vu menacé par le marchand avec un couteau. Beaucoup de jeunes vendeurs informels détiennent une arme blanche, dissimulée sous l'étal et exhibée au moment voulu. Ces agissements émanant, il faut le dire, d'une minorité, nuisent considérablement aux petits marchands parallèles, qui, en l'absence de débouchés, vendent de tout, des diouls (khetfa), des œufs, des plantes aromatiques, des fruits de saison… « Les autorités ferment l'œil et laissent les choses pourrir », commente une personne résidant à proximité du marché. « Est-ce une raison pour laisser ces lieux dans un tel état, et ces jeunes dicter leurs propres lois et défier l'autorité de l'Etat ? » ajoute une autre. Ils sont là pourtant, ces jeunes vendeurs, agressifs à souhait, et même féroces, allant jusqu'au crime quand ils sont empêchés de s'approprier des espaces appartenant à autrui, exerçant dans les normes et payant ses impôts, comme celui perpétré contre un honnête père de famille, dont le seul tort a été d'avoir voulu empêcher qu'on squatte la devanture de son commerce. Le marché Boumezzou est également dans le même état que le premier, avec son plafond truffé d'infiltrations, dégoulinant de toutes parts durant l'hiver. Les gens ont du mal à se frayer un passage parmi les étals de cet espace lugubre au sol poisseux et déglingué. Derrière la bâtisse, règne toute la misère du monde, faite d'amas d'ordures et d'odeurs nauséabondes s'en dégageant, tout près de la station de taxis à destination de Sidi Mabrouk, les cités Daksi et les Frères Abbas. Les murs du marché, de ce côté-ci, servent également de vespasienne, et les relents d'urine agressent les narines jusqu'au boulevard de l'abîme. Même constat pour les autres marchés, où l'hygiène la plus élémentaire fait défaut, et où chacun agit à sa guise.